Conclusions de l'avocat général M. G. Pitruzzella, présentées le 28 mai 2020.

JurisdictionEuropean Union
Celex Number62019CC0556
ECLIECLI:EU:C:2020:399
Date28 May 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 28 mai 2020 (1)

Affaire C556/19

Société Eco TLC

contre

Ministre de la Transition écologique et solidaire

en présence de

La Fédération des entreprises du recyclage

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Responsabilité élargie des producteurs – Éco-organisme agréé par les pouvoirs publics pour percevoir des contributions financières auprès des metteurs sur le marché de certains produits afin de pourvoir pour leur compte à leur obligation légale de traitement des déchets issus de ces produits – Soutiens financiers versés par l’éco‑organisme aux opérateurs de tri conventionnés – Notion de “ressources d’État” – Contributions obligatoires – Contrôle public des ressources – Existence d’un lien suffisamment direct entre l’avantage et une diminution, à tout le moins potentielle, du budget étatique »





1. Le dispositif de responsabilité élargie des producteurs mis en place en France pour la gestion des déchets issus de produits textiles, du linge de maison et des chaussures (ci‑après les « produits TLC ») institue-t-il un régime d’aides d’État aux termes de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ?

2. Telle est, en substance, la question posée à la Cour par le Conseil d’État (France) dans la demande de décision préjudicielle faisant l’objet des présentes conclusions.

3. Dans la présente affaire, la Cour est confrontée pour la première fois à la question de l’interrelation entre, d’une part, les règles en matière d’aides d’État et, d’autre part, le régime de responsabilité élargie des producteurs, introduit en droit de l’Union par la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative aux déchets et abrogeant certaines directives (2).

4. Expression du « principe du pollueur-payeur », principe fondamental dans le domaine de l’environnement consacré à l’article 191, paragraphe 2, TFUE, le régime de responsabilité élargie des producteurs constitue une pierre angulaire de la réglementation de l’Union en matière de gestion des déchets. Ce régime implique un ensemble de mesures prises pour veiller à ce que les producteurs de produits assument la responsabilité financière et, éventuellement, organisationnelle de la gestion de la phase « déchets » du cycle de vie d’un produit (3). Il constitue un des moyens pour aider l’Union européenne à se rapprocher d’une « société du recyclage » visant à éviter la production de déchets et à les utiliser comme ressources (4), dans la perspective de la création d’une économie circulaire (5).

5. Dans la présente affaire, parmi les différents régimes de responsabilité élargie des producteurs mis en place en France (6), celui concernant les produits TLC est remis en cause sous l’angle de sa compatibilité avec les règles de l’Union en matière d’aides d’État. La société Eco TLC, le seul éco-organisme agréé en France pour pourvoir pour le compte des producteurs de produits TLC à l’obligation légale leur incombant de traiter les déchets issus de ces produits, a introduit devant le Conseil d’État un recours en annulation contre un arrêté ministériel de 2017 qui a modifié le montant d’un des soutiens que ladite société doit verser aux opérateurs de tri conventionnés avec elle. Eco TLC soutient que ledit régime de responsabilité élargie institue une mesure constitutive d’une aide d’État illégale.

6. La Cour est donc appelée à apprécier la compatibilité de ce régime avec l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Dans ce contexte, la question plus problématique concerne l’éventuelle qualification de « ressources d’État » des fonds versés aux opérateurs de tri dans le cadre du dispositif en cause. La présente affaire donnera ainsi l’occasion à la Cour de clarifier davantage sa jurisprudence concernant la notion de « ressources d’État ».

I - Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

7. L’article 8 de la directive 2008/98, intitulé « Régime de responsabilité élargie des producteurs », prévoit, à son paragraphe 1, qu’,« [e]n vue de renforcer le réemploi, la prévention, le recyclage et autre valorisation en matière de déchets, les États membres peuvent prendre des mesures législatives ou non pour que la personne physique ou morale qui élabore, fabrique, manipule, traite, vend ou importe des produits (le producteur du produit) soit soumise au régime de responsabilité élargie des producteurs ».

8. L’article 8 bis de la même directive, introduit par la directive 2018/851, et intitulé « Exigences générales minimales applicables aux régimes de responsabilité élargie des producteurs », prévoit à son paragraphe 1, sous a), que les États membres « définissent clairement les rôles et les responsabilités de tous les acteurs concernés, y compris les producteurs qui mettent des produits sur le marché de l’État membre, les organisations mettant en œuvre la responsabilité élargie des producteurs pour leur compte, les organismes publics ou privés de gestion des déchets, les autorités locales et, le cas échéant, les organismes de réemploi et de préparation en vue du réemploi et les entreprises de l’économie sociale et solidaire ».

9. Le même article, à son paragraphe 5, prévoit, notamment, que les « États membres mettent en place un cadre approprié de suivi et de contrôle de l’application pour s’assurer que les producteurs de produits et les organisations mettant en œuvre les obligations de responsabilité élargie des producteurs pour leur compte respectent leurs obligations de responsabilité élargie, y compris en cas de ventes à distance, que les moyens financiers sont utilisés à bon escient et que tous les acteurs intervenant dans la mise en œuvre des régimes de responsabilité élargie des producteurs déclarent des données fiables ».

B. Le droit français

10. En France, l’article L. 541‑10‑3 du code de l’environnement prévoit le principe de responsabilité élargie des producteurs qui mettent sur le marché national à titre professionnel des produits TLC destinés aux ménages. Les producteurs, importateurs et distributeurs (ci‑après les « metteurs sur le marché ») de produits TLC sont ainsi obligés de contribuer ou de pourvoir au recyclage et au traitement des déchets issus de ces produits TLC.

11. Pour satisfaire à cette obligation légale, l’article L. 541‑10‑3 du code de l’environnement offre une alternative aux metteurs sur le marché de produits TLC :

– soit ils adhèrent et versent des contributions financières à un écoorganisme, titulaire d’un agrément délivré par les ministres chargés de l’écologie et de l’industrie sur la base d’un cahier des charges. Cet organisme doit ensuite passer convention avec les opérateurs de tri et les collectivités territoriales ou leurs groupements en charge de la gestion des déchets et leur reverser les contributions financières sous forme de soutien financier pour les opérations de recyclage et de traitement des déchets en cause ;

– soit il leur est loisible de mettre en place, dans le respect d’un autre cahier des charges, un système individuel de recyclage et de traitement de ces déchets approuvé par arrêté des ministres chargés de l’écologie et de l’industrie.

12. Le dernier alinéa de l’article L. 541‑10‑3 du code de l’environnement prévoit que les modalités d’application concrète des dispositions concernant cette obligation légale, « notamment le mode de calcul de la contribution, les conditions dans lesquelles est favorisée l’insertion des personnes rencontrant des difficultés au regard de l’emploi ainsi que les sanctions en cas de non‑respect de [ladite obligation légale à la charge des metteurs sur le marché de produits TLC] sont fixées par décret en Conseil d’État ».

13. En ce qui concerne les éco-organismes, l’article R. 543‑214 du code de l’environnement prévoit qu’ils sont agréés pour une durée maximale de six ans. En outre, dans sa demande d’agrément, un éco‑organisme doit justifier de ses capacités techniques et financières à mener à bonne fin les opérations requises pour favoriser, par le biais des conventions qu’il signe et de la redistribution des contributions financières qu’il collecte, le réemploi, le recyclage, la valorisation matière et le traitement des déchets issus des produits TLC. Il doit également indiquer les conditions dans lesquelles il prévoit de satisfaire aux clauses du cahier des charges dont cet agrément sera assorti.

14. L’article R. 543‑218 du code de l’environnement, prévoit également que le cahier des charges des organismes auxquels est délivré l’agrément précise, notamment : premièrement, les objectifs fixés en termes de quantités de déchets triées, réemployées, recyclées ou valorisées ; deuxièmement, les objectifs d’insertion des personnes rencontrant des difficultés au regard de l’emploi ; troisièmement, les conditions dans lesquelles le titulaire de l’agrément passera une convention avec chaque opérateur de tri en vue de contribuer à la prise en charge des coûts de recyclage et de traitement de la fraction de déchets non réemployés issue du tri des déchets ainsi que la minoration de la contribution versée à l’opérateur de tri en cas de non‑respect par ce dernier d’un objectif minimum d’insertion de ces personnes.

15. Ledit code, au premier alinéa de l’article R. 543‑215, dispose également qu’il revient aux organismes agréés de déterminer le montant global de la contribution financière qu’ils perçoivent auprès des metteurs sur le marché de produits TLC de manière à couvrir, chaque année, les dépenses résultant de l’application du cahier des charges.

16. L’arrêté du 3 avril 2014 des ministres chargés de l’écologie et de l’industrie (7) (ci‑après l’« arrêté de 2014 ») a, d’une part, porté publication du cahier des charges que doit respecter un organisme ayant pour objet de contribuer au traitement des déchets issus des produits TLC pour la période 2014‑2019 et, d’autre part, délivré un agrément à Eco TLC pour percevoir auprès des metteurs...

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1 cases
  • Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 29 October 2020.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 29 October 2020
    ...and Others (C‑706/17, EU:C:2019:407, paragraphs 53, 66 and 67). See also Opinion of Advocate General Pitruzzella in Eco TLC (C‑556/19, EU:C:2020:399, points 80 and 84 to 27 Judgments of 19 March 2013, Bouygues and Bouygues Télécom v Commission and Others and Commission v France and Others (......

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