Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 25 juin 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:493
Date25 June 2020
Celex Number62018CC0808
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 25 juin 2020 (1)

Affaire C808/18

Commission européenne

contre

Hongrie

« Manquement d’État – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2013/32/UE – Procédure nationale d’examen de la demande de protection internationale – Article 6 – Accès effectif – Article 43 – Garanties procédurales – Article 46, paragraphes 5 et 6 – Absence de l’effet suspensif des demandes de recours introduites contre les décisions administratives refusant l’octroi du statut de réfugié – Directive 2013/33/UE – Article 2, sous h) – Placement obligatoire dans des zones de transit – Notion de “rétention” – Directive 2008/115/CE – Article 5, article 6, paragraphe 1, article 12, paragraphe 1 et article 13, paragraphe 1 – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier »






Table des matières


I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La directive 2008/115

2. La directive 2013/32

3. La directive 2013/33

B. Le droit hongrois

1. La loi relative au droit d’asile

2. La loi sur les frontières de l’État

II. La procédure précontentieuse

III. Analyse

A. Sur l’absence d’accès effectif à la procédure d’asile

1. Arguments des parties

2. Appréciation

a) Sur l’exacte identification de l’obligation faisant l’objet du grief

b) Application au cas d’espèce

B. Sur la violation des règles de procédure applicables aux demandes de protection internationale

1. Arguments des parties

2. Appréciation

a) Sur l’applicabilité de l’article 43 de la directive 2013/32

b) Sur le nonrespect des garanties inscrites dans l’article 43 de la directive 2013/32

c) Sur l’article 72 TFUE

C. Sur la rétention généralisée des demandeurs d’asile et le nonrespect des garanties procédurales pertinentes

1. Arguments des parties

2. Appréciation

a) Sur l’existence d’une rétention

b) Sur la légalité de la rétention

D. Sur le nonrespect des procédures fixées par la directive 2008/115

1. Arguments des parties

2. Appréciation

a) Sur l’applicabilité de la directive 2008/115

b) Sur l’article 72 TFUE

E. Sur l’absence d’effectivité des recours introduits contre les décisions rejetant une demande d’asile

1. Arguments des parties

2. Appréciation

IV. Dépens

V. Conclusion


1. Dans le cadre de la présente affaire, la Commission européenne a saisi la Cour d’un recours au titre de l’article 258, second alinéa, TFUE, en vue de faire constater que la Hongrie a manqué aux obligations lui incombant en vertu de certaines dispositions de la directive 2013/32/UE (2), de la directive 2013/33/UE (3) et de la directive 2008/15/CE (4).

2. D’une portée extrêmement large, ce recours remet en question la compatibilité avec le droit de l’Union d’une partie substantielle de la réglementation hongroise régissant les procédures d’examen des demandes d’asile et celles visant à exécuter le retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire national. Les problématiques juridiques qu’il soulève revêtent un intérêt certain, notamment en ce qui concerne la question de savoir si la situation des demandeurs d’asile hébergés dans les zones de transit à la frontière serbo-hongroise doit être qualifiée de « rétention » au sens de la directive 2013/33.

3. Accentuant le caractère sensible de l’arrêt à venir, l’interprétation donnée par la Cour pourrait, dans la situation actuelle, où d’autres États membres durcissent leurs législations nationales en la matière, avoir des implications allant bien au-delà de la présente affaire.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La directive 2008/115

4. L’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/115 prévoit :

« Les États membres peuvent décider de ne pas appliquer la présente directive aux ressortissants de pays tiers :

a) faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du code frontières Schengen, ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier par voie terrestre, maritime ou aérienne de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre ;

[...] ».

5. L’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Les État membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5. »

6. L’article 12, paragraphe 1, de ladite directive énonce :

« Les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles. »

7. Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 :

« Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance. »

2. La directive 2013/32

8. L’article 3 de la directive 2013/32 dispose :

« 1. La présente directive s’applique à toutes les demandes de protection internationale présentées sur le territoire des États membres, y compris à la frontière, dans les eaux territoriales ou dans une zone de transit, ainsi qu’au retrait de la protection internationale.

[...] ».

9. L’article 6 de cette directive dispose :

« 1. Lorsqu’une personne présente une demande de protection internationale à une autorité compétente en vertu du droit national pour enregistrer de telles demandes, l’enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrables après la présentation de la demande.

Si la demande de protection internationale est présentée à d’autres autorités qui sont susceptibles de recevoir de telles demandes, mais qui ne sont pas, en vertu du droit national, compétentes pour les enregistrer, les États membres veillent à ce que l’enregistrement ait lieu au plus tard six jours ouvrables après la présentation de la demande.

[...]

2. Les États membres veillent à ce que les personnes qui ont présenté une demande de protection internationale aient la possibilité concrète de l’introduire dans les meilleurs délais. Si les demandeurs n’introduisent pas leur demande, les États membres peuvent appliquer l’article 28 en conséquence.

3. Sans préjudice du paragraphe 2, les États membres peuvent exiger que les demandes de protection internationale soient introduites en personne et/ou en un lieu désigné.

[...]

5. Lorsque, en raison du nombre élevé de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides qui demandent simultanément une protection internationale, il est dans la pratique très difficile de respecter le délai prévu au paragraphe 1, les États membres peuvent prévoir de porter ce délai à dix jours ouvrables. »

10. L’article 24, paragraphe 3, de ladite directive énonce :

« Lorsque des demandeurs ont été identifiés comme étant des demandeurs nécessitant des garanties procédurales spéciales, les États membres veillent à ce qu’un soutien adéquat leur soit accordé pour qu’ils puissent, tout au long de la procédure d’asile, bénéficier des droits et se conformer aux obligations prévus par la présente directive.

Lorsqu’un tel soutien adéquat ne peut être fourni dans le cadre des procédures visées à l’article 31, paragraphe 8, et à l’article 43, notamment lorsque les États membres estiment qu’un demandeur nécessite des garanties procédurales spéciales parce qu’il a été victime de torture, de viol ou d’une autre forme grave de violence psychologique, physique ou sexuelle, les États membres n’appliquent pas, ou cessent d’appliquer, l’article 31, paragraphe 8, et l’article 43. Si les États membres appliquent l’article 46, paragraphe 6, à un demandeur à l’égard duquel l’article 31, paragraphe 8, et l’article 43 ne peuvent être appliqués en vertu du présent alinéa, les États membres prévoient au moins les garanties prévues à l’article 46, paragraphe 7. »

11. L’article 26, paragraphe 1, de la même directive prévoit :

« Les États membres ne peuvent placer une personne en rétention au seul motif qu’elle est un demandeur. Les motifs et les conditions de la rétention, ainsi que les garanties données aux demandeurs placés en rétention sont conformes à la directive 2013/33/UE. »

12. L’article 43 de la directive 2013/32, intitulé « Procédures à la frontière », dispose :

« 1. Les États membres peuvent prévoir des procédures conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II afin de se prononcer, à leur frontière ou dans leurs zones de transit, sur :

a) la recevabilité d’une demande, en vertu de l’article 33, présentée en de tels lieux ; et/ou

b) le fond d’une demande dans le cadre d’une procédure en vertu de l’article 31, paragraphe 8.

2. Les États membres veillent à ce que toute décision dans le cadre des procédures prévues au paragraphe 1 soit prise dans un délai raisonnable. Si aucune décision n’a été prise dans un délai de quatre semaines, le demandeur se voit accorder le droit d’entrer sur le territoire de l’État membre afin que sa demande soit traitée conformément aux autres dispositions de la présente directive.

3. Lorsque l’afflux d’un grand nombre de ressortissants de pays tiers ou d’apatrides introduisant une demande de protection internationale à la frontière ou dans une zone de transit rend impossible, en pratique, l’application des dispositions du paragraphe 1, ces procédures peuvent également être appliquées dès lors et aussi longtemps que ces ressortissants de pays tiers ou apatrides sont hébergés normalement dans des endroits situés à proximité de la frontière ou de la zone de transit. »

13. L’article 46 de cette directive prévoit :

« [...]

5. Sans préjudice du paragraphe 6, les États membres autorisent les demandeurs à rester sur leur...

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