L'évolution du cadre national de la régulation sous l'influence du droit communautaire

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L'édiction de règles communautaires contraignantes de plus en plus précises relatives aux conditions d'exercice de la régulation des services publics (Section I) contraint le cadre institutionnel de cette régulation a évolué sensiblement au niveau national (Section II).

Section I L'encadrement communautaire des conditions de la régulation nationale

Progressivement, le droit communautaire applicable à la plupart des secteurs de service public en réseau encadre les conditions dans lesquelles la régulation de ces secteurs est organisée par les États membres. Ainsi, après qu'un principe général de dissociation des activités de régulateur et d'opérateur de service public se soit forgé (Paragraphe I), une définition communautaire du régulateur sectoriel semble par ailleurs s'imposer (Paragraphe II).

§ I - Le principe communautaire de dissociation des fonctions d'opérateur et de régulateur du service public

C'est en mettant en avant un objectif d'une concurrence transparente que le droit communautaire justifie la séparation des fonctions d'opérateur et de régulateur d'une activité de service public. D'une manière générale, le cumul d'activités économiques et de fonctions d'autorité publique est interdit afin qu'une entreprise à la fois titulaire de droits exclusifs et/ou spéciaux et exerçant un pouvoir administratif et/ou réglementaire dans le secteur soumis à concurrence, ne puisse pas abuser de sa position privilégiée. En d'autres termes, l'entreprise, fût-elle de service public, ne peut être juge et partie dans le marché sur lequel elle intervient. Si la Page 272 jurisprudence de la Cour de justice s'est révélée pionnière pour affirmer cette règle de bon sens (A), le droit communautaire dérivé prend le relais, non sans hésitation selon les secteurs (B).

A - Un principe d'origine jurisprudentielle

Le principe de séparation entre les fonctions d'opérateur et de régulateur trouve ses origines dans la jurisprudence de la Cour de justice. On peut le déduire de l'argumentation développée dans un premier arrêt rendu le 20 mars 1985 dans une affaire « République italienne contre Commission » 1156. La Cour a approuvé une décision de la Commission 1157 qui condamnait l'entreprise publique « British Telecom « pour abus de position dominante dans l'exercice de ses activités réglementaires qui l'ont conduit à édicter une réglementation restrictive à l'encontre notamment des agences britanniques de réexpédition de messages dans le trafic des télécommunications. Elle les empêchait ainsi de faire concurrence à « British Telecom » dans l'exercice de ses autres activités de services de télécommunications. Le cumul d'activités de prestation et de réglementation était donc implicitement condamné par la Cour.

La Commission a finalement donné au juge communautaire l'occasion d'être plus explicite. La directive nº 88/301 précitée qu'elle a adopté le 16 mai 1988, relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunication oblige les États membres à confier la formalisation des spécifications techniques pour l'agrément des appareils terminaux à « une entité indépendante des entreprises publiques ou privées offrant des biens et/ou des services dans le domaine des télécommunications » 1158. La disposition, contestée par la France, a été confirmée par la Cour de justice dans son arrêt précité du 19 mars 1991, sur la base du raisonnement suivant :

Confier à une entreprise qui commercialise des appareils terminaux la tâche de formaliser des spécifications auxquelles devront répondre les appareils terminaux, de contrôler leur application et d'agréer ces appareils revient à lui conférer le pouvoir de déterminer, à son gré, quels sont les appareils terminaux susceptibles d'être raccordés au réseau public et à lui octroyer ainsi un avantage évident sur ses concurrents

1159.

La Cour a justifié son raisonnement au nom du principe de concurrence non faussée qui veut que « l'égalité des chances entre les différents opérateurs » soit assurée. La jurisprudence est depuis lors constante et a été appliquée à l'égard de plusieurs organismes nationaux : ainsi de la Régie belge des télégraphes et des télé- Page 273 phones 1160 ; de la Direction générale des télécommunications du ministère fran- çais des Postes et Télécommunications 1161 ou encore du Laboratoire d'essais d'agréments du Centre national d'études des télécommunications (CNET) français 1162. Dans tous les cas, le juge communautaire rappelle qu'« il appartient au juge national d'en tirer les conséquences », à la lumière éventuellement des dispositions du droit dérivé communautaire applicable aux différents réseaux de service public.

B - Une application sectorielle contrastée dans le droit dérivé

Faisant écho à l'affirmation jurisprudentielle du principe de séparation régulateur/opérateur, le législateur communautaire a commencé à en faire application dans le secteur des télécommunications : la Commission en a pris l'initiative dans la directive précitée de 1988 relative à la concurrence dans les marchés de terminaux de télécommunications, adoptée sur le fondement de l'ex-article 90 § 3 CE, après que le Conseil se soit abstenu, semble-t-il, de le faire à l'occasion de l'adoption de la directive du 24 juillet 1986 concernant la première étape de la reconnaissance mutuelle des agréments d'équipements terminaux de télécommunications 1163. La démarche a été toutefois confirmée par le Conseil dans sa directive du 5 juin 1992 relative à l'application de la fourniture d'un réseau ouvert aux lignes louées, qui précise que les organes régulateurs doivent être « juridiquement distincts et fonctionnellement indépendants des organismes de télécommunications » 1164.

La formule a été reprise, plus ou moins dans les mêmes termes, dans la directive « Électricité » de 1996 1165, la directive « Postes » de 1997 qui utilise d'ailleurs explicitement la notion d'opérateurs 1166, ainsi que la directive « Gaz naturel » de 1998 1167. Page 274

Trois questions méritent néanmoins d'être soulevées : le principe de séparation du régulateur et de l'opérateur est-il généralisable à l'ensemble des activités de réseaux de service public ? (1º) ; quelles conséquences doivent en tirer les États membres dans sa transposition en droit interne ? (2º) et quelle évolution peut-il connaître ? (3º).

1. - La généralisation du principe dans le droit dérivé

A priori, compte tenu de son affirmation jurisprudentielle dans l'arrêt « RTT » précité et de l'autorité qui y est attachée, le principe de dissociation des fonctions d'activité et de contrôle est généralisable et applicable à toute activité économique, qu'elle présente un caractère de service public ou non.

Le droit dérivé applicable aux transports ferroviaires suscite toutefois un doute. D'une part, la directive nº 91/440/CEE n'impose que l'indépendance de gestion des entreprises ferroviaires et la séparation entre la gestion de l'infrastructure et l'activité de transport 1168 ; d'autre part, les « directives-filles » prises pour son application en 1995 n'interdisent pas expressément la confusion des fonctions, qu'il s'agisse de l'octroi des licences d'entreprise ferroviaire dans la directive nº 95/18/CE 1169 ou de la répartition des capacités d'infrastructure ferroviaire (dites « sillons ») et la perception de redevances d'utilisation dans la directive nº 95/19/CE 1170. Pourtant, dans les deux cas, les premières versions des textes imposaient la dissociation de ces fonctions de celles d'exploitant ferroviaire. Mais, comme on a pu le faire observer à juste titre, le Conseil a été « sensible aux arguments des Réseaux » et « finalement, les entreprises ferroviaires l'ont emporté » 1171. La Commission n'avait plus qu'à déplorer, dans une déclaration annexe aux directives, qu'un tel cumul restait contraire aux règles de concurrence du traité.

Toujours est-il que certains États membres se sont engouffrés dans la brèche, à l'instar de la France : le décret du 9 mai 1995 transposant la directive de juillet 1991 et par anticipation celles de juin 1995, non seulement ne mentionne pas explicitement la nomination par l'État d'une autorité qui serait spécialement chargée...

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