Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 27 February 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:128
Date27 February 2020
Celex Number62019CC0897
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 27 février 2020 (1)

Affaire C897/19 PPU

I.N.,

avec la participation de :

la Fédération de Russie

[Demande de décision préjudicielle formée par le Vrhovni sud (Cour suprême, Croatie)]

« Accord EEE et droit de recevoir des services – Confiance mutuelle et régime d’asile européen commun – Règlement Dublin III et États associés à l’espace Schengen – Demande d’extradition adressée par un État tiers à un État membre de l’Union européenne concernant un ressortissant de l’EEE – Octroi de l’asile par cet État membre de l’EEE, avant l’acquisition de la nationalité, à un ressortissant de l’EEE qui fait l’objet d’une demande d’extradition, octroi motivé par le risque d’être exposé à des traitements inhumains ou dégradants et de faire l’objet d’une procédure pénale inéquitable en cas de refoulement vers l’État tiers demandeur – Arrestation et détention par un État membre de l’Union européenne en vue d’extrader un ressortissant de l’EEE aux fins des poursuites pour la même infraction que celle envisagée dans le cadre de la procédure d’asile dans l’État AELE – Discrimination en raison de la nationalité dans le cadre d’une extradition – Accord international entre l’Islande, le Royaume de Norvège et l’UE relatif à la procédure de remise et à la coopération judiciaire en matière pénale – Sur le point de savoir si l’État membre requis est tenu d’informer l’État de l’EEE de la demande d’extradition de l’État tiers – Sur le point de savoir si un État membre de l’Union européenne est tenu de remettre un ressortissant de l’UE à son État d’origine plutôt que de faire droit à la demande d’extradition d’un État tiers – Arrêt Petruhhin de la Cour – Risque d’impunité – Articles 4, 19 et 47 de la charte des droit fondamentaux »






1. I.N. est un ressortissant de la Fédération de Russie (ci‑après la « Russie »), et est devenu ressortissant de l’Islande (ci‑après l’« Islande ») le 19 juin 2019, après avoir obtenu l’asile en tant que réfugié dans ce pays le 8 juin 2015. Le 30 juin 2019, il a été arrêté par les autorités croates alors qu’il était en vacances avec sa famille, alors que son bus traversait la frontière entre cet État membre et la République de Slovénie, et il est toujours incarcéré. L’arrestation a eu lieu en vertu d’un avis de recherche international émis le 20 mai 2015 par le bureau d’Interpol à Moscou.

2. La Russie demande à la République de Croatie (ci-après la « Croatie ») d’extrader I.N. pour des motifs de corruption et est appuyée par le procureur général de Croatie qui représente celle-ci (ci‑après le « procureur général »). La constitution croate s’oppose à l’extradition de ses propres ressortissants, mais pas des non‑nationaux, comme I.N., lorsque, comme dans le cas de la Russie, il n’existe pas d’accord d’extradition. Le procureur général soutient que, dans les circonstances de l’affaire au principal, le droit de l’Union ne s’oppose pas à cette situation.

3. L’Islande demande un sauf-conduit pour I.N. vers l’Islande, dans la mesure où les poursuites dont il fait l’objet en Russie semblent avoir fondé l’octroi de l’asile avant que I.N. n’acquière la nationalité islandaise.

4. À l’appui de la demande de sauf-conduit, I.N. et l’Islande invoquent le droit de l’Union, mais surtout le droit de l’EEE (2). Dans le même temps, l’Islande invoque les articles 18 et 21 TFUE qui, selon l’arrêt Petruhhin (3), s’opposent à une discrimination en raison de la nationalité en matière d’extradition vers des États tiers de citoyens de l’Union européenne ayant exercé leurs droits à la libre circulation, mais qui font toutefois l’objet de réserves importantes et pertinentes pour la procédure au principal.

5. C’est sur ce point que porte en substance la demande de décision préjudicielle du Vrhovni sud (Cour suprême, Croatie ; ci‑après la « juridiction de renvoi »). Cette demande fournit à la Cour l’opportunité de statuer sur les points de jonction entre l’accord EEE et le droit de l’Union, sur les conséquences de la participation d’États tiers, tels que l’Islande, à l’acquis de Schengen en qualité d’États associés à l’espace Schengen (4) et sur l’association de l’Islande au règlement (UE) nº 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (5) (ci‑après le « règlement Dublin III »). La participation à la fois de l’Islande (6) et de la Croatie au règlement Dublin est d’une importance particulière pour la procédure au principal, tout comme, plus généralement, pour le régime d’asile européen commun (7).

6. De plus, il convient de prendre en considération l’accord entre l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège relatif à la procédure de remise entre les États membres de l’Union européenne et la République d’Islande et le Royaume de Norvège (8) (ci‑après « l’accord relatif à la procédure de remise »), avec pour toile de fond une série d’instruments du Conseil de l’Europe en matière d’extradition (9) ainsi que la convention de Genève relative au statut des réfugiés (10). Il convient de prendre aussi dûment en considération l’interdiction, édictée par le droit de l’Union, des extraditions en cas de risque de peines ou traitements inhumains ou dégradants, qui s’applique à la fois aux extraditions vers des pays tiers (11) et aux extraditions entre États membres dans le cadre du mandat d’arrêt européen (12) (telle que reflétée, respectivement, aux articles 19 et 4 de la Charte), ainsi que l’interdiction des extraditions en cas d’allégations de défaillances systémiques dans le système judiciaire de l’État membre d’émission qui compromettent la tenue d’un procès équitable (article 47 de la Charte) (13).

7. En réponse à la première question déférée, je suis parvenu à la conclusion que les autorités croates étaient tenues, en vertu des principes développés dans l’arrêt Petruhhin, d’informer les autorités islandaises de la demande d’extradition de la Russie dirigée contre I.N., et continuent d’être tenues de transmettre à l’Islande tout élément en leur possession susceptible d’aider les autorités islandaises à prendre une décision quant à d’éventuelles poursuites dirigées contre I. N. en Islande et quant à une demande de remise.

8. En outre, en raison de l’obligation de confiance mutuelle dans la qualité et la légalité des lois des États participants qui sous-tend le régime d’asile européen commun, et notamment le règlement Dublin III, il n’est pas permis aux autorités croates, y compris aux juridictions, de ne pas se conformer à une décision accordant l’asile adoptée par un État associé à l’espace Schengen, tel l’Islande, en vertu du régime d’asile européen commun. Une telle incohérence se présenterait si la Croatie i) s’abstenait de communiquer à l’Islande une demande d’extradition concernant des chefs de poursuites pénales identiques ou semblables à ceux en vertu desquels l’Islande a accordé l’asile à I.N., dès lors que l’Islande a constaté qu’elle était l’État responsable au titre du règlement Dublin III (14) et si ii) l’une des autorités croates, y compris les juridictions, statuait sur le risque que I.N. soit exposé à des traitements inhumains ou dégradants ou à un déni de justice flagrant en Russie à la date de la procédure en Croatie, de manière incompatible avec l’octroi en 2015 de l’asile à I.N. par l’Islande.

9. Dans le cadre de la réponse à la seconde question, étant donné que l’Islande doit encore introduire une demande d’extradition, la Croatie n’est actuellement pas tenue de remettre activement I.N. à l’Islande en application de l’accord relatif à la procédure de remise (15). Il appartiendra aux juridictions croates de déterminer si, au vu de l’ensemble des circonstances, un mandat d’arrêt finalement émis par l’Islande, combiné à l’accord relatif à la procédure de remise, offre une protection contre l’impunité équivalente à l’extradition, sans libérer ces juridictions de leur obligation de se conformer à l’octroi en 2015 de l’asile par l’Islande.

I. Cadre juridique

A. Droit de l’Union

10. L’article 18, paragraphe 1, TFUE dispose :

« Dans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité. »

11. L’article 2, paragraphe 1, de la Convention d’application de l’Accord de Schengen du 14 juin 1985 entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes (16) dispose :

« Les frontières intérieures peuvent être franchies en tout lieu sans qu’un contrôle des personnes soit effectué. »

12. L’article 2 du protocole (nº 19) sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne (17) dispose :

« L’acquis de Schengen s’applique aux États membres visés à l’article 1er, sans préjudice de l’article 3 de l’acte d’adhésion du 16 avril 2003 et de l’article 4 de l’acte d’adhésion du 25 avril 2005. Le Conseil se substitue au comité exécutif institué par les accords de Schengen. »

13. Le premier alinéa de l’article 6 du protocole (nº 19) sur l’acquis de Schengen intégré dans le cadre de l’Union européenne (18) dispose :

« La République d’Islande et le Royaume de Norvège sont associés à la mise en œuvre de l’acquis de Schengen et à la poursuite de son développement. Des procédures appropriées sont prévues à cet effet dans le cadre d’un accord avec ces États, conclu par le Conseil statuant à l’unanimité des membres visés à l’article 1er. Un tel accord doit comprendre des dispositions sur la contribution de la République d’Islande et du Royaume de Norvège à toute conséquence financière résultant de la...

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