conclusions de l’avocat général Pitruzzella dans l’affaire Wagram Invest

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:1022
Celex Number62018CC0640
Date27 November 2019
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 27 novembre 2019 (1)

Affaire C640/18

Wagram Invest SA

contre

État belge

[demande de décision préjudicielle formée par la cour d’appel de Mons (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Quatrième directive 78/660/CEE – Comptes annuels de certaines formes de sociétés – Principe de l’image fidèle – Article 2, paragraphes 3 à 5 – Achat d’une immobilisation financière par une société anonyme – Inscription aux charges du compte de résultat d’un escompte lié à une dette à plus d’un an, non productive d’intérêts, et inscription du prix d’acquisition de l’immobilisation à l’actif du bilan sous déduction de l’escompte – Obligation de fournir des informations complémentaires – Dérogation à une disposition de la directive dans des “cas exceptionnels” »






1. La présente affaire a trait à une demande de décision préjudicielle introduite par la cour d’appel de Mons (Belgique) portant sur l’interprétation de la quatrième directive 78/660/CEE (2) (ci-après la « directive 78/660 ») concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés.

2. Cette demande de décision préjudicielle vise en substance à vérifier la conformité avec le principe de l’image fidèle, énoncé à l’article 2, paragraphes 3 à 5, de la directive 78/660 (3), lu à la lumière d’autres dispositions de la même directive, d’une méthode utilisée pour comptabiliser des acquisitions d’actions effectuées par la société Wagram Invest SA.

3. Un litige de nature fiscale opposant Wagram Invest aux autorités fiscales belges est à l’origine de cette affaire qui donnera à la Cour l’occasion de clarifier une fois de plus la portée du principe de l’image fidèle des comptes annuels qui constitue l’objectif primordial des dispositions de l’Union européenne concernant les comptes et les états financiers des entreprises (4). La Cour est également appelée à apporter des précisions sur la relation entre, d’une part, l’obligation de fournir des informations complémentaires prévue à l’article 2, paragraphe 4, de la directive 78/660 et, d’autre part, la possibilité, dans des cas exceptionnels, de déroger à une disposition, conformément à l’article 2, paragraphe 5, de ladite directive.

I. Cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. Aux termes de l’article 2, paragraphes 3 à 5, de la directive 78/660 :

« 3. Les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que des résultats de la société.

4. Lorsque l’application de la présente directive ne suffit pas pour donner l’image fidèle visée au paragraphe 3, des informations complémentaires doivent être fournies.

5. Si, dans des cas exceptionnels, l’application d’une disposition de la présente directive se révèle contraire à l’obligation prévue au paragraphe 3, il y a lieu de déroger à la disposition en cause afin qu’une image fidèle au sens du paragraphe 3 soit donnée. Une telle dérogation doit être mentionnée dans l’annexe et dûment motivée, avec indication de son influence sur le patrimoine, la situation financière et les résultats. Les États membres peuvent préciser les cas exceptionnels et fixer le régime dérogatoire correspondant. »

5. L’article 31, paragraphe 1, de la directive 78/660 dispose :

« Les États membres assurent que l’évaluation des postes figurant dans les comptes annuels se fait suivant les principes généraux suivants :

[...]

c) le principe de prudence doit en tout cas être observé [...] »

6. Aux termes de l’article 32 de la directive 78/660 :

« L’évaluation des postes figurant dans les comptes annuels se fait selon les dispositions des articles 34 à 42, fondées sur le principe du prix d’acquisition ou du coût de revient. »

7. L’article 35 de la directive 78/660 prévoit :

« 1. a) Les éléments de l’actif immobilisé doivent être évalués au prix d’acquisition ou au coût de revient sans préjudice des lettres b) et c).

[…]

2. Le prix d’acquisition s’obtient en ajoutant les frais accessoires au prix d’achat.

[…] »

B. Le droit belge

8. L’article 24 de l’arrêté royal du 30 janvier 2001 portant exécution du code des sociétés (5) (ci‑après l’« arrêté royal ») dispose, à son premier alinéa, que les comptes annuels doivent donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de la société et, à son second alinéa, que si l’application des dispositions de cet arrêté ne suffit pas pour satisfaire à cette obligation, des informations complémentaires doivent être fournies dans l’annexe.

9. L’article 29, premier alinéa, de l’arrêté royal précise que, dans le cas exceptionnel où l’application des règles d’évaluation ne conduirait pas au respect de l’article 24, premier alinéa, il y a lieu d’y déroger par application dudit article.

10. Conformément à l’article 35 dudit arrêté royal, sans préjudice de l’application des articles 29, 67 et 77, les éléments d’actif sont évalués à leur valeur d’acquisition et sont portés au bilan pour cette même valeur, déduction faites des amortissements et réductions de valeurs y afférents. Par valeur d’acquisition, il faut entendre, soit le prix d’acquisition, soit le coût de revient, soit la valeur d’apport (6).

11. L’article 67 de l’arrêté royal concerne l’inscription au bilan des créances. Aux termes de son paragraphe 1, « [s]ans préjudice aux dispositions du § 2 du présent article […], les créances sont portées au bilan à leur valeur nominale ».

12. Toutefois, le paragraphe 2, sous c), du même article 67, prévoit un régime comptable particulier pour certains types de créances. Plus spécifiquement, aux termes de cette disposition, l’inscription au bilan des créances à leur valeur nominale s’accompagne de l’inscription en comptes de régularisation du passif et de la prise en résultats prorata temporis sur la base des intérêts composés de l’escompte de créances qui ne sont pas productives d’intérêt ou qui sont assorties d’un intérêt anormalement faible, lorsque ces créances : 1) sont remboursables à une date éloignée de plus d’un an, à compter de leur entrée dans le patrimoine de la société, et 2) sont afférentes soit à des montants actés en tant que produits au compte de résultats, soit au prix de cession d’immobilisations ou de branches d’activités.

13. L’article 77 de l’arrêté royal étend aux dettes le régime concernant les créances, prévu à l’article 67 du même arrêté royal. Cet article 77 dispose, notamment, que ledit article 67 est d’application analogue aux dettes de nature et de durée correspondantes.

II. Le litige au principal et les questions préjudicielles

14. Par deux conventions, l’une du 10 janvier 1997 et l’autre du 10 mars 1999, Wagram Invest a acquis à deux reprises de son gérant des actions d’une société. Par la première convention, Wagram Invest a acquis 2 005 actions de cette société pour un prix équivalent à 594 944,45 euros, payable en 16 semestrialités sans intérêts. Par la seconde convention, Wagram Invest a acquis 1 993 actions de ladite société pour un prix équivalent à 787 319,75 euros, payable en 12 semestrialités, sans intérêts (7).

15. Afin de comptabiliser lesdites opérations d’achat d’actions, Wagram Invest, en application de l’article 77 de l’arrêté royal, a passé les écritures comptables suivantes.

16. Premièrement, elle a inscrit au passif de son bilan les dettes à l’égard du gérant parmi les dettes à plus d’un an pour leur valeur nominale, à savoir une valeur équivalent à 594 944,45 euros pour l’acquisition de 1997 et une valeur équivalent à 787 319,75 euros pour l’acquisition de 1999 (8).

17. Deuxièmement, elle a inscrit à l’actif les 2 005 actions acquises en 1997 à une valeur actualisée équivalent à 452 004,76 euros et les 1 993 actions acquises en 1999 à une valeur actualisée équivalent à 641 332,82 euros (9).

18. Le taux d’escompte retenu pour l’actualisation était le taux du marché applicable à de telles dettes au moment de leur entrée dans le patrimoine, à savoir 8 %.

19. Troisièmement, elle a pris en compte la régularisation de l’escompte consistant en la différence entre la valeur nominale de la dette et la valeur actualisée de l’immobilisation, soit une valeur équivalant à 142 939,69 euros pour l’acquisition de 1997 et une valeur équivalant à 145 986,93 euros pour l’acquisition de 1999 (10).

20. Quatrièmement, elle a considéré comme charges financières, à la clôture de chaque exercice, un prorata de charges à reporter correspondant à l’escompte de la dette.

21. Ainsi, à la clôture de l’exercice fiscal de l’année 2000, Wagram Invest a comptabilisé un prorata de charges d’un montant équivalant à 48 843,41 euros, à savoir un montant équivalant à 24 801,9 euros pour les actions acquises en 1997 et à 24 041,5 euros pour celles acquises en 1999 (11).

22. À la clôture de l’exercice fiscal de l’année 2001, Wagram Invest a comptabilisé un prorata de charges d’un montant équivalant à 66 344,17 euros, soit à 20 899,7 euros pour les actions acquises en 1997 et à 45 444,5 euros pour celles acquises en 1999 (12).

23. À la suite d’un contrôle, l’administration fiscale belge a estimé devoir rejeter les charges d’escompte comptabilisées et déduites pour les exercices d’imposition 2000 et 2001 et, malgré le désaccord de Wagram Invest, lui a adressé une décision de taxation le 28 octobre 2002.

24. L’administration fiscale belge a, notamment, considéré que la prise en charge d’un escompte fictif par réduction du prix d’acquisition de l’immobilisation conduisait à exprimer une moins-value sur titres qui n’était pas justifiée économiquement et dont la prise en charge de manière étalée n’était pas admise fiscalement (13).

25. Sur cette base, l’administration fiscale belge a enrôlé à charge de Wagram Invest deux cotisations supplémentaires à l’impôt des sociétés pour les exercices d’imposition 2000 et 2001, respectivement les 20 novembre 2002 et 18 novembre 2002.

26. Après avoir présenté une réclamation n’ayant pas reçu de décision dans le délai applicable, Wagram Invest a introduit, le...

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