La nouvelle dimension constitutionnelle du service public

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L'analyse de la dimension accordée à la notion de service public dans les constitutions nationales présente un double intérêt, tant sur le plan du droit comparé qu'au regard du droit communautaire :

- d'une part, dans les pays qui en possèdent une, la Constitution est la norme nationale généralement la plus élevée de l'ordre juridique. Dès lors, une référence constitutionnelle au service public peut attribuer à celui-ci un régime juridique particulier mais surtout une protection juridique spécifique, a fortiori lorsqu'une juridiction appropriée est chargée du respect du texte constitutionnel ;

- d'autre part, la lecture de l'article 6 du traité sur l'Union européenne 141 conduit à s'interroger sur l'éventuel impact que pourraient avoir sur l'évolution du droit communautaire des références constitutionnelles nationales concordantes à l'égard du service public. L'article 6 alinéa 2 TUE précise en effet que l'Union respecte les droits fondamentaux tels qu'ils résultent notamment « des traditions constitutionnelles communes aux États membres » 142. Il pourrait être utile de s'interroger le moment venu sur l'interprétation de cette disposition et son influence sur la jurisprudence de la

Cour de Justice visant à respecter les traditions constitutionnelles nationales. Page 46

C'est donc une double dimension constitutionnelle qu'il convient d'aborder : celle des ordres juridiques nationaux, d'une part (Section I) et celle du droit communautaire originaire, d'autre part (Section II).

Section I Service public et constitutions nationales

Pour les pays sans texte constitutionnel écrit, l'analyse se révèle difficile. Elle n'est pas néanmoins sans objet. Tel est le cas de la Grande-Bretagne, seul État dans cette situation au sein de l'Union européenne et qui justifie quelques développements préliminaires (Sous-section I). En ce qui concerne les autres États soumis à l'analyse (Allemagne, Espagne et France) 143, l'étude comparée fait apparaître un double phénomène : à partir de références constitutionnelles répondant à une inspiration globalement commune, c'est davantage l'existence d'activités de service public qu'un concept juridique de référence qui est identifiée (Sous- section II) et qui fait l'objet à ce titre de jurisprudences constitutionnelles inégalement protectrices (Sous-section III).

Sous-section I Le cas particulier de la Grande-Bretagne

Comme il a été fort justement résumé, « de l'ensemble des États européens, la Grande-Bretagne est le seul à ne pas posséder de texte constitutionnel, ni de lois ayant un statut particulier, dont les cours et tribunaux auraient reconnu la valeur quasi constitutionnelle » 144. L'absence de constitution écrite 145 et de jurisprudence constitutionnelle au sens où elles existent au sein des systèmes juridiques des États européens continentaux, pourrait limiter a priori la recherche d'un éventuel « statut constitutionnel » conféré à la notion de service public en droit anglais. Page 47

D'autant qu'à l'absence d'un texte constitutionnel écrit de référence, s'ajoute l'absence d'autorité juridictionnelle pour se prononcer sur la « constitutionnalité » d'une loi votée par le Parlement, compte tenu du principe de suprématie législative - « legislative supremacy » - attaché à l'institution parlementaire.

Pour autant, si l'on admet que « tout État a besoin d'une Constitution qui en encadre l'existence, qui soit le fondement et le signe visible de son unité, la base sur laquelle repose toute légitimité et toute légalité » 146, la Grande-Bretagne n'est pas dépourvue ni de constitution ni de droit constitutionnel, comme l'attes- tent les nombreux ouvrages consacrés à la matière intitulée « Constitutional Law » 147. Les termes « Constitution britannique » - « British Constitution » - sont ainsi utilisés pour définir « un corps de règles, de conventions et de pratiques qui décrivent ou règlent l'organisation et le fonctionnement du gouvernement en Grande-Bretagne » 148. Une telle approche s'inscrit dans l'esprit même de la « Common Law », empreinte de pragmatisme, de coutume et de généralisation a posteriori des situations juridiques particulières : si les autres Constitutions européennes précèdent le système de gouvernement qu'elles fondent, la Constitution britannique théorise l'évolution institutionnelle constatée. En conséquence, son étude présente un champ très vaste parce qu'à la fois historique et descriptive : historique pour analyser la succession des grands textes 149 qui ont forgé le cadre de cette constitution ; descriptive, pour rendre compte des sources actuelles du Page 48 droit constitutionnel britannique 150 et des règles qui régissent les relations entre les institutions politiques du pays.

Sans faire référence ici aux textes législatifs relatifs à la création, à l'organisation et au contrôle des services publics tels qu'ils peuvent exister en Grande-Bretagne sur le plan organique, l'étude des grands textes que l'on peut qualifier de nature ou de portée constitutionnelle - dans une optique de comparaison avec les autres États - montre que le thème du service public n'est guère référencé. Tout au plus la Grande Charte du 12 juin 1215 fait-elle référence à une obligation de construction de ponts imposée « légalement par coutume » à certaines villes 151, laissant entendre qu'une telle infrastructure revêt un intérêt général qui peut être considéré à certains égards comme supérieur aux libertés individuelles par ailleurs octroyées.

Pour l'essentiel, la définition des droits et des devoirs des citoyens telle qu'elle découle des textes fondamentaux relatifs à la proclamation des libertés publiques en Angleterre - « Bills of Rights » de 1628 et de 1689 - ne comprend aucun droit à un service public en tant que tel ou du moins à une prestation de la part de l'État, de la Nation ou de la Couronne. Quant aux autres sources de la Constitution - lois et conventions constitutionnelles -, elles ne concernent que le « système de gouvernement » et la « pratique politique », sans se préoccuper de l'organisation des rapports socio-économiques que le pouvoir central pourrait entretenir avec ses citoyens. Aucun texte général - de nature constitutionnelle ou législative - n'a arrêté véritablement de « règles fondamentales, fixes, régissant la conduite des affaires de l'État en matière économique » 152.

S'il en est ainsi depuis plus de sept siècles, au nom d'une philosophie libérale et individualiste qui laisse peu de place à la notion même d'État, il n'est plus aujourd'hui tabou de s'interroger sur une éventuelle réforme institutionnelle qui romprait avec la stabilité du système politique britannique. C'est ainsi que depuis les années 1970, le débat est relancé sur la nécessité pour la Grande-Bretagne de Page 49 se doter d'une loi fondamentale 153 ou d'une constitution écrite 154, sous fond de contestation du principe de souveraineté parlementaire 155. Une Commission royale a planché sur cette question en 1973 et des projets de constitution écrite ont même...

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