Cresco Investigation GmbH v Markus Achatzi.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:43
Docket NumberC-193/17
Celex Number62017CJ0193
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date22 January 2019
62017CJ0193

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

22 janvier 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 21 – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Directive 2000/78/CE – Article 2, paragraphe 2, sous a) –Discrimination directe en raison de la religion – Législation nationale octroyant à certains travailleurs un jour de congé le Vendredi saint – Justification – Article 2, paragraphe 5 – Article 7, paragraphe 1 – Obligations des employeurs privés et du juge national découlant d’une incompatibilité du droit national avec la directive 2000/78 »

Dans l’affaire C‑193/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 24 mars 2017, parvenue à la Cour le 13 avril 2017, dans la procédure

Cresco Investigation GmbH

contre

Markus Achatzi,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice‑présidente, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, Mmes A. Prechal, C. Toader et M. C. Lycourgos (rapporteur), présidents de chambre, MM. A. Rosas, M. Ilešič, M. Safjan, D. Šváby, C. Vajda et S. Rodin, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 10 avril 2018,

considérant les observations présentées :

pour Cresco Investigation GmbH, par Me M. Zehetbauer, Rechtsanwältin,

pour M. Achatzi, par Me A. Obereder, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de MM. P. Gentili et F. De Luca, avvocati dello Stato,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna ainsi que par Mmes M. Szwarc et A. Siwek, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. B.-R. Killmann et D. Martin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 juillet 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que de l’article 1er, de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de l’article 2, paragraphe 5, et de l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Cresco Investigation GmbH (ci-après « Cresco ») à M. Markus Achatzi au sujet du droit de ce dernier à bénéficier d’une indemnité complémentaire à la rémunération perçue pour les prestations accomplies durant un Vendredi saint.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3

Le considérant 24 de la directive 2000/78 énonce :

« L’Union européenne a reconnu explicitement dans sa déclaration no 11 relative au statut des Églises et des organisations non confessionnelles, annexée à l’acte final du traité d’Amsterdam, qu’elle respecte et ne préjuge pas le statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Églises et les associations ou communautés religieuses dans les États membres et qu’elle respecte également le statut des organisations philosophiques et non confessionnelles. Dans cette perspective, les États membres peuvent maintenir ou prévoir des dispositions spécifiques sur les exigences professionnelles essentielles, légitimes et justifiées susceptibles d’être requises pour y exercer une activité professionnelle. »

4

L’article 1er de cette directive est libellé comme suit :

« La présente directive a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée sur la religion ou les convictions, [le] handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement. »

5

L’article 2 de ladite directive dispose :

« 1. Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2. Aux fins du paragraphe 1 :

a)

une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

[...]

5. La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prévues par la législation nationale qui, dans une société démocratique, sont nécessaires à la sécurité publique, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d’autrui. »

6

L’article 7 de la même directive, intitulé « Action positive et mesures spécifiques », dispose, à son paragraphe 1 :

« Pour assurer la pleine égalité dans la vie professionnelle, le principe de l’égalité de traitement n’empêche pas un État membre de maintenir ou d’adopter des mesures spécifiques destinées à prévenir ou à compenser des désavantages liés à l’un des motifs visés à l’article 1er. »

7

L’article 16 de la directive 2000/78 prévoit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que :

a)

soient supprimées les dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement ;

b)

soient ou puissent être déclarées nulles et non avenues ou soient modifiées les dispositions contraires au principe de l’égalité de traitement qui figurent dans les contrats ou les conventions collectives, dans les règlements intérieurs des entreprises, ainsi que dans les statuts des professions indépendantes et des organisations de travailleurs et d’employeurs. »

Le droit autrichien

8

L’article 1er, paragraphe 1, de l’Arbeitsruhegesetz (loi sur le repos et les jours fériés, BGBl. 144/1983), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après l’« ARG »), dispose :

« La présente loi fédérale s’applique à tous les travailleurs sous réserve de dispositions contraires de cette même loi ».

9

L’article 7 de cette loi prévoit :

« (1) Les jours fériés, le travailleur a droit à une période de repos ininterrompue d’au moins 24 heures, qui débute au plus tôt à 0 heure et au plus tard à 6 heures le jour férié.

(2) Au sens de la présente loi fédérale, les jours fériés sont :

le 1er janvier (jour de l’An), le 6 janvier (Épiphanie), le lundi de Pâques, le 1er mai (fête de l’État), l’Ascension, le lundi de Pentecôte, la Fête-Dieu, le 15 août (Assomption), le 26 octobre (fête nationale), le 1er novembre (Toussaint), le 8 décembre (Immaculée Conception), le 25 décembre (Noël) et le 26 décembre (Saint-Étienne).

(3) Pour les membres des Églises protestantes des confessions d’Augsbourg et helvétique, de l’Église vieille‑catholique et de l’Église évangélique méthodiste, le Vendredi saint est également un jour férié.

[...] »

10

Selon l’article 9 de la même loi :

« (1) Le chômage d’un jour férié [...] n’entraîne pas pour le travailleur de perte de son droit à rémunération.

(2) Le travailleur a droit à la rémunération qu’il aurait perçue en l’absence de chômage pour les motifs mentionnés au paragraphe 1.

[...]

(5) Le travailleur qui est occupé pendant la période de repos afférente aux jours fériés a droit, en plus de la rémunération au titre du paragraphe 1, à la rémunération correspondant au travail accompli, à moins qu’une récupération des heures au sens de l’article 7, paragraphe 6, ait été convenue. »

11

La directive 2000/78 a été transposée dans le droit autrichien notamment par la Gleichbehandlungsgesetz (loi relative à l’égalité de traitement, BGBl. I, 66/2004). Celle-ci énonce un principe de non‑discrimination dans le cadre de la relation de travail, en particulier en raison de la religion ou des convictions, pour ce qui est de la fixation de la rémunération ainsi que des autres conditions de travail.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

12

En vertu de l’article 7, paragraphe 3, de l’ARG, le Vendredi saint est un jour férié payé, assorti d’une période de repos de 24 heures, pour les membres des Églises protestantes des confessions d’Augsbourg et helvétique, de l’Église vieille-catholique et de l’Église évangélique méthodiste (ci-après les « églises visées par l’ARG »). Si un membre de l’une de ces églises travaille néanmoins durant cette journée, il a droit à une rémunération supplémentaire pour ce jour férié (ci-après l’« indemnité de jour férié »).

13

M. Achatzi est un travailleur salarié de Cresco, agence de détectives privés, et n’est membre d’aucune des églises visées par l’ARG. Il estime avoir été privé de manière discriminatoire de l’indemnité de jour férié pour le travail qu’il a effectué le 3 avril 2015, jour du Vendredi saint, et sollicite, à ce titre, le paiement, par son employeur, de 109,09 euros, majorés des intérêts.

14

La juridiction d’appel a réformé le jugement de première instance ayant rejeté le recours introduit par M. Achatzi.

15

Saisie d’un pourvoi introduit par Cresco contre cette décision d’appel, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche) relève, tout d’abord, que, sur les treize jours fériés énumérés à l’article 7, paragraphe 2, de l’ARG, tous, à l’exception des 1er mai et 26...

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