Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 27 octobre 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:861
Date27 October 2020
Celex Number62019CC0481
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 27 octobre 2020 (1)

Affaire C481/19

DB

contre

Commissione Nazionale per le Società e la Borsa (Consob)

en présence de

Presidenza del Consiglio dei Ministri

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte costituzionale [Cour constitutionnelle (Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Abus de marché – Directive 2003/6/CEArticle 14, paragraphe 3 – Règlement (UE) 596/2014 – Article 30, paragraphe 1, sous b) – Défaut de coopération avec les autorités compétentes – Sanctions administratives et/ou autres mesures administratives – Interprétation conforme aux droits fondamentaux – Articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit de garder le silence – Portée »






1. Dans la présente affaire, la Cour est saisie d’une demande de décision préjudicielle de la Corte Costituzionale (Cour constitutionnelle, Italie) portant sur l’interprétation et la validité de l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2003, sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (2) et de l’article 30, paragraphe 1, sous b), du règlement (UE) nº 596/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, sur les abus de marché (règlement relatif aux abus de marché) et abrogeant la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil et les directives 2003/124/CE, 2003/125/CE et 2004/72/CE de la Commission (3), qui imposent aux États membres l’obligation de sanctionner les manquements au devoir de coopération avec l’autorité chargée de la surveillance de marché (ci‑après l’« autorité de surveillance »).

2. En particulier, la Corte Costituzionale (Cour constitutionnelle) interroge la Cour sur la question de savoir si ces dispositions peuvent être interprétées de manière conforme au droit de garder le silence (nemo tenetur se detegere), tel qu’il découlerait des articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») et, le cas échéant, sur la portée qu’il convient de reconnaître à ce droit.

3. En résumé, la Cour aura, dans son arrêt à venir, l’occasion de se prononcer sur un certain nombre de questions juridiques délicates, notamment l’applicabilité du droit de garder le silence dans le cadre de procédures administratives pouvant aboutir à l’imposition d’une sanction de nature pénale, ainsi que sur la portée exacte d’un tel droit, dont la détermination est rendue problématique du fait de l’existence d’une prétendue divergence à ce sujet entre la jurisprudence pertinente de la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH ») et celle de la Cour.

I. Le cadre juridique

A. La CEDH

4. L’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, (ci‑après la « CEDH ») dispose :

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera [...] du bien‑fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.

[...] »

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

[...] »

B. Le droit de l’Union

1. La Charte

5. L’article 47, paragraphe 2, de la Charte se lit comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi [...] »

6. Conformément à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte :

« Tout accusé est présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

2. La directive 2003/6

7. L’article 12 de la directive 2003/6 prévoit :

« 1. L’autorité compétente est investie de tous les pouvoirs de surveillance et d’enquête nécessaires à l’exercice de ses fonctions. Elle exerce ces pouvoirs :

a) directement, ou

b) en collaboration avec d’autres autorités ou avec les entreprises de marché, ou

c) sous sa responsabilité, par délégation à d’autres autorités ou aux entreprises de marché, ou

d) en saisissant les autorités judiciaires compétentes.

2. Sans préjudice de l’article 6, paragraphe 7, les pouvoirs visés au paragraphe 1 du présent article sont exercés en conformité avec la législation nationale et incluent au moins le droit :

[...]

b) de demander des informations à toutes les personnes, y compris celles qui interviennent successivement dans la transmission des ordres ou dans l’exécution des opérations en cause ainsi qu’aux mandant de celles‑ci, et, si nécessaire, de convoquer une personne et de l’entendre ;

[...] »

8. L’article 14 de cette directive dispose :

« 1. Sans préjudice de leur droit d’imposer des sanctions pénales, les États membres veillent à ce que, conformément à leur législation nationale, des mesures administratives appropriées puissent être prises ou des sanctions administratives appliquées à l’encontre des personnes responsables d’une violation des dispositions arrêtées en application de la présente directive. Les États membres garantissent que ces mesures sont effectives, proportionnées et dissuasives.

2. La Commission établit, pour information, conformément à la procédure visée à l’article 17, paragraphe 2, une liste des mesures et sanctions administratives visées au paragraphe 1.

3. Les États membres déterminent les sanctions applicables en cas de défaut de coopération dans le cadre d’une enquête relevant de l’article 12.

4. Les États membres prévoient que l’autorité compétente concernée peut rendre publiques les mesures ou sanctions qui seront appliquées pour non‑respect des dispositions adoptées en application de la présente directive, excepté dans les cas où leur publication perturberait gravement les marchés financiers ou causerait un préjudice disproportionné aux parties en cause. »

3. Le règlement no 596/2014

9. L’article 23 du règlement nº 596/2014, intitulé « Pouvoirs des autorités compétentes », énonce :

« 1. Les autorités compétentes exercent leurs fonctions et leurs pouvoirs selon l’une ou l’autre des modalités suivantes :

a) directement ;

b) en collaboration avec d’autres autorités ou avec les entreprises du marché ;

c) sous leur responsabilité, par délégation à ces autorités ou à des entreprises de marché ;

d) par saisine des autorités judiciaires compétentes.

2. Afin de mener à bien leurs missions au titre du présent règlement, les autorités compétentes sont dotées, conformément au droit national, au moins des pouvoirs de surveillance et d’enquête suivants :

[...]

b) exiger des informations de toute personne ou leur en demander, y compris les personnes qui interviennent successivement dans la transmission des ordres ou dans l’exécution des opérations en cause ainsi qu’aux mandants de celles‑ci, et, si nécessaire, convoquer une personne et l’interroger afin d’obtenir des informations ;

[...] »

10. L’article 30 de ce règlement, intitulé « Sanctions administratives et autres mesures administratives », dispose :

« 1. Sans préjudice de toute sanction pénale et des pouvoirs de surveillance des autorités compétentes au titre de l’article 23, les États membres, conformément au droit national, font en sorte que les autorités compétentes aient le pouvoir de prendre les sanctions administratives et autres mesures administratives appropriées en ce qui concerne au moins les violations suivantes :

[...]

b) défaut de coopérer ou de se soumettre à une enquête ou une inspection ou à une demande visée à l’article 23, paragraphe 2.

[...] »

C. Le droit italien

11. La république italienne a transposé la directive 2003/6 par l’article 9 de la legge n. 62 – Disposizioni per l’adempimento di obblighi derivanti dall’appartenenza dell’Italia alle Comunità europee. Legge comunitaria 2004 (loi nº 62, portant dispositions destinées à exécuter des obligations découlant de l’appartenance de l’Italie aux Communautés européennes – Loi communautaire de 2004), du 18 avril 2005 (GURI nº 96, du 27 avril 2005 – supplément ordinaire à la GURI nº 76). Cet article a intégré dans le Testo unico delle disposizioni in materia di intermediazione finanziaria, ai sensi degli articoli 8 e 21 della legge n. 52 (texte unique des dispositions en matière d’intermédiation financière en application des articles 8 et 21 de la loi nº 52), du 6 février 1996 (ci‑après le « texte unique »), qui figure dans le decreto legislativo n. 58 (décret législatif nº 58), du 24 février 1998 (supplément ordinaire à la GURI nº 71, du 26 mars 1998), de nombreuses dispositions, parmi lesquelles l’article 187 bis, relatif à l’infraction administrative de délit d’initié, et l’article 187 quinquiesdecies, relatif aux sanctions applicables en cas de défaut de coopération dans le cadre d’une enquête.

12. L’article 187 bis du texte unique, dans sa version en vigueur à la date des faits au principal, était intitulé « Délit d’initié » et était libellé comme suit :

« 1. Sans préjudice de sanctions pénales lorsque le fait est constitutif d’une infraction, est passible d’une sanction administrative pécuniaire comprise entre vingt mille euros et trois millions d’euros, toute personne qui, étant en possession d’informations privilégiées en raison de sa qualité de membre des organes d’administration, de direction ou de surveillance de l’émetteur, de sa participation dans le capital de l’émetteur ou de l’exercice d’un travail, d’une profession ou d’une fonction, y compris publique, ou d’une charge :

a) acquiert, vend ou effectue d’autres opérations, directement ou indirectement, pour son propre compte ou pour le compte d’un tiers, sur des instruments financiers, en utilisant lesdites informations ;

b) communique des informations à d’autres personnes, en dehors du cadre normal de l’exercice de son emploi, sa...

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