Introduction générale

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« L'Europe à l'épreuve de l'intérêt général ».

Sous cet intitulé, Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, clôturait un colloque organisé à Bruxelles en février 1993 et concluait qu'à l'aube du prochain siècle, la notion de service public devait « être réhabilitée, clarifiée et revisitée à l'échelon européen » 1. Les éléments d'un débat à la fois politique, juridique, social et économique sont ainsi résumés autour d'un concept, qui, par définition - ou plutôt par manque de définition -, intègre tous ces éléments : le service public.

Aborder l'étude d'une notion aussi polysémique et chargée de références est souvent présentée comme une tâche difficile, tant le concept de service public semble fuir l'abstraction. Étroitement lié à une autre notion tout aussi insaisis- sable, celle d'intérêt général 2, le service public, de la même façon, « ne se définit pas » mais « se constate » 3. Il s'ouvre par là même à une pluralité de revendications et à l'amalgame, à la fois politique (« service public = État »), juridique (« service public = entreprise publique ») et économique (« service public = monopole »). L'amalgame est d'autant plus fréquent qu'il correspond à une réalité historique aujourd'hui datée, parce que confrontée à un double défi d'adaptation : d'une part, l'adaptation au mouvement de (re)légitimitation et de modernisation de l'action publique à l'échelon national, qui implique une redéfinition du rôle de l'État dans la société contemporaine ; d'autre part, l'adaptation au nouveau cadre institutionnel que constituent l'Union et la Communauté européennes. Page 4

Une étude parallèle des droits nationaux et du droit communautaire peut contribuer à une meilleure compréhension de ce double défi et mettre en évidence les influences réciproques de ces différentes normes dans l'appréhension du concept de service public. Pour autant, le champ d'une telle étude doit être préalablement et nécessairement circonscrit sur la base d'une première explication de texte, c'est-à-dire un premier essai de définition de ce que l'on entend par service public (I). Définition qui restera à vérifier et à affiner, mais qui nous permettra de révéler l'intérêt de l'étude en appréciant le contexte économique et politique dans lequel le concept s'inscrit (II) et d'en marquer les limites sur le plan juridique dans la mesure où le thème du service public devient aisément prétexte à un débat plus large, un débat de société dont la Communauté européenne ne pouvait pas rester à l'écart (III).

§ I - Le champ de l'étude : le texte du service public

Une première définition générale du service public est nécessaire pour délimiter le champ de l'étude qui, d'une part, sans exclure d'appréhender les différents types de services publics, se concentrera le plus souvent sur une catégorie particulière que l'on proposera de désigner sous les termes, encore nouveaux, de « services publics de réseau » (A) et qui, d'autre part, ne s'intéressera pas aux quinze États membres de l'Union européenne, mais uniquement à certains d'entre eux, sur la base d'une représentativité qu'il convient de justifier (B).

A - Le service public de réseau, nouvel objet d'étude

Si l'on prend comme point de départ, la définition du service public la plus communément admise par la doctrine française, celle-ci doit s'énoncer simplement : « une activité constitue un service public quand elle est assurée ou assumée par une personne publique en vue d'un intérêt public » 4. La définition peut paraître des plus larges, mais à ce stade, il s'agit de s'intéresser au type d'activités les plus concernées par le droit communautaire, sans pour autant exclure l'analyse de l'application de ce dernier aux autres catégories de service public, lorsque des principes généraux peuvent en être déduits.

Les besoins sociaux et le développement économique du vingtième et du nouveau siècles font que tout citoyen prétend à un minimum de prestations et d'infra- structures publiques. Les premières correspondent aux exigences tant de l'État de droit (services publics de la sécurité et de la justice, par exemple) que de l'État- Providence (notamment : services publics de l'enseignement, de la santé et de l'assistance sociale) ; les secondes correspondent aux exigences du progrès économique, scientifique et technologique : lorsque pour être opérationnelles, elles doivent reposer sur des infrastructures spécifiques, la théorie économique les iden- Page 5tifie à travers le terme technique de « réseaux » 5, pour l'ériger en une doctrine et en une discipline scientifique autonome : l'économie des réseaux 6. Ces infrastructures permettent ainsi « d'acheminer à partir d'un faible nombre de sources de production l'électricité, le gaz ou l'eau vers le consommateur final (réseau dit de diffusion) ou de fournir un service de transport ou de téléphonie (réseau point à point) » 7. Sont donc ainsi principalement visés les services de fourniture d'énergie et d'eau, ainsi que les services des postes, des télécommunications et des transports. Peuvent être aussi assimilés à ces services, ceux de l'audiovisuel et de la radio-communication. Toutefois, compte tenu de leur spécificité, notamment d'un point de vue technique par rapport aux services traditionnels des télécommunications 8 et d'un point de vue culturel 9, les services audiovisuels ne seront pas en tant que tel retenus au coeur de l'étude, sauf à devoir faire référence à des initia- Page 6 tives ou des textes communautaires dont l'analyse peut permettre d'éclairer l'interprétation des textes applicables aux autres activités de réseaux 10.

Une grande majorité de ces activités de réseau est appréhendée par le droit positif français dans la catégorie juridique des services publics dits industriels et commerciaux (dits « SPIC »), s'opposant aux services publics qualifiés d'administratifs (dits « SPA »). Elles ont en effet pour point commun de présenter un caractère essentiellement économique, orientées vers la sphère du marché : on parle parfois de « services publics marchands » 11. Deux autres termes sont aussi utilisés par les juristes : celui d'une part de « services publics de ou en réseaux » 12 et celui de « services publics économiques » 13.

La notion de « services publics de réseaux » semble progressivement être admise par la doctrine officielle en France. Cette évolution du vocabulaire juridique correspond à une évolution sinon des notions - ce qu'il faudra chercher à mettre en valeur - du moins des mentalités juridiques, au contact du droit communautaire. Ainsi, alors que le Conseil d'État, dans son rapport public pour 1994, tentait de justifier une conception extensive des services publics 14, son vice-président a reconnu deux ans plus tard, dans un rapport sur le service public Page 7 remis au Premier ministre, que le « malaise » révélé par l'Union européenne ne concernait en fait que les « secteurs de services publics en réseaux » et que ce n'est que « d'eux seulement que l'on veut parler lorsque l'on évoque le service public à la française » 15. Même si l'approche peut paraître à certains égards réductrice, c'est de ces activités dont il s'agira ici à titre principal, tout en réservant parfois des références aux services publics administratifs, le plus souvent à titre de comparaison. Ce sont d'ailleurs à l'égard des seuls services publics de réseau que la Communauté européenne se voit reconnaître la plus grande compétence pour agir, comme nous aurons à le vérifier.

Une troisième expression est proposée par certains auteurs en vue d'une synthèse des acceptions économiques et juridiques : celle de « service d'utilité publique ». Privilégiée par une partie de la doctrine économique 16, la notion de service d'utilité publique présenterait l'avantage pour les juristes de trouver une traduction anglo-saxonne dans la théorie de la « public utility ». Mais le rapprochement doit être envisagé avec prudence, et soulève la question de la barrière linguistique, et par là même occasion, la question du choix des États membres à étudier.

B - Le choix des états membres et le champ linguistique de l'étude

Autant, si ce n'est davantage, que tout autre concept juridique, la traduction du vocable « service public » est un préalable incontournable à son étude en droit comparé. Compte tenu de la diversité linguistique de la Communauté européenne qui reconnaît onze langues...

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