Conclusions de l'avocat général M. G. Pitruzzella, présentées le 5 mars 2020.

JurisdictionEuropean Union
Celex Number62019CC0212
ECLIECLI:EU:C:2020:179
Date05 March 2020
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 5 mars 2020 (1)

Affaire C212/19

Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation

contre

Compagnie des pêches de Saint-Malo

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Récupération d’une aide illégale – Décision 2005/239/CE – Aquaculteurs et pêcheurs – Cotisation sociale – Distinction entre cotisations patronales et salariales – Détermination du débiteur de l’obligation de restitution – Remboursement par les salariés de l’entreprise »






1. Par sa demande de décision préjudicielle, le Conseil d’État (France) demande à la Cour, d’une part, d’interpréter la décision 2005/239/CE de la Commission, du 14 juillet 2004, concernant certaines mesures d’aide mises à exécution par la France en faveur des aquaculteurs et des pêcheurs (2) (ci‑après la « décision litigieuse ») et, d’autre part, de préciser l’étendue des obligations de récupération qui incombent à la République française en exécution de ladite décision.

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un pourvoi formé par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation (ci‑après le « ministre ») contre un arrêt de la cour administrative de Nantes (France), par lequel cette dernière a confirmé l’annulation d’un titre de perception émis par le directeur général des finances publiques de Bretagne à l’encontre de la société Compagnie des pêches de Saint-Malo (ci‑après la « Compagnie »), en vue du recouvrement d’une somme d’argent au titre de récupération des aides que cette société aurait perçues en application de mesures nationales faisant l’objet de la décision litigieuse.

I. Les antécédents du litige au principal

3. Par lettre du 21 juin 2000, la République française a informé la Commission européenne des mesures d’indemnisation qu’elle avait adoptées en faveur des pêcheurs et des aquaculteurs ayant subi des dommages à la suite, d’une part, de la pollution par hydrocarbures causée par le naufrage du navire Erika dans le golfe de Gascogne le 12 décembre 1999 et, d’autre part, de la violente tempête survenue les 27 et 28 décembre 1999 (3). Ces mesures consistaient, d’une part, en un dispositif d’aides exceptionnelles, adopté par circulaire du 2 février 2000, afin de venir en aide aux pêcheurs et aux aquaculteurs de six départements de l’ouest de la France (le Finistère, le Morbihan, la Loire-Atlantique, la Vendée, la Charente-Maritime et la Gironde), ayant subi des dommages à la suite desdits événements et, d’autre part, en un allégement de 50 % des charges sociales portant sur trois mois, pour les aquaculteurs, et sur six mois, pour les pêcheurs, décidé par deux nouvelles circulaires du 15 avril et du 13 juillet 2000. Cette seconde mesure s’appliquait à l’ensemble de la France métropolitaine et des départements d’outre‑mer.

4. La plupart des mesures adoptées par la circulaire du 2 février 2000 ont été considérées par la Commission comme étant compatibles avec le marché commun (4). En revanche, par décision communiquée à la République française le 11 décembre 2001, la Commission a ouvert la procédure prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE, à l’égard des mesures restantes, parmi lesquelles, notamment, la « mesure complémentaire d’allégement de charges sociales » en faveur des pêcheurs, mise en œuvre dans la période du 15 avril au 15 octobre 2000 (5).

5. Cet allégement a porté « sur les cotisations patronales et salariales » (6) versées à l’Établissement national des invalides de la marine (ENIM) (7). Quant aux modalités de réduction, au considérant 20 de la décision litigieuse, la Commission explique que « [p]our les cotisations versées à l’ENIM, le taux de réduction était de 50 %, tant pour les cotisations salariales que pour les cotisations patronales. Toutefois, dans le cas particulier des navires pour lesquels le mode de rémunération à la part n’est pas appliqué, la prise en charge des cotisations patronales a été portée à 75 %. Ce taux différent s’explique, selon la France, par le fait que, dans le cas de la rémunération à la part, il y a une étroite solidarité financière entre l’armement et l’équipage au regard des difficultés rencontrées dans l’exercice de l’activité de pêche, en particulier en ce qui concerne les baisses de chiffres d’affaires, tandis que, pour les armements industriels pour lesquels ce type de rémunération n’existe pas, les armements assument de fait la plus large part des difficultés économiques ».

6. La mesure d’allégement de charges sociales en faveur des pêcheurs était destinée, avec d’autres mesures complémentaires, à tenir compte, en particulier, du préjudice subi par les entreprises du secteur de la pêche du fait de la dégradation du marché (8). Selon les autorités françaises, il avait en effet été constaté un fléchissement généralisé du marché des produits de la mer, avec diminution durable de la demande, en raison de l’inquiétude des consommateurs sur l’impact sanitaire de la marée noire (9). Selon la Commission, cependant, les informations communiquées par la République française étaient contredites par d’autres informations de nature officielle dont elle avait eu connaissance (10). Au vu de ces informations, la Commission a considéré qu’il y avait des doutes sérieux sur la compatibilité de cette mesure, ayant le caractère d’aide au fonctionnement, avec le marché commun.

7. Ces doutes n’ont pas pu être dissipés lors de la procédure formelle d’examen. Après un examen approfondi de la situation du marché des produits de la pêche au cours du premier trimestre de l’année 2000 (11), la Commission a, en effet, conclu, au considérant 98 de la décision litigieuse, que, compte tenu des différents éléments à sa disposition, « l’allégement général de charges sociales en faveur des pêcheurs pour la période du 15 avril au 15 octobre ne [pouvait] pas être déclaré compatible avec le marché commun sur la base de l’article 87, paragraphe 2, point b), [CE] ». Au considérant 99 de cette décision, elle a jugé qu’« [e]n tant qu’aide au fonctionnement ayant été octroyée à l’ensemble des entreprises de pêche sans exiger une quelconque obligation de leur part, cette mesure d’aide [était] incompatible avec le marché commun en vertu du point 1.2, quatrième alinéa, troisième tiret, des lignes directrices de 1997 (12) ».

8. Dès lors, l’article 3 de la décision litigieuse déclarait « [l]a mesure d’aide mise à exécution par la France en faveur des pêcheurs sous forme d’allégement de charges sociales pour la période du 15 avril au 15 octobre 2000 [...] incompatible avec le marché commun ». Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de ladite décision, « [l]a France prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de ses bénéficiaires les aides visées [à l’article] 3 et déjà mises illégalement à leur disposition ». Le paragraphe 2, quant à lui, précisait que « [l]a récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision. Les aides à récupérer incluent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires jusqu’à la date de leur récupération ».

9. La décision litigieuse n’a pas été attaquée devant le Tribunal.

10. Le 23 décembre 2009, après avoir plusieurs fois invité la République française à se conformer à la décision litigieuse, la Commission a introduit un recours en manquement au sens de l’article 108, paragraphe 2, TFUE. Par l’arrêt du 20 octobre 2011, Commission/France (13) (ci‑après l’« arrêt Commission/France »), la Cour a déclaré que, « [e]n n’ayant pas exécuté, dans le délai prescrit, la décision [litigieuse], en récupérant auprès des bénéficiaires les aides déclarées illégales et incompatibles avec le marché commun par [l’article] 3 de cette décision, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 288, quatrième alinéa, TFUE et 4 de ladite décision » (14). Aux points 42 et 43 de cet arrêt, la Cour a rejeté l’argument soulevé par la République française, selon lequel les sommes correspondant aux allégements de charges salariales, étant versées par les entreprises aux organismes compétents pour le compte des salariés, ne devraient pas faire l’objet de restitution. Elle a d’abord, au point 42 dudit arrêt, constaté que « cet argument [revenait] en réalité à contester l’appréciation effectuée par la Commission, dans la décision [litigieuse], de la nature d’aide d’État, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, de l’allégement des charges sociales tant patronales que salariales ». Ensuite, au point 43, se fondant sur une jurisprudence constante, elle a dit pour droit que « dans le cadre d’[un] recours, qui a pour objet un manquement à l’exécution d’une décision en matière d’aides d’État et qui n’a pas été déférée devant la Cour par l’État membre qui en est destinataire, ce dernier ne saurait être fondé à contester la légalité d’une telle décision » (15).

II. Le litige au principal et la procédure devant la Cour

11. Le 22 février 2013, un titre de perception a été émis à l’encontre de la Compagnie pour un montant de 84 550,08 euros, correspondant aux allégements de cotisations salariales dues entre le 15 avril et le 15 juillet 2000, assortis des intérêts de retard. Par un jugement du 25 juin 2015, le tribunal administratif de Rennes (France) a annulé ce titre de perception. Par un arrêt du 14 avril 2017, la cour administrative d’appel de Nantes a rejeté l’appel du ministre de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer contre ce jugement.

12. Le ministre s’est pourvu en cassation contre cet arrêt devant la juridiction de renvoi, soutenant, notamment, que le juge d’appel avait, d’une part, commis une erreur de droit en jugeant que les exonérations de cotisations salariales n’avaient pas bénéficié aux entreprises de pêche, alors qu’elles ont été qualifiées d’aides d’État...

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