Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 28 janvier 2021.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2021:77
Celex Number62019CC0742
Date28 January 2021
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 28 janvier 2021 (1)

Affaire C742/19

B. K.

contre

Republika Slovenija (Ministrstvo za obrambo)

[demande de décision préjudicielle formée par le Vrhovno sodišče Republike Slovenije (Cour suprême de la République de Slovénie)]

« Renvoi préjudiciel – Protection de la sécurité et de la santé des travailleurs – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE – Champ d’application – Article 1er, paragraphe 3 – Directive 89/391/CEE – Article 2, paragraphes 1 et 2 – Applicabilité aux militaires des forces armées des États membres – Directive 2003/88/CE – Article 2, point 1 – Notion de “temps de travail” – Activité de garde des installations militaires »






I. Introduction

1. Par la présente demande de décision préjudicielle, le Vrhovno sodišče Republike Slovenije (Cour suprême de la République de Slovénie) a déféré à la Cour deux questions relatives à l’interprétation de la directive 2003/88/CE concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (2).

2. Ces questions s’inscrivent dans le cadre d’un litige opposant B. K., un ancien sous-officier de l’armée slovène, à la République de Slovénie (ministère de la Défense), son ex-employeur, au sujet de la rémunération devant lui être versée en contrepartie de l’activité de garde d’installations militaires qu’il a régulièrement effectuée au cours de son service.

3. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi invite la Cour, en substance, à préciser si les personnes exerçant des fonctions militaires dans les forces armées des États membres (ci-après les « militaires » ou les « membres des forces armées ») relèvent du champ d’application de la directive 2003/88 et si, en conséquence, leur temps de travail doit être comptabilisé, aménagé et limité conformément aux prescriptions de cette directive, y compris lors d’une telle activité de garde.

4. La directive 2003/88 a déjà fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour. Les questions posées dans la présente affaire n’en demeurent pas moins inédites et éminemment sensibles. En effet, la question de l’aménagement du temps de travail des militaires touche au fonctionnement des forces armées des États membres, institutions souvent considérées, par ces derniers, comme étant la « clef de voûte » de leur souveraineté, et dont l’organisation relève, en principe, de la compétence exclusive de chacun d’eux. En outre, la crainte est que l’application de cette directive aux militaires nuise, en pratique, à la capacité opérationnelle desdites forces.

5. La présente affaire confrontera donc la Cour à un contexte militaire qu’elle n’a que rarement eu l’occasion de connaître. Toute la difficulté sera, pour elle, de trouver un « juste équilibre » entre, d’une part, les droits des militaires, en tant que travailleurs, à la santé et à la sécurité au travail, y compris à la limitation du temps de travail et, d’autre part, l’intérêt des États membres à la bonne marche de leurs forces armées, indispensable à la sauvegarde de leur sécurité nationale.

6. Dans les présentes conclusions, j’inviterai la Cour à juger, afin d’assurer cet équilibre, que les militaires relèvent, en principe, du champ d’application de la directive 2003/88. Néanmoins, ils en sont exclus lorsqu’ils effectuent certaines « activités spécifiques » des forces armées, dans les conditions que je détaillerai. J’expliquerai également pourquoi une activité telle que la garde des installations militaires n’en fait, en principe, pas partie.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La directive 89/391/CEE

7. L’article 2 de la directive 89/391/CEE concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (3) prévoit :

« 1. La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics (activités industrielles, agricoles, commerciales, administratives, de service, éducatives, culturelles, de loisirs, etc.).

2. La présente directive n’est pas applicable lorsque des particularités inhérentes à certaines activités spécifiques dans la fonction publique, par exemple dans les forces armées ou la police, ou à certaines activités spécifiques dans les services de protection civile s’y opposent de manière contraignante.

Dans ce cas, il y a lieu de veiller à ce que la sécurité et la santé des travailleurs soient assurées, dans toute la mesure du possible, compte tenu des objectifs de la présente directive. »

2. La directive 2003/88

8. L’article 1er de la directive 2003/88 dispose, à son paragraphe 3 :

« La présente directive s’applique à tous les secteurs d’activités, privés ou publics, au sens de l’article 2 de la [directive 89/391], sans préjudice des articles 14, 17, 18 et 19 de la présente directive.

Sans préjudice de l’article 2, paragraphe 8, la présente directive ne s’applique pas aux gens de mer, tels que définis dans la directive 1999/63/CE (4). »

9. L’article 2 de cette directive prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

1. “temps de travail” : toute période durant laquelle le travailleur est au travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de son activité ou de ses fonctions, conformément aux législations et/ou pratiques nationales ;

[...] »

B. Le droit slovène

10. L’article 142 du Zakon o delovnih razmerjih (loi sur les relations de travail) (Uradni list RS, nº 21/2013) dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« (1) Le temps de travail comprend le temps de travail effectif et le temps de repos au titre de l’article 154 de la présente loi ainsi que les périodes d’absence justifiée du travail conformément à la loi et à une convention collective ou un acte de portée générale.

(2) Le temps de travail effectif comprend toute période pendant laquelle l’employé travaille, ce qui signifie qu’il se tient à la disposition de l’employeur et remplit ses obligations professionnelles en vertu du contrat de travail. »

11. L’article 23 du Zakon o sistemu plač v javnem sektorju (loi relative au système de rémunération dans le secteur public) (Uradni list RS, nº 56/02 et suivants) dispose que les agents publics, y compris les personnes employées dans l’armée slovène, ont droit, notamment, à une indemnité pour le travail réalisé à des horaires moins favorables, telle que prévue à l’article 32, paragraphe 3, de cette loi. Cette dernière disposition précise que les agents publics ont également droit à une indemnité d’astreinte. Le paragraphe 5 de cet article prévoit que le montant de l’indemnité d’astreinte est déterminé par la convention collective pour le secteur public.

12. L’article 46 de la Kolektivna pogodba za javni sektor (convention collective pour le secteur public), dans sa version en vigueur durant la période en cause dans l’affaire au principal (Uradni list RS, n° 57/2008 et suivants), stipule que « [l]es agents publics ont droit à un supplément pour les périodes d’astreinte à hauteur de 20 % du taux horaire du traitement de base. Les périodes d’astreinte ne sont pas à considérer pour les agents publics comme du temps de travail ».

13. Les motifs de cette convention collective (Uradni list RS, n° 112-4869/2008) précisent que « [l’]astreinte signifie que l’agent public doit pouvoir être joint pour pouvoir se rendre au travail en dehors de son temps de travail. L’astreinte doit être imposée par écrit. Le montant de l’indemnité d’astreinte est le même, indépendamment du fait que l’agent public est soumis à une astreinte de jour, de nuit, un jour ouvrable, un dimanche ou un jour férié ».

14. Le Zakon o obrambi (loi sur la défense) (Uradni list RS, nº 92/94 et suivants) régit notamment les droits et obligations des travailleurs qui, à titre professionnel, exercent leur travail dans le domaine de la défense (5). L’article 96 de cette loi dispose, à son paragraphe 1, que le travailleur qui, à titre professionnel, exerce son travail dans le domaine de la défense est tenu, sur décision d’un supérieur et pour les besoins du service, d’exercer le travail selon des conditions de travail particulières. Le paragraphe 2 de cet article précise qu’est considéré comme tel le travail effectué pendant un temps de travail qui est moins favorable pour le travailleur ainsi que le travail effectué dans des conditions de travail moins favorables ou avec des charges supplémentaires, dont font partie l’astreinte ou la possibilité d’être joint et la tenue de gardes. Le paragraphe 3 dudit article énonce que, si le travailleur travaille pendant la période d’astreinte, le temps de travail effectif est considéré comme du travail effectué pendant des heures de travail prolongées s’il n’en est pas disposé autrement par la loi.

15. L’article 97e de la loi sur la défense dispose, à son paragraphe 1, que l’astreinte est le temps pendant lequel le travailleur qui travaille dans le domaine de la défense doit être en disponibilité pour travailler sur son lieu de travail, en un lieu déterminé ou à la maison. Le paragraphe 2 de cet article précise que la période d’astreinte n’est pas incluse dans le compte des heures d’obligations professionnelles hebdomadaires ou mensuelles. Si le travailleur doit, pendant la période d’astreinte, effectivement travailler, ces heures de travail effectif sont incluses dans le compte des heures d’obligations professionnelles hebdomadaires ou mensuelles. Le paragraphe 3 dudit article indique que le ministre détermine les cas et les modes d’exercice de l’astreinte dans les espaces professionnels, en un endroit déterminé ou à la maison. Les cas et les modes d’exercice de l’astreinte dans l’armée sont déterminés par le chef d’état-major. Le paragraphe 4 du même article prévoit que l’astreinte en un lieu déterminé est assimilée à l’astreinte sur le lieu de travail.

16. L’article 97č de la loi sur la défense dispose, à son paragraphe 1, que les gardes durent en règle générale 24 heures ininterrompues. Le paragraphe 2 de cet...

To continue reading

Request your trial
2 practice notes
  • Opinion of Advocate General Ćapeta delivered on 14 July 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 14 July 2022
    ...(C‑103/01, EU:C:2002:738, point 31) et conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans l’affaire Ministrstvo za obrambo (C‑742/19, EU:C:2021:77, point 25). Voir, également, Bercusson, B., European Labour Law, 2e éd., CUP, Cambridge, 2009, p. 58 ; et Barnard, C., EU Employment Law, 4e......
  • Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 8 March 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 8 March 2022
    ...véanse también las conclusiones del Abogado General Saugmandsgaard Øe presentadas en el asunto Ministrstvo za obrambo (C‑742/19, EU:C:2021:77), puntos 47 y 48. En la doctrina jurídica, véase, por ejemplo, Di Federico, G., «The Potential of Article 4(2) TEU in the Solution of Constitutional ......
2 cases
  • Opinion of Advocate General Ćapeta delivered on 14 July 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 14 July 2022
    ...(C‑103/01, EU:C:2002:738, Nr. 31) sowie des Generalanwalts Saugmandsgaard Øe in der Rechtssache Ministrstvo za obrambo (C‑742/19, EU:C:2021:77, Nr. 25). Vgl. auch Bercusson, B., European Labour Law, 2. Aufl., CUP, Cambridge, 2009, S. 58, und Barnard, C., EU Employment Law, 4. Aufl., OUP, Ox......
  • Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 8 March 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 8 March 2022
    ...85 and 25 respectively. 47 On these issues, see also Opinion of Advocate General Saugmandsgaard Øe in Ministrstvo za obrambo (C‑742/19, EU:C:2021:77, points 47 and 48). In legal scholarship, see for example Di Federico, G., ‘The Potential of Article 4(2) TEU in the Solution of Constitutiona......

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT