Opinion of Advocate General Kokott delivered on 3 October 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:834
Celex Number62018CC0401
CourtCourt of Justice (European Union)
Date03 October 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 3 octobre 2019 (1)

Affaire C401/18

Herst, s.r.o.

contre

Odvolací finanční ředitelství

(demande de décision préjudicielle formée par le Krajský soud v Praze [cour régionale de Prague, République tchèque])

« Question préjudicielle – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée – Produits soumis à accise – Exonération d’une livraison de biens qui sont expédiés ou transportés à l’intérieur de l’Union européenne – Opération en chaîne – Imputation du mouvement de marchandises à une livraison au sein d’une chaîne de livraisons – Expédition de produits soumis à accise sous le régime de suspension des droits d’accise – Primauté du droit de l’Union – Limites d’une interprétation conforme au droit de l’Union – Principe in dubio mitius »






I. Introduction

1. La présente affaire porte en substance une nouvelle fois sur la question, éminemment importante pour la pratique, de savoir quelle opération, dans une chaîne de livraisons transfrontalières avec plusieurs opérations, doit être qualifiée de livraison intracommunautaire exonérée lorsqu’il n’y a qu’un seul mouvement de marchandises. Puisque la requérante au principal fait valoir une déduction de la TVA payée en amont, elle prétend n’avoir reçu aucune livraison intracommunautaire exonérée.

2. Même si la Cour a déjà examiné plusieurs fois (2) de tels cas de figure, la juridiction de renvoi est d’avis que la jurisprudence jusqu’à ce jour de la Cour ne permet toujours pas de dégager des critères clairs quant à la détermination du lieu de la livraison et à l’imputation de l’exonération à l’une des livraisons dans une chaîne de livraisons. Un critère applicable à cet égard est le transfert du pouvoir de disposer. Sur ce point, la juridiction de renvoi relève que le carburant livré a été transporté sous le régime de suspension des droits d’accise. La Cour a toutefois déjà déclaré, dans son arrêt AREX, que cela n’a pas d’importance au regard de la TVA (3).

3. La présente affaire offrira donc à la Cour encore une fois la possibilité de préciser les critères d’attribution du mouvement de marchandises à une livraison déterminée dans une chaine de livraisons et d’assurer davantage de sécurité juridique en l’espèce.

4. En outre, les questions sont soulevées en rapport avec le principe constitutionnel in dubio mitius applicable en République tchèque. Selon ce principe, une disposition de droit fiscal doit toujours être interprétée au bénéfice du contribuable lorsqu’il existe objectivement plusieurs variantes d’interprétation. Dans la mesure où la variante la plus avantageuse pour le contribuable ne correspond pas à une interprétation conforme au droit de l’Union, se pose la question du rapport entre le droit constitutionnel national et le droit de l’Union.

II. Cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5. Le cadre juridique en droit de l’Union est régi par les dispositions de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (ci‑après la « directive TVA ») (4).

6. L’article 2 de la directive TVA dispose :

« 1. Sont soumises à la TVA les opérations suivantes :

a) les livraisons de biens effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel ;

(…) »

7. La « livraison de biens » est définie à l’article 14, paragraphe 1, de la directive TVA comme étant le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire.

8. L’article 32, premier alinéa, de la directive TVA détermine le lieu de la livraison et dispose :

« Dans le cas où le bien est expédié ou transporté soit par le fournisseur, soit par l’acquéreur, soit par une tierce personne, le lieu de la livraison est réputé se situer à l’endroit où le bien se trouve au moment du départ de l’expédition ou du transport à destination de l’acquéreur. »

9. Au chapitre 4 du titre IX, intitulé « Exonérations », l’article 138, paragraphe 1, prévoit ce qui suit :

« Les États membres exonèrent les livraisons de biens expédiés ou transportés en dehors de leur territoire respectif mais dans la Communauté par le vendeur, par l’acquéreur ou pour leur compte, effectuées pour un autre assujetti, ou pour une personne morale non assujettie, agissant en tant que tel dans un État membre autre que celui du départ de l’expédition ou du transport des biens. »

B. Le droit tchèque

10. S’agissant du droit tchèque applicable, il convient notamment de renvoyer à l’article 64 de la loi tchèque sur la TVA (5) qui a transposé en droit tchèque l’article 138 de la directive TVA. Le droit à la déduction de la TVA payée en amont, prévu aux articles 167 et suivants de la directive TVA, a été transposé par les articles 72 et suivants de la loi sur la TVA.

11. De plus, la juridiction de renvoi mentionne le principe constitutionnel in dubio mitius (en cas de doute, le plus clément). Ce dernier a pour objectif d’adoucir les conséquences d’une insécurité juridique sur les destinataires d’une disposition juridique ambigüe lorsque l’État – en tant que responsable du contenu et de la clarté d’une règle en vigueur – leur impose des obligations.

12. Le droit tchèque prévoit donc que, lorsque plusieurs interprétations d’une norme de droit public sont possibles, il convient de s’appuyer sur celle qui ne limite pas, ou le moins possible, les droits et libertés fondamentaux. La juridiction de renvoi est d’avis que la réglementation déterminante pour trancher la présente affaire n’est pas claire. Par conséquent, la déduction de la TVA payée en amont devrait pour ce motif être accordée en vertu du droit national sur le fondement du principe in dubio mitius.

III. Faits et procédure préjudicielle

13. La requérante au principal (Herst, s.r.o. ; ci‑après « Herst ») sollicite de la part de la juridiction nationale la déduction de la TVA payée en amont. Herst opère, entre autres, dans le domaine du transport routier et est propriétaire de plusieurs stations-service. Au moyen de ses propres véhicules, elle transporte du carburant depuis d’autres États membres (Autriche, Allemagne, Slovaquie, Slovénie) vers le lieu de destination, la République tchèque. Au cours de ce transport, les marchandises sont revendues plusieurs fois, mais ne sont transportées qu’une seule fois (par Herst) à l’acquéreur final en République tchèque.

14. Dans de nombreux cas, Herst était l’acquéreur final du carburant. Elle l’achetait auprès de fournisseurs qui étaient enregistrés aux fins de la TVA en République tchèque. Ce faisant, Herst se situait à la fin de la chaine de livraisons. Dans d’autres cas, elle revendait le carburant à ses propres clients. Dans ces situations, elle se situait au milieu de la chaine de livraisons. Dès lors, Herst ne facturait pas de frais de transport à ses fournisseurs, mais achetait le carburant à des prix qui n’incluaient pas le transport.

15. Habituellement, Herst passait commande auprès de fournisseurs tchèques qui avaient acheté, ou achetaient encore, le carburant auprès d’une raffinerie située dans un autre État membre. À cette occasion, elle indiquait le terminal de la raffinerie où la marchandise serait enlevée, la date et, le cas échéant, le moment du chargement, le nom du conducteur, le numéro d’immatriculation du véhicule et de la remorque, la quantité de carburant transportée et le lieu de déchargement.

16. Après paiement de la facture anticipée, Herst pouvait prendre livraison des marchandises selon les instructions des fournisseurs tchèques. Herst enlevait le carburant directement dans les terminaux dans les autres États membres. Lors de la remise des marchandises, aucun des partenaires contractuels participant à la chaine de livraisons n’était présent. Herst transportait ensuite le carburant en République tchèque. Après le passage de la frontière, il était procédé au dédouanement. Le carburant était mis en libre pratique au regard des droits d’accise et la requérante poursuivait le transport jusqu’au lieu de déchargement, c’est‑à‑dire jusqu’à ses stations-service ou celles de ces clients.

17. À la suite d’un contrôle fiscal pour les périodes de novembre 2010 à mai 2013 et de juillet et août 2013, l’administration fiscale a constaté que la requérante avait fait valoir, pour les livraisons de carburant, une déduction de la TVA payée en amont comme s’il s’était agi de livraisons à l’intérieur de la République tchèque. Or, selon l’administration fiscale, la livraison des marchandises n’a pas été réalisée en République tchèque, mais dans les autres États membres où se trouvait le carburant au moment du départ de l’expédition ou du transport. Par conséquent, il s’agissait d’une livraison intracommunautaire exonérée à destination de Herst qui n’ouvrait aucun droit à déduction dans le chef de cette dernière.

18. Selon l’administration fiscale, étant donné que la requérante a enlevé elle‑même dans les autres États membres les marchandises achetées et qu’elle les a transportées à ses propres frais en République tchèque aux fins de ses activités économiques, cette livraison de marchandises entre les fournisseurs tchèques et la requérante serait une livraison avec transport de marchandises. C’est pourquoi l’administration fiscale a annulé la déduction de la TVA payée en amont qui avait été demandée de manière infondée et a établi une nouvelle fois, au moyen d’avis d’imposition complémentaires, la TVA due par la requérante pour les différentes périodes imposables examinées. Dans le même temps, elle a infligé à Herst une amende.

19. La requérante a introduit une réclamation contre les avis d’imposition complémentaires dans laquelle elle faisait notamment valoir que le transport du carburant entre les États membres avait été effectué sous le régime de suspension. Le transport avait été réalisé sous contrôle douanier. Ce n’est qu’à la fin du transport que les marchandises ont été placées en libre pratique dans un seul et même État membre et ce...

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