Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 6 June 2024.
Jurisdiction | European Union |
Celex Number | 62023CC0314 |
ECLI | ECLI:EU:C:2024:475 |
Date | 06 June 2024 |
Court | Court of Justice (European Union) |
Édition provisoire
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. MACIEJ SZPUNAR
présentées le 6 juin 2024 (1)
Affaire C‑314/23
Sindicato de Tripulantes Auxiliares de Vuelo de Líneas Aéreas (STAVLA),
Ministerio Fiscal
contre
Air Nostrum, Líneas Aéreas del Mediterráneo SA,
Federación de Servicios de Comisiones Obreras (CCOO),
Unión General de Trabajadores (UGT),
Unión Sindical Obrera (USO),
Comité de empresa de Air Nostrum Líneas Aéreas del Mediterráneo SA,
Dirección General de Trabajo,
Instituto de las Mujeres,
en présence de
Sindicato Español de Pilotos de Líneas Aéreas (SEPLA),
Sindicato Unión Profesional de Pilotos de Aerolíneas (UPPA)
[demande de décision préjudicielle formée par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne)]
« Renvoi préjudiciel – Mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail – Directive 2006/54/CE – Article 14 – Interdiction de toute discrimination indirecte fondée sur le sexe – Conventions collectives établissant les différents montants d’indemnités journalières à allouer aux pilotes et aux membres du personnel de cabine en tant qu’allocation pour leur repas pendant les déplacements »
I. Introduction
1. Le fait que les membres du personnel de cabine d’une compagnie aérienne reçoivent, pour couvrir les frais de repas exposés lors de déplacements professionnels, une indemnité journalière d’un montant inférieur à celui de l’indemnité reçue par les pilotes peut-il être objectivement justifié, au regard de la directive 2006/54/CE (2), lorsque cette différence découle de l’application de deux conventions collectives ? Cette question est au centre de la présente affaire.
2. La demande de décision préjudicielle, introduite par l’Audiencia Nacional (Cour centrale, Espagne), porte sur l’interprétation de l’article 14, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/54.
3. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant un syndicat représentant les membres du personnel de cabine à une compagnie aérienne, au sujet d’un recours en annulation partielle de la convention collective applicable aux membres du personnel de cabine de cette compagnie.
4. La présente affaire offre à la Cour une nouvelle occasion de revenir sur des aspects relatifs à l’interdiction de toute discrimination fondée sur le sexe en matière d’emploi et de travail et, notamment, sur la question de la justification objective d’une mesure qui instaure une inégalité de traitement relative aux conditions de travail lorsque cette inégalité découle de l’application de deux conventions collectives distinctes négociées entre l’employeur et des syndicats différents.
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
5. L’article 2 de la directive 2006/54, intitulé « Définitions », dispose, à son paragraphe 1 :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
b) “discrimination indirecte” : la situation dans laquelle une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre désavantagerait particulièrement des personnes d’un sexe par rapport à des personnes de l’autre sexe, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour parvenir à ce but soient appropriés et nécessaires ;
[...] »
6. L’article 14 de cette directive, intitulé « Interdiction de toute discrimination », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite dans les secteurs public ou privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :
[...]
c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement ainsi que la rémunération, comme le prévoit l’article 141 du traité ;
[...] »
B. Le droit espagnol
7. Le Real Decreto Legislativo 2/2015 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif nº 2/2015, portant approbation du texte de refonte de la loi portant statut des travailleurs), du 23 octobre 2015 (3) (ci-après la « loi sur le statut des travailleurs »), dispose, à son article 3, intitulé « Sources du rapport de travail » :
« 1. Les droits et obligations concernant la relation de travail sont réglementés :
a) par les dispositions légales et réglementaires de l’État ;
b) par les conventions collectives ;
[...] »
8. L’article 4, paragraphe 2, sous c), de cette loi prévoit :
« Dans la relation de travail, les travailleurs ont le droit :
[...]
c) en matière de recrutement ou, une fois recrutés, de ne pas être soumis à des discriminations directes ou indirectes fondées sur le sexe [...]. »
9. L’article 17, paragraphe 1, de ladite loi, est rédigé comme suit :
« Sont réputés nuls et de nul effet les dispositions réglementaires, les clauses des conventions collectives, les accords individuels et les décisions unilatérales de l’employeur qui créent directement ou indirectement, en matière d’emploi, de rémunération, de temps de travail et autres conditions de travail, [...] des discriminations fondées sur le sexe [...] »
10. Selon l’article 26, paragraphe 2, de la même loi :
« Sont exclues de la notion de salaires les sommes perçues par le travailleur à titre d’indemnités ou de remboursement des frais qu’il a exposés à l’occasion de son activité professionnelle, les prestations et indemnités de la sécurité sociale et les indemnités correspondant à des transferts, suspensions ou licenciements. »
11. Aux termes de l’article 87 de la loi sur le statut des travailleurs :
« 1. Sont habilités à négocier les conventions collectives d’entreprise ou de niveau inférieur, en représentation des travailleurs, le comité d’entreprise, le cas échéant les délégués du personnel, ou les sections syndicales si elles représentent ensemble la majorité des membres du comité.
Les négociations sont menées par les sections syndicales si celles-ci en ont convenu ainsi, à condition qu’elles représentent la majorité des membres dans le comité d’entreprise ou parmi les délégués du personnel.
[...]
Dans le cas des conventions destinées à un groupe de travailleurs ayant un profil professionnel spécifique, sont habilitées à négocier les sections syndicales ayant été désignées par la majorité de leurs représentants au moyen d’un vote personnel, libre, direct et secret. »
12. Le IV Convenio colectivo de Air Nostrum (personal de tierra y TCP’S [(4)]) [quatrième convention collective de Air Nostrum (personnel au sol et personnel navigant commercial)], enregistré et publié par la Resolución de la Dirección General de Trabajo (résolution de la Direction général du travail), du 18 décembre 2018 (5), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « convention PNC »), signé par la direction de l’entreprise et par les syndicats Unión general de trabajadores [Union générale des travailleurs (UGT)], Comisiones obreras [Commissions ouvrières (CCOO)] et Unión Sindical Obrera [Union syndicale ouvrière (USO)], régit, à ses articles 59 à 93, les conditions de travail du personnel navigant commercial (ci-après le « PNC »).
13. L’article 93, intitulé « Indemnités journalières », de la convention PNC définit la notion d’« indemnités journalières » comme le « montant qui indemnise le [PNC] pour les frais qui découlent de ses déplacements, qui font partie intégrante du contenu de sa prestation de services ». Selon cet article, « [i]l est expressément convenu que ce système d’indemnités journalières dispense l’entreprise de prendre en charge les frais de subsistance lors des déplacements ».
14. Le Convenio Colectivo de Air Nostrum (pilotos) [convention collective d’Air Nostrum (pilotes)], enregistré et publié par la Resolución de la Dirección General de Trabajo (résolution de la Direction générale du travail), du 10 mars 2020 (6), dans sa version applicable aux faits au principal (ci-après la « convention PNT »), signé par la direction de l’entreprise et les sections syndicales des syndicats Sindicato Español de Pilotos de Líneas Aéreas [syndicat espagnol des pilotes de ligne (ci-après le « SEPLA ») et du Sindicato Unión Profesional de Pilotos de Aerolíneas (UPPA), régit les relations de travail des pilotes (personnel navigant technique, ci-après le « PNT »].
15. L’article 16.19 de la convention PNT, intitulé « Indemnités journalières », dispose que l’« indemnité journalière est le montant perçu par le pilote pour couvrir les frais engagés lors de ses déplacements pour les besoins de l’entreprise ou lors de ses séjours hors de sa base. Elle n’inclut ni l’hébergement ni le transport. » Cet article prévoit qu’il est expressément convenu que ce système d’indemnités journalières libère la compagnie de la prise en charge de tout type de repas.
III. Les faits du litige au principal, la question préjudicielle et la procédure devant la Cour
16. Les relations de travail entre Air Nostrum, Líneas Aéreas del Mediterráneo SA (ci-après « Air Nostrum ») et son PNC sont régies par la convention PNC, et les relations de travail entre Air Nostrum et son PNT sont régies par la convention PNT. L’article 93 de la convention PNC et l’article 16.19 de la convention PNT régissent les indemnités journalières couvrant, notamment, les frais exposés, respectivement, par le PNC et le PNT lors des déplacements effectués dans le cadre de leur prestation de services (ci-après les « indemnités journalières »).
17. Le 8 novembre 2022, le Sindicato de Tripulantes Auxiliares de Vuelo de Líneas Aéreas (Syndicat des agents de bord des compagnies aériennes, ci-après le « STAVLA »), un syndicat représentant le PNC, a introduit devant la juridiction de renvoi un recours visant à protéger les droits fondamentaux au moyen de la modalité procédurale de contestation de la convention collective (« procedimiento de impugnación de convenio colectivo ») et tendant, notamment, à l’annulation de l’article 93 et de l’annexe I de la convention PNC dans la mesure où cet article fixe le...
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