Opinion of Advocate General Bobek delivered on 15 November 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:920
Docket NumberC-590/17
Celex Number62017CC0590
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date15 November 2018
62017CC0590

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 15 novembre 2018 ( 1 )

Affaire C‑590/17

Henri Pouvin,

Marie Dijoux

contre

Electricité de France (EDF)

[demande de décision préjudicielle
de la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans des contrats conclus entre un professionnel et un consommateur – Notion de “professionnel” – Notion de “consommateur” – Contrat de prêt conclu entre un employeur et un salarié ainsi que son conjoint en vue de financer l’acquisition de leur habitation principale »

I. Introduction

1.

M. Henri Pouvin et Mme Marie Dijoux ont conclu un contrat de prêt immobilier avec Électricité de France (EDF), l’employeur de M. Pouvin. Le contrat de prêt comportait une clause de résiliation de plein droit : si l’emprunteur cessait d’appartenir au personnel de la société, le prêt devenait immédiatement remboursable.

2.

Après que M. Pouvin a quitté la société, EDF a assigné les emprunteurs en remboursement du prêt. M. Pouvin et Mme Dijoux ont fait valoir que, au vu des dispositions nationales transposant la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs ( 2 ), la clause de résiliation de plein droit était abusive. Toutefois, EDF estime que la directive ne trouve pas à s’appliquer, puisqu’elle ne peut pas être considérée comme un « professionnel » au sens de cette directive.

3.

Qu’est-ce qu’un « professionnel » ? Bien que la Cour ait interprété à plusieurs reprises les notions de « professionnel » et de « consommateur », la présente affaire soulève un problème qui n’a pas encore été examiné : celui de savoir si, lorsqu’une société accorde à ses salariés des prêts (ou, le cas échéant, d’autres services) qui ne relèvent pas de son domaine d’activité principal, elle agit en tant que « professionnel » et si son employé peut être considéré comme un « consommateur » dans une telle situation.

II. Cadre juridique

4.

Le dixième considérant de la directive 93/13 est libellé comme suit :

« considérant qu’une protection plus efficace du consommateur peut être obtenue par l’adoption de règles uniformes concernant les clauses abusives ; que ces règles doivent s’appliquer à tout contrat conclu entre un professionnel et un consommateur ; que, par conséquent, sont notamment exclus de la présente directive les contrats de travail, les contrats relatifs aux droits successifs, les contrats relatifs au statut familial ainsi que les contrats relatifs à la constitution et aux statuts des sociétés. »

5.

Conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« La présente directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur. »

6.

L’article 2 de la directive 93/13 comporte les définitions suivantes :

« […]

b)

“consommateur” : toute personne physique qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle ;

c)

“professionnel” : toute personne physique ou morale qui, dans les contrats relevant de la présente directive, agit dans le cadre de son activité professionnelle, qu’elle soit publique ou privée. »

7.

Conformément à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Une clause d’un contrat n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle est considérée comme abusive lorsque, en dépit de l’exigence de bonne foi, elle crée au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties découlant du contrat. »

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

8.

En avril 1995, EDF a consenti un prêt à M. Pouvin et à son épouse, Mme Dijoux (ci-après les « requérants »). M. Pouvin était alors salarié de la société. Le prêt, consenti en vue de financer l’acquisition de leur habitation principale, était d’un montant de 57625,73 euros, remboursable en deux‑cent‑quarante mensualités réparties en deux périodes d’amortissement de dix ans, au taux respectif de 4,75 % et 8,75 %. Ce prêt relevait d’un dispositif d’aide à l’accession à la propriété soumis au niveau national à la loi no 79‑596 du 13 juillet 1979 relative à l’information et à la protection des emprunteurs dans le domaine immobilier.

9.

L’article 7 du contrat de prêt prévoyait que celui-ci serait résilié de plein droit, à la date de l’événement, en cas de cessation d’appartenance de l’emprunteur au personnel de la société, pour quelque cause que ce soit (ci-après « la clause de résiliation de plein droit »). Par conséquent, en cas de rupture du contrat de travail, le capital prêté devenait immédiatement exigible, sans que les emprunteurs aient failli à leurs obligations.

10.

Le 1er janvier 2002, M. Pouvin a démissionné de la société. Les requérants ont alors cessé de régler les échéances du prêt.

11.

Le 5 avril 2012, EDF a assigné les requérants devant le tribunal de grande instance de Saint-Pierre de la Réunion, France, en paiement de la somme de 50238,37 euros restant due au titre du capital et des intérêts au 1er janvier 2002, ainsi que celle de 3517 euros au titre de la clause pénale.

12.

Dans son jugement du 29 mars 2013, le tribunal a considéré que la clause de résiliation de plein droit était abusive. Il a rejeté la demande d’EDF de déclarer le contrat résilié de plein droit. Toutefois, il a jugé que le contrat était résilié parce que les requérants n’avaient pas payé les mensualités de remboursement.

13.

Dans un arrêt du 12 septembre 2014, la cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion, France, a cassé le jugement du 29 mars 2013. Elle a jugé qu’EDF avait consenti le prêt en sa seule qualité d’employeur et non pas en tant que « professionnel ». D’après cet arrêt, il importerait peu à cet égard qu’il existe au sein d’EDF un département gérant les avances au personnel. La cour d’appel a ajouté que la clause de résiliation de plein droit n’était ni nulle ni abusive, dès lors qu’elle s’inscrivait dans un contrat qui présentait des avantages pour le salarié, équilibrant ainsi la clause de résiliation de plein droit. C’est pourquoi la cour d’appel a jugé que le contrat avait été résilié de plein de droit le 1er janvier 2002. Elle a condamné les requérants à payer à EDF la somme de 50238,37 euros, augmentée des intérêts contractuels au taux de 6 % l’an à compter du 1er janvier 2002, sauf à déduire les sommes postérieurement versées, ainsi que la somme de 3517 euros au titre de la clause pénale, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la même date.

14.

Les requérants ont formé contre cet arrêt un pourvoi en cassation devant la Cour de cassation, France, la juridiction de renvoi. Considérant que la solution du litige dépend de l’interprétation de la directive 93/13, la Cour de cassation a sursis à statuer et a saisi la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1)

L’article 2 de la [directive 93/13] doit-il être interprété en ce sens qu’une société, telle que la société EDF, lorsqu’elle consent à un salarié un prêt immobilier relevant du dispositif d’aide à l’accession au logement, auquel ne sont éligibles que les membres du personnel de la société, agit comme un professionnel ?

2)

L’article 2 de la directive précitée doit-il être interprété en ce sens qu’une société, telle que la société EDF, lorsqu’elle consent un tel prêt immobilier au conjoint d’un salarié, qui n’est pas membre du personnel de ladite société, mais coemprunteur solidaire, agit comme un professionnel ?

3)

L’article 2 de la directive précitée doit-il être interprété en ce sens que le salarié d’une société, telle que la société EDF, qui contracte auprès d’elle un tel prêt immobilier, agit comme un consommateur ?

4)

L’article 2 de la directive précitée doit-il être interprété en ce sens que le conjoint de cet employé, qui souscrit le même prêt, non en qualité de salarié de la société mais de coemprunteur solidaire, agit comme un consommateur ? »

15.

Les requérants, EDF, les gouvernements français et grec, ainsi que la Commission européenne, ont présenté des observations écrites. Ces parties, à l’exception des requérants, ont également présenté des observations orales lors de l’audience qui s’est tenue le 12 septembre 2018.

IV. Appréciation

16.

Par ses quatre questions, la Cour de cassation cherche à savoir si, lorsqu’un employeur comme EDF consent à un salarié et à son conjoint (qui n’est pas un salarié) un prêt immobilier destiné à financer l’acquisition d’un bien qui est leur habitation principale, cette société peut être qualifiée de « professionnel » et les requérants au pourvoi de « consommateurs » au sens de l’article 2, sous b) et c), de la directive 93/13.

17.

Pour répondre à cette question, j’examinerai tout d’abord les notions générales de « professionnel » et de « consommateur » et donc aussi le champ d’application de la directive 93/13 (section A). Ensuite, j’examinerai ensemble la première et la deuxième question : EDF peut‑elle être considérée comme un « professionnel » dans les circonstances de la présente affaire (section B) ? Enfin, je passerai aux troisième et quatrième questions : les requérants au pourvoi peuvent-ils être considérés comme des « consommateurs » au sens de la directive (section C) ?

A. Les notions de « consommateur » et de « professionnel »

...

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