Opinion of Advocate General Szpunar delivered on 10 September 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:697
Celex Number62018CC0263
CourtCourt of Justice (European Union)
Date10 September 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 10 septembre 2019 (1)

Affaire C263/18

Nederlands Uitgeversverbond,

Groep Algemene Uitgevers

contre

Tom Kabinet Internet BV,

Tom Kabinet Holding BV,

Tom Kabinet Uitgeverij BV

[demande de décision préjudicielle formée par le rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays-Bas)]

« Directive 2001/29/CE – Société de l’information – Harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins – Livres électroniques (“e‑books”) – Marché virtuel pour des livres électroniques “d’occasion” – Article 2 – Reproduction – Actes nécessaires pour assurer un usage légitime – Article 3 – Communication au public – Mise à disposition – Article 4 – Distribution – Mise à disposition pour l’usage, à distance, par téléchargement, pour une durée illimitée, de livres électroniques – Épuisement – Article 5 – Exceptions et limitations – Portée »






Introduction

1. Idée à l’origine doctrinale (2), l’épuisement du droit de distribution a été introduit au début du XXe siècle par voie jurisprudentielle (3). Selon cette règle, une fois que la copie d’une œuvre protégée par le droit d’auteur a été licitement mise en circulation, le titulaire des droits d’auteur ne peut plus s’opposer à une revente de cette copie par son acquéreur. La justification en est que le droit d’auteur ne saurait primer le droit de propriété détenu par cet acquéreur sur la copie de l’œuvre en question en tant qu’objet. Par ailleurs, par la mise en circulation d’une copie de l’œuvre par l’auteur ou avec son consentement, celui-ci est réputé avoir obtenu la rémunération due au titre de cette copie.

2. C’est également par voie jurisprudentielle que la règle de l’épuisement du droit de distribution des objets protégés par le droit d’auteur a été introduite en droit de l’Union. En effet, si cette règle existait déjà dans les ordres juridiques des États membres, la Cour en a élargi la portée sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne (4). Cette jurisprudence était motivée principalement par le souci d’assurer l’effectivité de la libre circulation des marchandises.

3. Depuis, l’épuisement du droit de distribution a été reconnu tant au niveau du droit international que du droit de l’Union ainsi que des États membres (5).

4. Cependant, la numérisation des contenus susceptibles de protection par le droit d’auteur et l’apparition de nouveaux moyens permettant de fournir de tels contenus en ligne ont bouleversé l’équilibre entre les intérêts des titulaires des droits et ceux des utilisateurs des objets protégés, équilibre au maintien duquel contribuait le principe de l’épuisement du droit de distribution.

5. D’une part, il est devenu possible de créer, à un coût négligeable, des copies parfaitement exactes des fichiers numériques contenant des objets protégés et de les transférer sans effort ni coût additionnels à l’aide d’Internet. Cette évolution menace la possibilité pour les titulaires des droits d’auteur d’obtenir une rémunération appropriée de leurs créations et contribue fortement au développement de la contrefaçon.

6. D’autre part, les moyens techniques modernes permettent aux titulaires un contrôle très poussé de l’utilisation que font les acquéreurs de leurs œuvres, y compris dans leur sphère privée, ainsi que le développement de modèles commerciaux qui, souvent sans le dire ouvertement, transforment la pleine jouissance de la copie d’une œuvre en un simple droit d’utilisation limité et conditionnel.

7. La Cour aura pour tâche de décider si, en prenant en compte ces développements, la règle de l’épuisement du droit de distribution, instaurée dans le monde réel des copies – objets, est transposable au monde virtuel des copies – fichiers numériques.

Le cadre juridique

Le droit international

8. L’article 6 du traité de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) sur le droit d’auteur, adopté à Genève le 20 décembre 1996 (6) (ci-après le « TDA »), intitulé « Droit de distribution », dispose :

« 1) Les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser la mise à la disposition du public de l’original et d’exemplaires de leurs œuvres par la vente ou tout autre transfert de propriété.

2) Aucune disposition du présent traité ne porte atteinte à la faculté qu’ont les Parties contractantes de déterminer les conditions éventuelles dans lesquelles l’épuisement du droit prévu à l’alinéa 1) s’applique après la première vente ou autre opération de transfert de propriété de l’original ou d’un exemplaire de l’œuvre, effectuée avec l’autorisation de l’auteur. »

9. Une déclaration commune annexée au TDA concernant ses articles 6 et 7 précise :

« Aux fins de ces articles, les expressions “exemplaires” et “original et exemplaires” dans le contexte du droit de distribution et du droit de location prévus par ces articles, désignent exclusivement les exemplaires fixés qui peuvent être mis en circulation en tant qu’objets tangibles. »

10. L’article 8, paragraphe 1, du TDA dispose :

« [...] les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques jouissent du droit exclusif d’autoriser toute communication au public de leurs œuvres par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit de manière individualisée ».

Le droit de l’Union

11. En vertu de l’article 2 de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (7) :

« Les États membres prévoient le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelque moyen et sous quelque forme que ce soit, en tout ou en partie :

a) pour les auteurs, de leurs œuvres ;

[...] »

12. L’article 3, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement. »

13. Enfin, selon l’article 4 de la même directive :

« 1. Les États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute forme de distribution au public, par la vente ou autrement, de l’original de leurs œuvres ou de copies de celles‑ci.

2. Le droit de distribution dans la Communauté relatif à l’original ou à des copies d’une œuvre n’est épuisé qu’en cas de première vente ou premier autre transfert de propriété dans la Communauté de cet objet par le titulaire du droit ou avec son consentement. »

Le droit néerlandais

14. L’article 1er de l’Auteurswet (loi sur le droit d’auteur) dispose :

« Le droit d’auteur est le droit exclusif qu’a l’auteur d’une œuvre littéraire, scientifique ou artistique ou ses ayants droit de communiquer cette œuvre et de la reproduire, sous réserve des restrictions prévues par la loi. »

15. Selon l’article 12, paragraphe 1, point 1, de cette loi :

« 1. Par communication au public d’une œuvre littéraire, scientifique ou artistique, on entend :

1°. la communication au public d’une copie de l’ensemble ou d’une partie de l’œuvre ;

[...] »

16. En vertu de l’article 12b de cette même loi :

« Si un exemplaire d’une œuvre littéraire, scientifique ou artistique a été mis en circulation par transfert de propriété pour la première fois dans l’un des États membres de l’Union européenne ou dans un État partie à l’accord sur l’Espace économique européen par son auteur ou son ayant droit ou avec leur consentement, la mise en circulation dudit exemplaire d’une autre façon, à l’exception de la location ou du prêt, ne constitue pas une violation du droit d’auteur. »

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

17. Nederlands Uitgeversverbond (ci-après « NUV ») et Groep Algemene Uitgevers (ci-après « GAU »), requérantes au principal, sont des associations ayant pour objet la défense des intérêts des éditeurs néerlandais.

18. Tom Kabinet Internet BV (ci-après « Tom Kabinet »), défenderesse au principal (8), est une société de droit néerlandais. Tom Kabinet possède un site Internet fournissant un marché en ligne pour les livres électroniques d’occasion. Les modalités de fonctionnement de ce marché ont évolué durant la procédure au principal. Actuellement, dans le cadre de ce service, dénommé « club de lecture » (leesclub), Tom Kabinet revend aux particuliers enregistrés sur son site des livres électroniques qu’elle a achetés soit auprès des distributeurs officiels, soit auprès d’autres particuliers. Les prix pratiqués par Tom Kabinet sont inférieurs aux prix des distributeurs officiels. Le site de Tom Kabinet incite les particuliers ayant acheté des livres électroniques sur son site à les lui revendre après lecture, ce qui leur donne droit à des « crédits » leur permettant par la suite d’acheter d’autres livres. Lors de l’achat de livres électroniques auprès des particuliers, Tom Kabinet exige d’eux d’effacer leur propre copie (9) et appose sur les copies qu’elle revend un filigrane numérique (digital watermark), afin de s’assurer de la légalité de la copie.

19. Le 1er juillet 2014, NUV et GAU ont introduit un recours à l’encontre de Tom Kabinet devant le juge des référés du rechtbank Amsterdam (tribunal d’Amsterdam, Pays-Bas), qui a rejeté leur demande dès lors que l’existence d’une violation du droit d’auteur n’était pas, à première vue, suffisamment vraisemblable (10). NUV et GAU ont interjeté appel de ce jugement devant le Gerechtshof te Amsterdam (cour d’appel d’Amsterdam, Pays-Bas), qui s’est rallié à la décision du juge des référés, tout en interdisant à Tom Kabinet d’offrir un service en ligne permettant la vente de livres électroniques téléchargés...

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