GVC Services (Bulgaria)

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
ECLIECLI:EU:C:2019:897
Celex Number62018CC0458
Date24 October 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 24 octobre 2019(1)

Affaire C458/18

GVC Services (Bulgaria) EOOD

contre

Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » – Sofia

[demande de décision préjudicielle formée par l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de Sofia, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2011/96/UE – Prévention de la double imposition – Notions de “sociétés constituées conformément au droit du Royaume‑Uni” et de “corporation tax” (impôt des sociétés) au Royaume‑Uni – Statut des sociétés enregistrées à Gibraltar et impôts payés à Gibraltar – Liberté d’établissement »






I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle concerne l’interprétation de l’article 2, sous a), i) et iii), de la directive 2011/96/UE du Conseil, du 30 novembre 2011, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (2), telle que modifiée par la directive (UE) 2015/121 du Conseil, du 27 janvier 2015 (3), et son annexe I, partie A, sous ab) et partie B.

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la société GVC Services (Bulgaria) EOOD, établie en Bulgarie (ci‑après la « requérante ») au Direktor na Direktsia « Obzhalvane i danachno-osiguritelna praktika » Sofia (directeur de la direction « Recours et pratique en matière de fiscalité et de sécurité sociale » pour Sofia de l’administration centrale de l’agence nationale des recettes publiques, ci‑après le « Direktor ») au sujet d’un avis de redressement constatant une dette d’impôt sur les dividendes attribués et versés par la requérante à sa société mère PGB Limited – Gibraltar, établie à Gibraltar, durant la période allant du 13 juillet 2011 au 21 avril 2016.

3. Cette demande de décision préjudicielle amène une nouvelle fois la Cour à se prononcer sur la question du statut de Gibraltar au sein de l’Union européenne. La juridiction de renvoi limite ses questions à l’interprétation du champ d’application de la directive 2011/96. Toutefois, si la Cour suit mon interprétation de la notion de « société d’un État membre » au sens de cette directive, il me semble qu’elle ne pourra pas éviter d’examiner les questions sous l’angle de la liberté d’établissement. En effet, le droit de l’Union ne s’oppose pas à l’imposition des dividendes payés lorsque l’opération ne relève pas du champ d’application de la directive 2011/96, à moins qu’une disposition adoptée à cet effet par un État membre ne soit, en soi, contraire à la libre circulation garantie par le Traité.

II. Le cadre juridique

A. Le droit international

4. Le chapitre XI de la Charte des Nations Unies, signée le 26 juin 1945 à San Francisco, est intitulé « Déclaration relative aux territoires non autonomes ». Son article 73 dispose ce qui suit :

« Les Membres des Nations Unies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles‑mêmes reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationales établi par la présente Charte et, à cette fin :

[…]

e) de communiquer régulièrement au Secrétaire général, à titre d’information, sous réserve des exigences de la sécurité et de considérations d’ordre constitutionnel, des renseignements statistiques et autres de nature technique relatifs aux conditions économiques, sociales et de l’instruction dans les territoires dont ils sont respectivement responsables, autres que ceux auxquels s’appliquent les Chapitres XII et XIII. »

B. Le statut de Gibraltar

5. Le Roi d’Espagne a cédé Gibraltar à la Couronne britannique par le traité d’Utrecht conclu entre le Roi d’Espagne et la Reine de Grande‑Bretagne le 13 juillet 1713, dans le cadre des traités mettant fin à la guerre de succession d’Espagne. L’article X, dernière phrase, de ce traité précise que si la Couronne britannique avait jamais l’intention de donner, de vendre, ou d’aliéner par un quelconque autre moyen la propriété de la ville de Gibraltar, elle serait tenue d’accorder la préférence à la Couronne d’Espagne, par priorité sur tout autre intéressé.

6. En droit international, Gibraltar figure sur la liste des territoires non autonomes au sens de l’article 73 de la Charte des Nations unies. Si le Royaume‑Uni assume les relations extérieures de Gibraltar, il faut toutefois souligner que Gibraltar en tant que tel ne fait pas partie du Royaume‑Uni.

7. En droit de l’Union, Gibraltar est un territoire européen dont un État membre assume les relations extérieures au sens de l’article 355, paragraphe 3, TFUE et auquel les dispositions des traités s’appliquent. L’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et aux adaptations des traités (4) (ci‑après l’« acte d’adhésion de 1972 ») prévoit toutefois que certaines parties du traité ne s’appliquent pas à Gibraltar.

8. L’article 28 de l’acte d’adhésion de 1972 dispose :

« Les actes des institutions de la Communauté visant les produits de l’annexe II du traité CEE et les produits soumis à l’importation dans la Communauté à une réglementation spécifique comme conséquence de la mise en œuvre de la politique agricole commune, ainsi que les actes en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ne sont pas applicables à Gibraltar, à moins que le Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission n’en dispose autrement. »

9. En vertu de l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972, combiné avec l’annexe I, partie I, point 4, de celui‑ci, Gibraltar est exclu du territoire douanier de l’Union.

C. La directive 2011/96

10. Le litige au principal a trait à la période durant laquelle la directive 90/435/CEE du Conseil, du 23 juillet 1990, concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d’États membres différents (5) et la directive 2011/96 étaient applicables. Toutefois, puisque la seconde est une refonte de la première (6), il suffit de citer ici les dispositions pertinentes de la seconde (7).

11. L’article 2, sous a), de la directive 2011/96 dispose :

« Aux fins de l’application de la présente directive, on entend par :

a) “société d’un État membre” : toute société :

i) qui revêt une des formes énumérées à l’annexe I, partie A ;

ii) qui, selon la législation fiscale d’un État membre, est considérée comme ayant dans cet État membre son domicile fiscal et qui, aux termes d’une convention en matière de double imposition conclue avec un État tiers, n’est pas considérée comme ayant son domicile fiscal hors de l’Union ;

(iii) qui, en outre, est assujettie, sans possibilité d’option et sans en être exonérée, à l’un des impôts énumérés à l’annexe I, partie B, ou à tout autre impôt qui viendrait se substituer à l’un de ces impôts. »

12. L’annexe I, partie A, de la directive 2011/96 énumère les sociétés visées à l’article 2, sous a), i). Elle inclut, sous ab), « les sociétés constituées conformément au droit du Royaume‑Uni ». L’annexe I, partie B, de la même directive énumère les impôts visés à l’article 2, sous a), iii), et inclut la « corporation tax au Royaume‑Uni ».

13. Conformément à l’article 5 de la directive 2011/96, « [l]es bénéfices distribués par une filiale à sa société mère sont exonérés de retenue à la source ».

D. Le droit bulgare

14. Les dispositions de droit bulgare pertinentes figurent à l’article 194 du Zakon za korporativnoto podohodno oblagane (loi sur la taxation du revenu des sociétés) (DV nº 105 du 22 décembre 2006), qui dispose :

« 1) Sont assujettis à un impôt prélevé à la source les dividendes et les bonis de liquidation distribués (versés) par des personnes morales résidentes :

1. à des personnes morales étrangères, sauf lorsque les dividendes sont perçus par une personne morale étrangère par l’intermédiaire d’un établissement stable établi dans le pays ;

[…]

3) Le paragraphe 1 n’est pas applicable lorsque les dividendes et les bonis de liquidation sont distribués :

3. […] à une personne morale étrangère ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union européenne ou dans un autre État qui est partie à l’accord sur l’Espace économique européen, sauf lorsqu’il y a distribution cachée de bénéfices. »

III. Les faits au principal

15. La requérante est une société bulgare unipersonnelle à responsabilité limitée active sous la dénomination commerciale de « GVC Services (Bulgaria) EOOD ». Elle a été constituée conformément au Targovski zakon (loi sur le commerce) de la République de Bulgarie. Jusqu’au 1er février 2016, son capital était intégralement détenu par PGB Limited – Gibraltar, une société constituée à Gibraltar. La société bulgare fournit des services de technologies de l’information.

16. Durant la période allant du 13 juillet 2011 au 21 avril 2016, la requérante a distribué des dividendes à sa société mère PGB Limited – Gibraltar et les lui a versés sans retenir ni acquitter d’impôt sur ceux‑ci en Bulgarie, estimant que la société PGB Limited – Gibraltar pouvait être considérée comme une personne morale étrangère ayant son domicile fiscal dans un État membre de l’Union européenne au sens de l’article 194, paragraphe 3, de la loi sur la taxation du revenu des sociétés.

17. Les autorités fiscales compétentes ont au contraire considéré que l’impôt aurait dû être prélevé à la source sur les dividendes distribués et elles ont émis, le 1er décembre 2017, un avis de redressement, qui a été modifié à deux reprises par les avis des 7 et 22 décembre 2017. Cet avis de redressement a constaté des dettes au titre de la retenue à la source à payer sur les dividendes et sur les bonis de liquidation versés à la...

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