Opinion of Advocate General Wathelet delivered on 21 February 2018.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date21 February 2018
62016CC0123

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MELCHIOR WATHELET

présentées le 21 février 2018 ( 1 )

Affaire C‑123/16 P

Orange Polska S.A.

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Concurrence – Abus de position dominante – Marché polonais des télécommunications – Intérêt légitime à constater une infraction commise dans le passé alors qu’une amende est infligée – Calcul de l’amende – Gravité – Prise en compte des effets de l’infraction – Circonstances atténuantes »

1.

Par le présent pourvoi, Orange Polska S.A. (ci-après « Orange ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 17 décembre 2015, Orange Polska/Commission (T‑486/11, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2015:1002), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision C(2011) 4378 final de la Commission ( 2 ) et, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.

I. Les antécédents du litige et la décision litigieuse

2.

Pour les besoins du présent pourvoi, il suffit de noter ce qui suit, un exposé plus complet se trouvant aux points 1 à 34 de l’arrêt attaqué.

3.

Telekomunikacja Polska S.A. est une entreprise de télécommunications constituée en Pologne en 1991 à la suite de la privatisation d’un ancien monopole d’État. Après l’acquisition par celle-ci, le 7 novembre 2013, des sociétés Orange Polska sp. z o.o. et Polska Telefonia Komórkowa – Centertel sp. z o.o., elle est devenue Orange ( 3 ).

4.

La Commission européenne a constaté qu’Orange était l’unique fournisseur des offres de gros de l’accès à large bande ainsi que de l’accès dégroupé à la boucle locale et que, pendant la période couverte par la décision litigieuse, elle détenait des parts de marché élevées sur le marché de détail.

5.

Par ailleurs, elle a relevé que le cadre réglementaire applicable en Pologne au moment des faits obligeait l’opérateur, désigné par l’autorité réglementaire nationale ( 4 ) comme étant un opérateur puissant sur le marché de la fourniture de réseaux téléphoniques publics fixes, en l’occurrence Orange, à accorder aux nouveaux entrants – dits « opérateurs alternatifs » (ci-après, le(s) « OA ») – l’accès dégroupé à sa boucle locale et aux ressources connexes à des conditions transparentes, équitables, non discriminatoires et au moins aussi favorables que les conditions déterminées dans une offre de référence, proposée par l’opérateur désigné et adoptée à la suite d’une procédure se déroulant devant l’UKE. À partir de l’année 2005, cette dernière est intervenue à plusieurs reprises afin de remédier aux manquements d’Orange à ses obligations réglementaires.

6.

Le 22 octobre 2009, Orange a signé avec l’UKE un accord en vertu duquel elle s’est volontairement engagée, en particulier, à respecter ses obligations réglementaires, à conclure avec les OA des accords portant sur l’accès dans des conditions conformes aux offres de référence pertinentes et à investir dans la modernisation de son réseau haut débit (ci-après l’« accord avec l’UKE »).

7.

À l’article 1er de la décision litigieuse, la Commission a conclu qu’Orange, en refusant d’octroyer aux OA un accès à haut débit à ses produits de gros, avait commis une infraction unique et continue de l’article 102 TFUE, qui avait débuté le 3 août 2005, date à laquelle avaient commencé les premières négociations entre Orange et un OA concernant l’accès au réseau d’Orange sur la base de l’offre de référence relative à l’accès en mode local loop undbundling (LLU) et qui avait duré au moins jusqu’au 22 octobre 2009, date à laquelle avait été signé l’accord avec l’UKE.

8.

La Commission a sanctionné Orange en lui infligeant, comme cela est précisé à l’article 2 de la décision litigieuse, une amende de 127554194 euros, calculée en application des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 [ ( 5 )] (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les « lignes directrices »). Lors de ce calcul, elle a déterminé le montant de base de l’amende en retenant une proportion de 10 % de la valeur moyenne des ventes réalisées par Orange sur les marchés concernés et en appliquant un facteur de multiplication de 4,2, correspondant à la durée de l’infraction, et a décidé de ne pas ajuster ce montant en fonction de circonstances aggravantes ou atténuantes. Elle en a cependant déduit les amendes qui avaient été imposées par l’UKE à Orange pour la violation de ses obligations réglementaires.

II. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

9.

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 septembre 2011, Orange a introduit un recours tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.

10.

La Polska Izba Informatyki i Telekomunikacji [chambre polonaise des technologies de l’information et des télécommunications (PIIT)], qui indique être une association d’entreprises actives dans le secteur des télécommunications en Pologne, est intervenue devant le Tribunal au soutien des conclusions d’Orange. L’European Competitive Telecommunications Association (ECTA), qui se présente comme l’organe représentatif de l’industrie concurrentielle du secteur européen des communications, est intervenue devant le Tribunal au soutien des conclusions de la Commission.

11.

À l’appui de son recours, Orange invoquait cinq moyens. Ayant écarté l’ensemble de ces moyens comme étant non fondés et ayant considéré qu’aucun élément ne justifiait une réformation du montant de l’amende, le Tribunal a rejeté ce recours dans son intégralité.

III. Sur le pourvoi

12.

Au soutien de son pourvoi, Orange soulève trois moyens.

A. Sur le premier moyen, tiré d’une erreur de droit quant à l’obligation pour la Commission de démontrer l’existence d’un intérêt légitime à adopter une décision constatant une infraction commise dans le passé

1. Synthèse des arguments des parties

13.

Orange observe, d’une part, qu’il est constant que, dans la décision litigieuse, la Commission n’a pas justifié d’un intérêt légitime à constater l’infraction en cause et, d’autre part, que cette infraction a pris fin près de dix-huit mois avant l’adoption de la décision litigieuse. Elle aurait donc été commise dans le passé. Or, au point 76 de l’arrêt attaqué, en affirmant qu’il incombe à la Commission, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, d’établir l’existence d’un intérêt légitime à constater une infraction lorsque, à la fois, cette infraction est terminée et que la Commission n’impose pas d’amende, le Tribunal aurait laissé entendre qu’il s’agissait de la seule circonstance dans laquelle la Commission devait établir l’existence d’un tel intérêt. En ce sens, cette affirmation serait constitutive d’une erreur de droit dans l’interprétation de cette disposition. Le point 77 du même arrêt, dans lequel le Tribunal aurait, par ailleurs, limité l’obligation pour la Commission de démontrer l’existence d’un tel intérêt aux seules situations dans lesquelles le pouvoir d’imposer des amendes est prescrit, serait également erroné.

14.

À cet égard, Orange fait valoir, tout d’abord, que le libellé de l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, est univoque. Il ne saurait en être déduit que, lorsqu’une amende peut être imposée, il n’est pas nécessaire d’identifier l’existence d’un intérêt légitime à constater une infraction en rapport avec un comportement qui a pris fin. En outre, seule cette disposition conférerait à la Commission le pouvoir de constater une infraction aux articles 101 ou 102 TFUE. Tant le considérant 11 du règlement no 1/2003 que les travaux préparatoires de ce règlement et la pratique administrative de la Commission confirmeraient que l’obligation pour celle-ci de démontrer l’existence d’un intérêt légitime à constater une infraction commise dans le passé existe indépendamment de l’imposition d’une amende.

15.

Ensuite, rien ne justifierait de subordonner les dispositions de l’article 7 du règlement no 1/2003 au pouvoir de la Commission d’imposer des amendes. En effet, le pouvoir de la Commission de constater une infraction ne serait soumis à aucun délai de prescription et lui serait conféré par une partie du règlement no 1/2003 distincte de celle lui conférant le pouvoir d’infliger des amendes.

16.

Enfin, la circonstance selon laquelle, en application de l’article 16 du règlement no 1/2003, la constatation par la Commission d’une infraction commise dans le passé établirait, dans le cadre d’actions en dommages et intérêts, la responsabilité de l’entreprise concernée ainsi que la circonstance selon laquelle une telle constatation serait susceptible de porter préjudice à cette dernière, même en l’absence d’imposition d’amende, du fait de la suspension du délai de prescription, prévue à l’article 10, paragraphe 4, de la directive 2014/104/UE du Parlement et du Conseil ( 6 ), justifieraient qu’il incombe à la Commission d’exposer dans sa décision les motifs établissant son intérêt légitime à poursuivre une infraction passée à laquelle une entreprise a volontairement mis fin.

17.

En l’occurrence, il y aurait donc lieu d’annuler l’arrêt attaqué ainsi que la décision litigieuse, la Commission n’ayant pas justifié, dans celle-ci, d’un intérêt légitime à constater l’infraction commise par Orange dans le passé.

18.

La Commission soutient, en substance, que l’argumentation d’Orange serait absurde en ce qu’elle conduirait à ce...

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