Lietuvos geležinkeliai AB v European Commission.
Jurisdiction | European Union |
Date | 18 November 2020 |
Court | General Court (European Union) |
ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre élargie)
18 novembre 2020 (*)
« Concurrence – Abus de position dominante – Marché du fret ferroviaire – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE – Accès par des entreprises tierces aux infrastructures gérées par la société nationale des chemins de fer de Lituanie – Démantèlement d’un tronçon de voie ferrée – Notion d’“abus” – Éviction effective ou probable d’un concurrent – Calcul du montant de l’amende – Lignes directrices pour le calcul du montant des amendes de 2006 – Mesures correctives – Proportionnalité – Compétence de pleine juridiction »
Dans l’affaire T‑814/17,
Lietuvos geležinkeliai AB, établie à Vilnius (Lituanie), représentée par Mes W. Deselaers, K. Apel et P. Kirst, avocats,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par Mme A. Cleenewerck de Crayencour, MM. A. Dawes, H. Leupold et G. Meessen, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenue par
Orlen Lietuva AB, établie à Mažeikiai (Lituanie), représentée par Mes C. Thomas et C. Conte, avocats,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2017) 6544 final de la Commission, du 2 octobre 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE (affaire AT.39813 – Baltic Rail), et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende infligée à la requérante,
LE TRIBUNAL (première chambre élargie),
composé de MM. S. Papasavvas, président, H. Kanninen, Mmes N. Półtorak (rapporteure), O. Porchia et M. Stancu, juges,
greffier : Mme E. Artemiou, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 5 février 2020,
rend le présent
Arrêt
I. Antécédents du litige
A. Contexte factuel
1 Lietuvos geležinkeliai AB (ci-après la « requérante » ou « LG ») est la société nationale des chemins de fer de Lituanie, dont le siège se trouve à Vilnius (Lituanie). LG est une entreprise publique, dont l’actionnaire unique est l’État lituanien. En tant qu’entreprise intégrée verticalement, LG est à la fois gestionnaire des infrastructures ferroviaires, qui demeurent cependant la propriété de l’État lituanien, et fournisseur de prestations de services de transport ferroviaire, de fret et de voyageurs, en Lituanie.
2 Orlen Lietuva AB (ci-après l’« intervenante » ou « Orlen ») est une entreprise établie à Juodeikiai, dans le district de Mažeikiai (Lituanie), spécialisée dans le raffinage de pétrole brut et dans la distribution de produits pétroliers raffinés. Orlen est une filiale à 100 % de l’entreprise polonaise PKN Orlen SA.
3 Dans le cadre de ses activités, Orlen exploite différentes installations en Lituanie, dont une importante raffinerie (ci-après la « raffinerie »), située à Bugeniai, dans le district de Mažeikiai, au nord-ouest de la Lituanie, à proximité de la frontière avec la Lettonie. Cette raffinerie est l’unique installation de ce type des trois États baltes. À la fin des années 2000, 90 % de la production de produits pétroliers raffinés issus de cette raffinerie était transportée par voie ferroviaire, faisant ainsi d’Orlen l’une des clientes les plus importantes de la requérante.
4 À cette époque, Orlen produisait, au sein de la raffinerie, environ 8 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés par an. Les trois quarts de cette production étaient destinés à l’exportation, principalement par voie maritime à destination des pays d’Europe de l’Ouest. Ainsi, 4,5 à 5,5 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés étaient transportées à travers la Lituanie, par train, vers le terminal maritime de Klaipėda (Lituanie).
5 Le reste de la production exportée, soit environ 1 à 1,5 million de tonnes, était acheminé, également par train, vers ou à travers la Lettonie et était principalement destiné à la consommation sur les marchés intérieurs estoniens et lettons. Environ 60 % de cette production acheminée par train vers ou à travers la Lettonie empruntait la ligne ferroviaire « Bugeniai-Mažeikiai-Rengė », un itinéraire allant de la raffinerie, située à proximité de la jonction ferroviaire de Mažeikiai, à la ville de Rengė, en Lettonie, dont 34 km se situaient sur le territoire lituanien (ci-après l’« itinéraire court vers la Lettonie »). Le reste de cette production acheminée par train vers ou à travers la Lettonie empruntait la ligne ferroviaire « Bugeniai-Kužiai-Joniškis-Meitene », un itinéraire plus long, dont 152 km se situaient sur le territoire lituanien (ci-après l’« itinéraire long vers la Lettonie »).
6 Afin de transporter ses produits sur l’itinéraire court vers la Lettonie, Orlen avait recours aux services de la requérante pour la partie lituanienne de l’itinéraire, à savoir de la raffinerie à la frontière lettonne. LG avait alors conclu un contrat de sous-traitance avec Latvijas dzelzceļš, la société nationale des chemins de fer de Lettonie (ci-après « LDZ »), pour le transport sur cette partie lituanienne de l’itinéraire. Ne disposant pas des autorisations réglementaires nécessaires pour exercer ses activités de manière indépendante sur le territoire lituanien, LDZ opérait en tant que sous-traitant de la requérante. Une fois la frontière passée, LDZ poursuivait le transport des produits d’Orlen sur le territoire letton en vertu de divers contrats.
7 Les relations commerciales entre Orlen et la requérante concernant les services de transport de celle-ci sur le réseau ferroviaire lituanien, y compris les services de transport sur l’itinéraire court vers la Lettonie, étaient régies, jusqu’en septembre 2008, par un accord signé en 1999 (ci-après l’« accord de 1999 »).
8 En plus d’encadrer les tarifs appliqués par la requérante pour les services de transport, l’accord de 1999 comprenait notamment un engagement spécifique de la part de la requérante de transporter le fret d’Orlen sur l’itinéraire court vers la Lettonie. En effet, l’article 6.1 de cet accord autorisait Orlen à « utiliser l’itinéraire Bugeniai-Rengė (environ 34 km) pour transporter du fret en Lettonie, en Estonie ou dans la Communauté des États indépendants », pour toute la durée de l’accord, à savoir jusqu’en 2024.
9 Au début de l’année 2008, un litige commercial est survenu entre la requérante et Orlen en ce qui concernait les tarifs payés par cette dernière pour le transport de ses produits pétroliers.
10 En raison du litige commercial avec la requérante portant sur les tarifs, Orlen a envisagé la possibilité de contracter directement avec LDZ pour les services de transport ferroviaire de son fret sur l’itinéraire court vers la Lettonie ainsi que de redéployer ses activités d’exportation maritimes au départ de Klaipėda, en Lituanie, vers les terminaux maritimes de Riga et de Ventspils, en Lettonie.
11 À cette fin, le 4 avril 2008, Orlen a écrit au ministère letton des Transports et des Communications pour l’informer de son projet de transférer ses activités d’exportation par voie maritime vers le terminal maritime letton de Ventspils, grâce aux services de transport ferroviaire de LDZ, et a suggéré d’organiser une réunion pour évoquer ce projet avec le ministère. Orlen a également demandé des informations sur les tarifs auxquels elle pourrait s’attendre pour les services de transport ferroviaire de LDZ. Dans sa réponse du 7 mai 2008, le ministère a indiqué à Orlen qu’il n’interférerait pas avec les décisions commerciales de LDZ, mais qu’il avait néanmoins un grand intérêt pour le développement du transport de fret en Lettonie.
12 Le 12 juin 2008, une réunion s’est tenue entre la requérante et Orlen, au cours de laquelle ce projet de redéploiement des activités d’exportation d’Orlen a été évoqué. En outre, Orlen ayant décidé unilatéralement, dès le printemps 2008, d’appliquer un taux inférieur à celui demandé par la requérante et de retenir le paiement de la différence, la requérante a, le 17 juillet 2008, entamé une procédure arbitrale contre Orlen.
13 Le 28 juillet 2008, LG a informé Orlen de la résiliation de l’accord de 1999 à compter du 1er septembre 2008. Orlen a précisé, au cours de la procédure administrative devant la Commission des Communautés européennes, que la résiliation de l’accord de 1999 à compter du 1er septembre 2008 avait été annoncée par LG trois jours après qu’elle avait formellement demandé à LDZ un devis afin de remplacer les services de la requérante pour le transport, depuis la raffinerie et en utilisant l’itinéraire court vers la Lettonie, d’environ 4,5 à 5 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés vers les terminaux maritimes situés sur le territoire letton. Orlen a également suggéré que la requérante pouvait avoir été informée de la demande de devis directement par LDZ.
14 Le 2 septembre 2008, à la suite de la détection d’une déformation de la voie ferrée de quelques dizaines de mètres (ci-après la « déformation »), LG, en invoquant principalement des raisons de sécurité, a suspendu le trafic sur un tronçon de l’itinéraire court vers la Lettonie, long de 19 km, situé entre Mažeikiai et la frontière avec la Lettonie (ci-après la « voie ferrée »).
15 Le 3 septembre 2008, la requérante a nommé une commission d’inspection composée de cadres de sa filiale locale afin d’enquêter sur les raisons de la déformation. La commission d’inspection a présenté deux rapports, à savoir le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 et le rapport technique du 5 septembre 2008 (ci-après, pris ensemble, les « rapports du 5 septembre 2008 »).
16 D’après le rapport d’enquête du 5 septembre 2008, la déformation aurait été provoquée par la détérioration physique de nombreux éléments composant la structure de la voie ferrée. Le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 a également confirmé que le trafic devait demeurer suspendu « jusqu’à ce que tous les travaux de restauration et de réparation soient terminés ».
17 Les observations contenues dans le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 ont été confirmées par le rapport technique du 5...
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