Opinion of Advocate General Ćapeta delivered on 28 November 2024.

JurisdictionEuropean Union
Celex Number62023CC0745
ECLIECLI:EU:C:2024:993
Date28 November 2024
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 28 novembre 2024 (1)

Affaire C745/23 [Alenopik] (i)

Maksu – ja Tolliamet

contre

UT

[demande de décision préjudicielle formée par la Riigikohus (Cour suprême, Estonie]

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) 2018/1672 – Contrôles de l’argent liquide entrant dans l’Union ou sortant de l’Union – Article 3, paragraphe 1 – Personne physique entrant dans l’Union – Méthode de détermination de la valeur de la monnaie d’un État tiers à des fins de déclaration »






I. Introduction

1. Malgré l’évolution rapide de la criminalité et l’essor de la cybercriminalité, comme la fraude en ligne et les marchés illicites en ligne, les méthodes de blanchiment de capitaux demeurent très largement traditionnelles. L’argent liquide est « roi » et reste donc l’un des principaux moyens de faciliter le blanchiment de capitaux et le financement d’activités terroristes dans le cadre de presque toutes les activités criminelles (2).

2. En vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement (UE) 2018/1672 (3), une personne transportant de l’argent liquide d’une valeur de 10 000 euros ou plus est tenue de déclarer cet argent liquide aux autorités compétentes de l’État membre par lequel elle entre dans l’Union ou sort de l’Union (ci-après l’« obligation de déclaration au titre de l’article 3, paragraphe 1 »).

3. Toutefois, le règlement 2018/1672 est muet quant à la méthode de détermination de la valeur de la monnaie d’un État tiers en vue d’établir si la limite de 10 000 euros a été respectée. Sur quelle base les autorités compétentes des États membres peuvent-elles donc déterminer la valeur de l’argent liquide libellé dans une telle monnaie, en particulier lorsque la Banque centrale européenne (BCE) ne publie pas de taux de change de référence ? Telle est, en substance, la question à laquelle la Cour devra répondre dans la présente affaire.

II. Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

4. Le 13 janvier 2023, après avoir fait des courses et visité de la famille, UT (ci-après la « requérante en première instance ») et sa fille ont traversé le « pont de l’amitié » entre Ivangorod (Russie) et Narva (Estonie).

5. Au poste douanier, elles ont choisi de passer par le couloir vert, ce qui signifiait qu’elles n’avaient rien à déclarer aux autorités compétentes. Toutefois, une fouille a permis de constater qu’elles transportaient chacune 500 000 hryvnias ukrainiennes (UAH) en argent liquide, dans des liasses de 100 billets, attachées par des élastiques. Il a été constaté que l’argent liquide était dissimulé dans leurs poches, sous la doublure de leurs vêtements et dans les capuches de leurs vestes.

6. Étant donné que la BCE ne publie pas les taux de change de référence de l’euro pour les hryvnias ukrainiennes (4), en vue de déterminer la valeur en euros des 500 000 UAH que la requérante en première instance et sa fille avaient sur elles, les autorités estoniennes compétentes se sont fondées sur le taux de change du convertisseur de devises publié sur le site Internet www.xe.com, une société canadienne d’outils et de services de change en ligne (5).

7. Selon le convertisseur de devises de ce site Internet, la valeur de l’argent liquide que la requérante en première instance et sa fille transportaient le jour du franchissement de la frontière était de 12 565,714 euros pour chacune d’entre elles.

8. Par conséquent, les autorités estoniennes compétentes ont constaté que l’argent liquide transporté par la requérante en première instance et sa fille dépassait le seuil de 10 000 euros prévu par le règlement 2018/1672, de sorte que cet argent liquide aurait dû être déclaré.

9. Par décision du 13 février 2023, les autorités estoniennes compétentes ont infligé à la requérante en première instance une amende d’un montant de 600 euros pour défaut de déclaration de l’argent liquide (6). Ces autorités ont également choisi de confisquer les hryvnias ukrainiennes non déclarées.

10. Dans le cadre de son recours introduit devant le Viru Maakohus (tribunal de première instance de Viru, Estonie), la requérante en première instance a fait valoir que l’argent liquide trouvé sur elle ne lui appartenait pas et qu’elle n’était pas au courant de l’obligation de déclarer cet argent liquide. La requérante en première instance a expliqué que ce dernier appartenait en réalité à RR, un ressortissant ukrainien résidant en Estonie, qui, en raison de la guerre en cours en Ukraine, n’était pas en mesure de le transférer vers l’Union. Il avait donc demandé à la fille de la requérante en première instance de transporter l’argent liquide lui appartenant d’Ivangorod en Estonie. Après avoir vérifié le cours de la hryvnia ukrainienne sur le site Internet www.tavid.ee, RR avait conclu qu’il n’était pas nécessaire de déclarer cet argent liquide, car sa valeur, telle qu’elle apparaissait sur ce site Internet, était prétendument inférieure au seuil de 10 000 euros. RR aurait communiqué cette information à la fille de la requérante en première instance, qui l’avait ensuite transmise à sa mère. La requérante en première instance a donc fait valoir qu’elle n’avait pas eu l’intention d’introduire clandestinement 500 000 UAH en Estonie, mais qu’elle avait dissimulé l’argent liquide par crainte d’être volée.

11. Dans le cadre du litige qui a suivi, le Viru Maakohus (tribunal de première instance de Viru) a partiellement fait droit au recours de la requérante en première instance et, par décision du 28 avril 2023, a annulé la décision initiale des autorités estoniennes compétentes relative à la sanction et à la mesure de confiscation. Par sa décision, cette juridiction a condamné la requérante en première instance à une amende de 400 euros et a ordonné la restitution des 500 000 UAH qui avaient été saisies.

12. Les autorités estoniennes compétentes se sont pourvues en cassation devant la Riigikohus (Cour suprême, Estonie).

13. La Riigikohus (Cour suprême) fait part de ses doutes quant à la manière dont il convient de déterminer le taux de change dans l’affaire dont elle est saisie. Cette juridiction relève que ni le droit de l’Union ni le droit national ne prévoient la méthode de conversion de l’argent liquide libellé dans une monnaie dont le taux de change en euros n’est pas publié par la BCE.

14. C’est dans ces conditions que la Riigikohus (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Comment convient-il d’établir le taux de change pour obtenir la valeur de l’argent liquide aux fins de l’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement [2018/1672], lorsqu’il s’agit d’une monnaie dont le taux de change n’est pas publié par la Banque centrale européenne ? »

15. Des observations écrites ont été déposées par le gouvernement estonien et la Commission européenne. Il n’a pas été tenu d’audience.

III. Analyse

16. Les présentes conclusions sont structurées comme suit. Je ferai d’abord une brève présentation du contexte juridique dans lequel s’inscrit l’obligation de déclaration au titre de l’article 3, paragraphe 1, découlant du règlement 2018/1672 (section A). Je me pencherai ensuite sur l’argument principal avancé par le gouvernement estonien et la Commission, selon lequel les principes de conversion monétaire issus du code des douanes de l’Union (7) et de son acte d’exécution (8) doivent éclairer la lecture du règlement 2018/1672 (section B). J’expliquerai enfin pourquoi je considère que le règlement 2018/1672 laisse le soin aux autorités nationales compétentes de déterminer la valeur de l’argent liquide libellé en devise étrangère (section C).

A. Le contexte de l’obligation de déclaration au titre de l’article 3, paragraphe 1

17. En 1991, le législateur de l’Union a adopté la directive anti‑blanchiment (9). Comme son nom l’indique, cette directive avait pour objet de lutter contre le blanchiment des produits d’origine illicite et de la criminalité organisée, mais aussi de protéger la solidité, la stabilité et la fiabilité du système financier en général (10). En conséquence, ladite directive imposait aux établissements de crédit, aux établissements financiers et à certaines professions d’identifier les clients qui effectuaient des transactions dont le montant atteignait ou excédait 15 000 unités monétaires européennes (11).

18. Toutefois, à l’époque, aucun instrument du droit de l’Union n’imposait le contrôle aux frontières nationales des mouvements d’argent liquide, si bien que seuls certains États membres avaient instauré de tels contrôles (12).

19. Reconnaissant que l’absence de tels contrôles à l’échelle de l’Union risquait de nuire à l’efficacité des obligations de surveillance introduites par la directive anti-blanchiment, les services douaniers des quinze États membres (de l’époque) ont lancé une opération commune, intitulée « opération Moneypenny » (13). Cette opération visait à examiner le niveau des mouvements transfrontaliers d’argent liquide à travers les frontières intérieures et extérieures de l’Union (14).

20. Bien que de portée limitée, cette opération a révélé que le volume d’argent liquide transporté à travers les frontières de l’Union était tel qu’il présentait un risque potentiel tant pour les intérêts nationaux que pour ceux de l’Union, compte tenu notamment de l’hétérogénéité considérable des contrôles des mouvements d’argent liquide effectués (le cas échéant) dans les États membres (15).

21. L’adoption de l’euro en tant que monnaie (presque) unique dans le marché intérieur sans frontières rendait de telles disparités des contrôles nationaux sur les mouvements d’argent liquide encore plus problématiques au regard du bon fonctionnement de ce marché (16).

22. C’est dans ce contexte que le règlement (CE) nº 1889/2005 a été adopté.

23. Venant en complément des activités de lutte contre le blanchiment de capitaux du Groupe d’action financière sur le blanchiment des capitaux...

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