Opinion of Advocate General Kokott delivered on 1 March 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:143
Docket NumberC-299/16,C-119/16,C-118/16,,C-115/16,
Celex Number62016CC0115
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date01 March 2018
62016CC0115

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 1er mars 2018 ( 1 )

Affaire C‑115/16

N Luxembourg 1

contre

Skatteministeriet

[demande de décision préjudicielle
formée par l’Østre Landsret (cour d’appel de la région Est, Danemark)]

« Renvoi préjudiciel – Directive 2003/49/CE du Conseil concernant un régime fiscal commun applicable aux paiements d’intérêts et de redevances effectués entre des sociétés associées d’États membres différents (appelée directive sur les intérêts et les redevances) – Notion de “bénéficiaire effectif” – Opérations effectuées en nom propre pour compte d’autrui – Incidence des commentaires du modèle de convention de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur l’interprétation d’une directive de l’Union européenne – Utilisation abusive des possibilités de montages fiscaux – Critères relatifs à l’existence d’un abus visant à éluder une imposition à la source – Abus consistant à exploiter l’absence de systèmes d’échange d’informations entre les États – Application directe d’une disposition de directive non transposée – Interprétation conforme au droit de l’Union de principes nationaux de prévention des abus »

I. Introduction

1.

Dans cette affaire – ainsi que dans trois autres affaires parallèles ( 2 ) –, la Cour est appelée à déterminer dans quelles circonstances le bénéficiaire effectif des intérêts en droit civil doit également être considéré comme le bénéficiaire effectif au sens de la directive sur les intérêts et les redevances ( 3 ). À cet égard, il convient de préciser si les commentaires de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur ses modèles de convention peuvent également être utilisés pour interpréter le droit de l’Union, en particulier s’ils ont été reformulés après l’adoption de la directive. En outre se pose également la question de la définition et de l’applicabilité directe de l’interdiction des pratiques abusives prévue par le droit de l’Union.

2.

Ces questions se posent dans le contexte d’un litige fiscal danois, au sujet duquel l’administration pense que le fait d’éluder la retenue à la source danoise en interposant une société « contrôlée », établie dans un autre État membre de l’Union européenne, est constitutif d’un abus de droit. En effet, cela fait obstacle, en principe, à une imposition à la source définitive au sein de la structure d’entreprise, même si les intérêts sont finalement versés à un fonds de capital‑investissement établie dans un État tiers. Si cet État tiers empêche alors, à son tour, que des informations concernant les paiements d’intérêts aux investisseurs des fonds de capital-investissement soient transmises à leur État de résidence respectif, cela peut même aboutir à une non-imposition des revenus des investisseurs.

3.

En définitive, les questions susvisées concernent toutes le conflit fondamental qui existe en droit fiscal entre la liberté d’effectuer des montages, que le droit civil confère aux assujettis, et la prévention contre des montages valides au regard du droit civil, mais qui, dans certaines circonstances, sont abusifs. Même si cette problématique existe depuis la création du droit fiscal moderne, la délimitation entre l’optimisation fiscale licite et illicite reste difficile. Un conducteur qui, à la suite d’une augmentation de la taxe sur les véhicules à moteur, vend sa voiture pour des raisons de coût, élude assurément ladite taxe intentionnellement. On ne saurait toutefois considérer cela comme cela un abus de droit, même si la seule motivation était l’économie d’impôt.

4.

Compte tenu du climat politique hostile aux pratiques fiscales de certains groupes d’envergure internationale, la délimitation n’est pas chose facile pour la Cour, car chaque démarche individuelle visant à réduire l’impôt ne doit pas être qualifiée d’abus.

II. Cadre juridique

A. Droit de l’Union

5.

La directive 2003/49 et les articles 43, 48 et 56 CE (actuels articles 49, 54 et 63 TFUE) forment le cadre juridique de l’Union de l’affaire.

6.

Les considérants 1 à 6 de la directive 2003/49 disposent :

« (1)

Dans un marché unique ayant les caractéristiques d’un marché intérieur, les opérations entre sociétés d’États membres différents ne devraient pas être soumises à des conditions fiscales moins favorables que celles qui sont applicables aux mêmes opérations effectuées entre sociétés du même État membre.

(2)

Cette exigence n’est pas satisfaite actuellement en ce qui concerne les paiements d’intérêts et de redevances. Les législations fiscales nationales, combinées, le cas échéant, avec les conventions bilatérales ou multilatérales, ne peuvent pas toujours assurer l’élimination des doubles impositions et leur application entraîne souvent des formalités administratives trop lourdes et des charges de trésorerie pour les entreprises concernées.

(3)

Il est nécessaire de faire en sorte que les paiements d’intérêts et de redevances soient soumis une fois à l’impôt dans un État membre.

(4)

La suppression de toute imposition sur les paiements d’intérêts et de redevances dans l’État membre d’où ces paiements proviennent, que cette imposition soit perçue par voie de retenue à la source ou recouvrée par voie de rôle, constitue la solution la plus appropriée pour éliminer les formalités et les problèmes susmentionnés et réaliser l’égalité de traitement fiscal entre opérations nationales et opérations transfrontalières. Il est en particulier nécessaire de supprimer les impositions grevant ces paiements lorsqu’ils sont effectués entre sociétés associées d’États membres différents ou entre des établissements stables de ces sociétés.

(5)

Le régime doit uniquement s’appliquer au montant des paiements d’intérêts ou de redevances dont seraient convenus le payeur et le bénéficiaire effectif en l’absence de relations spéciales.

(6)

Il convient en outre de ne pas priver les États membres de la possibilité de prendre les mesures nécessaires pour combattre les fraudes et les abus. »

7.

L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2003/49 est rédigé dans les termes suivants :

« Les paiements d’intérêts et de redevances échus dans un État membre sont exonérés de toute imposition, retenue à la source ou recouvrée par voie de rôle, dans cet État d’origine, lorsque le bénéficiaire des intérêts ou redevances est une société d’un autre État membre ou un établissement stable, situé dans un autre État membre, d’une société d’un État membre. »

8.

L’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2003/49 poursuit ainsi :

« Une société d’un État membre n’est considérée comme bénéficiaire des intérêts ou des redevances que si elle les perçoit pour son compte propre et non comme représentant, par exemple comme administrateur fiduciaire ou signataire autorisé, d’une autre personne. »

9.

L’article 1er, paragraphe 7, de la directive 2003/49 se lit comme suit :

« Le présent article n’est applicable que lorsque la société qui a payé les intérêts et les redevances ou la société dont l’établissement stable est considéré comme ayant payé les intérêts et les redevances est une société associée de la société qui est bénéficiaire des paiements en question ou dont l’établissement stable est considéré comme étant bénéficiaire des intérêts ou des redevances en question. »

10.

L’article 5 de la directive 2003/49 énonce, sous l’intitulé « Fraudes et abus », la réglementation suivante :

« 1. La présente directive ne fait pas obstacle à l’application des dispositions nationales ou des dispositions fondées sur des conventions, qui sont nécessaires pour prévenir les fraudes ou les abus.

2. Les États membres peuvent, dans le cas d’opérations dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est la fraude ou l’évasion fiscales ou les abus, retirer le bénéfice de la présente directive ou refuser d’appliquer celle-ci. »

B. Droit international

11.

La convention entre le Luxembourg et le Danemark tendant à éviter la double imposition (ci-après la « convention préventive de double imposition ») du 17 novembre 1980 comporte, à son article 11, paragraphe 1, la disposition suivante sur la répartition des pouvoirs de taxation des intérêts :

«1. Les intérêts en provenance d’un État contractant versés à une personne résidente d’un autre État contractant ne peuvent être imposés que dans cet autre État si cette personne est le bénéficiaire effectif des intérêts. »

12.

Il en résulte que l’État d’origine, en l’occurrence le Royaume de Danemark, ne peut pas imposer les intérêts versés à une personne résidant au Luxembourg si elle est le « bénéficiaire effectif » des intérêts. La convention préventive de double imposition ne définit pas plus précisément la notion de « bénéficiaire effectif ».

C. Législation danoise

13.

D’après les indications de la juridiction de renvoi, la législation danoise en vigueur au cours des années litigieuses était la suivante.

14.

La loi relative à l’imposition des sociétés de capitaux (ci-après la « loi relative à l’impôt sur les sociétés» ( 4 )) régit, à l’article 2, paragraphe 1, sous d), l’obligation fiscale limitée des sociétés étrangères pour les intérêts crédités ou versés par des sociétés danoises :

« Article 2. Sont, en outre, assujetties à l’impôt en vertu de la présente loi, les sociétés et les associations, notamment, mentionnées à l’article 1er, paragraphe 1, qui ont leur résidence à l’étranger, dès lors que […]

d)

elles perçoivent des intérêts de sources situées au Danemark portant sur des dettes qu’[une société enregistrée au...

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