Mylène Troszczynski v European Parliament.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:725
Docket NumberC-12/19
Date17 September 2020
Celex Number62019CJ0012
CourtCourt of Justice (European Union)
62019CJ0012

ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

17 septembre 2020 ( *1 )

« Pourvoi – Droit institutionnel – Membre du Parlement européen – Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne – Article 8 – Immunité parlementaire – Activité sans lien avec les fonctions parlementaires – Publication sur le compte Twitter du député – Article 9 – Inviolabilité parlementaire – Portée – Décision de levée de l’immunité parlementaire »

Dans l’affaire C‑12/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 7 janvier 2019,

Mylène Troszczynski, demeurant à Noyon (France), représentée par Me F. Wagner, avocat,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Parlement européen, représenté par M. S. Alonso de León et Mme C. Burgos, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. S. Rodin, D. Šváby, Mme K. Jürimäe et M. N. Piçarra (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 avril 2020,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la requérante demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 8 novembre 2018, Troszczynski/Parlement (T‑550/17, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2018:754), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à l’annulation de la décision du Parlement européen, du 14 juin 2017, portant levée de son immunité parlementaire (ci-après la « décision litigieuse »).

Le cadre juridique

2

L’article 8 du protocole no 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne, annexé aux traités UE et FUE (JO 2016, C 202, p. 266, ci-après le « protocole »), prévoit :

« Les membres du Parlement européen ne peuvent être recherchés, détenus ou poursuivis en raison des opinions ou votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions. »

3

L’article 9 du protocole dispose :

« Pendant la durée des sessions du Parlement européen, les membres de celui-ci bénéficient :

a)

sur leur territoire national, des immunités reconnues aux membres du parlement de leur pays,

b)

sur le territoire de tout autre État membre, de l’exemption de toute mesure de détention et de toute poursuite judiciaire.

L’immunité les couvre également lorsqu’ils se rendent au lieu de réunion du Parlement européen ou en reviennent.

L’immunité ne peut être invoquée dans le cas de flagrant délit et ne peut non plus mettre obstacle au droit du Parlement européen de lever l’immunité d’un de ses membres. »

4

L’article 5 du règlement intérieur du Parlement européen (8e législature – janvier 2017), intitulé « Privilèges et immunités », prévoit, à son paragraphe 2, deuxième phrase :

« L’immunité parlementaire n’est pas un privilège personnel du député, mais une garantie d’indépendance du Parlement dans son ensemble et de ses députés. »

Les antécédents du litige

5

Les antécédents du litige figurent aux points 1 à 10 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.

6

La requérante a été élue députée au Parlement européen lors des élections pour la 8e législature, qui se sont tenues du 22 au 25 mai 2014.

7

Le 23 septembre 2015, une photographie sur laquelle figurait un groupe de femmes portant un vêtement qui dissimulait la totalité de leur visage, à l’exception des yeux, et semblant attendre devant une caisse d’allocations familiales (CAF) a été publiée sur le compte de la requérante sur le réseau social Twitter. La photographie était accompagnée du commentaire suivant : « CAF à Rosny‑sous‑Bois le 9.12.14. Le port du voile intégral est censé être interdit par la loi… » (ci-après le « tweet litigieux »).

8

À la suite d’une plainte déposée le 27 novembre 2015 par le directeur général de la CAF de Seine-Saint-Denis (France) pour diffamation publique envers une administration publique, le procureur de la République de Bobigny (France) a ouvert, le 19 janvier 2016, une information judiciaire des chefs de provocation « à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée », et de diffamation publique.

9

La requérante a été convoquée par un magistrat instructeur aux fins de première comparution le 20 septembre 2016. Elle a opposé son immunité parlementaire à cette convocation.

10

Par requête du 23 septembre 2016, le magistrat instructeur du tribunal de grande instance de Bobigny (France) a sollicité la saisie du Parlement d’une demande de levée de ladite immunité.

11

Le 1er décembre 2016, le ministre de la Justice français a transmis cette demande au président du Parlement.

12

La requérante a été entendue par la commission des affaires juridiques du Parlement le 11 avril 2017.

13

Le 14 juin 2017, le Parlement a adopté la décision litigieuse.

14

Par ordonnance du 26 avril 2018, le vice-président chargé de l’instruction du tribunal de grande instance de Bobigny a renvoyé la requérante devant le tribunal correctionnel.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

15

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 12 août 2017, la requérante a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse ainsi qu’à la réparation du préjudice moral prétendument causé par celle-ci.

16

À l’appui de ses conclusions, la requérante a soulevé quatre moyens : le premier, tiré de la violation de l’article 8 du protocole ; le deuxième, de la violation de l’article 9 du protocole ; le troisième, de la violation de l’obligation de motivation ainsi que du principe d’égalité de traitement et du principe de bonne administration, et le quatrième, de la violation des droits de la défense ainsi que d’une exception d’illégalité de l’article 9, paragraphe 9, et de l’article 150, paragraphe 2, du règlement intérieur du Parlement.

17

Le Tribunal a examiné les premier et deuxième moyens conjointement, en rappelant, à titre liminaire, au point 34 de l’arrêt attaqué, que, si le Parlement, saisi d’une demande de levée de l’immunité parlementaire, aboutit à la conclusion que les faits à l’origine de cette demande ne sont pas couverts par l’article 8 du protocole, il lui incombe de vérifier si le député concerné bénéficie de l’immunité prévue à l’article 9 du protocole pour ces faits et, si tel est le cas, de décider s’il y a lieu ou non de lever cette immunité.

18

Ensuite, le Tribunal a divisé l’argumentation développée par la requérante au soutien de ces deux moyens en cinq branches : la première, tirée de ce que l’article 26 de la Constitution française s’appliquerait au tweet litigieux ; la deuxième, de ce que celui-ci constituerait une opinion exprimée dans l’exercice des fonctions parlementaires de la requérante, au sens de l’article 8 du protocole ; la troisième, de la violation du droit fondamental à la liberté d’expression, que le Parlement aurait commise en levant indûment l’immunité parlementaire de la requérante ; la quatrième, de ce que la requérante ne serait pas l’auteure du tweet litigieux, et la cinquième, d’une atteinte à l’indépendance de la requérante ainsi qu’à celle du Parlement.

19

Le Tribunal a rejeté la première branche comme étant inopérante. Il a constaté, au point 41 de l’arrêt attaqué, que le motif pour lequel le Parlement a considéré que la requérante ne pouvait pas bénéficier de l’article 26 de la Constitution française tenait non pas à ce que la déclaration litigieuse avait été faite sur Twitter mais à ce que le tweet litigieux ne pouvait pas être qualifié d’opinion ou de vote émis dans l’exercice des fonctions parlementaires de la requérante, au sens de l’article 8 du protocole.

20

La deuxième branche a été rejetée comme étant non fondée. Le Tribunal a constaté, en substance, au point 53 de l’arrêt attaqué, que le tweet litigieux avait pour objet de déplorer le non-respect d’une loi française interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public à propos d’un événement précis censé se dérouler devant un organisme chargé d’une mission de service public sur le territoire français et ne pouvait pas être assimilé à une prise de position plus générale sur des sujets d’actualité courante ou traités par le Parlement. Le Tribunal en a déduit, au point 54 de l’arrêt attaqué, qu’il n’existait pas de lien direct s’imposant avec évidence entre le tweet litigieux et les fonctions parlementaires de la requérante et que, partant, le Parlement n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les charges retenues contre la requérante ne concernaient pas des opinions ou des votes émis dans l’exercice de ses fonctions parlementaires, au sens de l’article 8 du protocole.

21

La troisième branche a également été rejetée comme étant non fondée. Si le Tribunal a rappelé, au point 58 de l’arrêt attaqué, que l’article 8 du protocole est étroitement lié à la protection de la liberté d’expression, il a néanmoins considéré, au point 59 de cet arrêt, que les faits reprochés à la requérante ne relevaient pas dudit article et, par suite, que le Parlement n’avait pas violé cette liberté.

22

Le Tribunal a écarté la quatrième branche comme étant inopérante. Il a jugé, aux points 61 et 62 de l’arrêt attaqué, d’une part, que la question de savoir si...

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