Opinion of Advocate General Sharpston delivered on 31 October 2019.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date31 October 2019

Édition provisoire


CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

Mme ELEANOR SHARPSTON

présentées le 31 octobre 2019 (1)

Affaires jointes C453/18 et C494/18

Bondora

[demandes de décision préjudicielle formées par le Juzgado de Primera Instancia nº 11 de Vigo (tribunal de première instance nº 11 de Vigo, Espagne) et par le Juzgado de Primera Instancia nº 20 de Barcelona (tribunal de première instance nº 20 de Barcelone, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 1896/2006 – Procédure européenne d’injonction de payer – Directive 93/13/CEE – Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs – Contrôle d’office par le juge – Documents non obligatoires dans le cadre d’une demande d’injonction de payer européenne, mais indispensables aux fins d’apprécier l’éventuelle existence de clauses abusives »






Introduction

1. Un juge saisi d’une demande d’injonction de payer européenne au titre du règlement (CE) nº 1896/2006 (2), relative à un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, est-il tenu de procéder à un contrôle d’office de l’existence éventuelle de clauses abusives, au sens de la directive 93/13/CEE (3) ? Dans ce contexte, ledit juge est-il habilité à inviter le demandeur à lui communiquer une copie du contrat justifiant sa demande, au titre de l’article 7, paragraphe 2, dudit règlement ? Si tel n’était pas le cas, quelles conclusions conviendrait-il d’en tirer quant à la validité du règlement nº 1896/2006, notamment à la lumière de l’article 38 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte ») ?

2. Telles sont, en substance, les questions fondamentales adressées à la Cour par les juridictions de renvoi en l’espèce. C’est à ce titre que, pour la première fois, la Cour sera amenée à clarifier l’articulation entre les exigences respectives du règlement nº 1896/2006 et de la directive 93/13 quant à l’office du juge.

3. Ces deux instruments de droit de l’Union semblent poursuivre des objectifs a priori antinomiques : protection du consommateur grâce à l’intervention active du juge, s’agissant de la directive, et accélération et simplification du recouvrement des créances au moyen de l’inversion du contentieux et d’une responsabilisation accrue du défendeur, pour le règlement.

4. Il appartiendra à la Cour de déterminer si l’un de ces objectifs se doit de prévaloir sur l’autre ou si – comme je le crois – il est en réalité possible de les concilier, par une interprétation combinée de ces deux instruments.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La Charte

5. L’article 38 de la Charte dispose :

« Un niveau élevé de protection des consommateurs est assuré dans les politiques de l’Union. »

La directive 93/13

6. Les quatrième, cinquième, vingt et unième et vingt-quatrième considérants de la directive 93/13 prévoient :

« considérant qu’il incombe aux États membres de veiller à ce que des clauses abusives ne soient pas incluses dans les contrats conclus avec les consommateurs ;

considérant que, généralement, le consommateur ne connaît pas les règles de droit qui, dans les États membres autres que le sien, régissent les contrats relatifs à la vente de biens ou à l’offre de services [...]

[...]

considérant que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires afin d’éviter la présence de clauses abusives dans des contrats conclus avec des consommateurs par un professionnel ; que, si malgré tout, de telles clauses venaient à y figurer, elles ne lieront pas le consommateur, et le contrat continuera à lier les parties selon les mêmes termes s’il peut subsister sans les clauses abusives ;

[...]

considérant que les autorités judiciaires et organes administratifs des États membres doivent disposer de moyens adéquats et efficaces afin de faire cesser l’application de clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs. »

7. Conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 93/13, celle‑ci a « pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur ».

8. L’article 4, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »

9. Aux termes de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes termes, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

10. L’article 7, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

Le règlement no 1896/2006

11. Les considérants 9, 13 et 14 du règlement nº 1896/2006 sont libellés comme suit :

« 9. Le présent règlement a pour objet de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de procédure dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer, et d’assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.

[...]

13. Le demandeur devrait être tenu de fournir, dans la demande d’injonction de payer européenne, des informations suffisamment précises pour identifier et justifier clairement la créance afin de permettre au défendeur de décider en connaissance de cause soit de s’y opposer, soit de ne pas la contester.

14. Dans ce cadre, le demandeur devrait être tenu de fournir une description des éléments de preuve à l’appui de la créance. À cet effet, le formulaire de demande devrait comporter une liste aussi exhaustive que possible des éléments de preuve habituellement produits à l’appui de créances pécuniaires. »

12. L’article 1er du règlement nº 1896/2006, intitulé « Objet », prévoit :

« 1. Le présent règlement a pour objet :

a) de simplifier, d’accélérer et de réduire les coûts de règlement dans les litiges transfrontaliers concernant des créances pécuniaires incontestées en instituant une procédure européenne d’injonction de payer ;

et

b) d’assurer la libre circulation des injonctions de payer européennes au sein de l’ensemble des États membres en établissant des normes minimales dont le respect rend inutile toute procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution.

2. Le présent règlement n’empêche pas le demandeur de faire valoir une créance au sens de l’article 4 en recourant à une autre procédure prévue par le droit d’un État membre ou par le droit communautaire. »

13. Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, intitulé « Champ d’application » :

« Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale dans les litiges transfrontaliers, quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives, ni la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (“acta jure imperii”). »

14. L’article 2, paragraphes 2 et 3, dudit règlement énumère d’autres exceptions quant à son champ d’application, qui ne sont pas pertinentes en l’espèce.

15. L’article 3 du règlement nº 1896/2006, portant l’intitulé « Litiges transfrontaliers », dispose :

« 1. Aux fins du présent règlement, un litige transfrontalier est un litige dans lequel au moins une des parties a son domicile ou sa résidence habituelle dans un État membre autre que l’État membre de la juridiction saisie.

2. Le domicile est déterminé conformément aux articles 59 et 60 du règlement (CE) nº 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale.

[...] »

16. Aux termes de l’article 7 de ce règlement, intitulé « Demande d’injonction de payer européenne » :

« 1. Une demande d’injonction de payer européenne est introduite au moyen du formulaire type A figurant à l’annexe I.

2. La demande comprend les éléments suivants :

a) le nom et l’adresse des parties, et le cas échéant de leurs représentants, ainsi que de la juridiction saisie de la demande ;

b) le montant de la créance, notamment le principal et, le cas échéant, les intérêts, les pénalités contractuelles et les frais ;

c) si des intérêts sont réclamés sur la créance, le taux d’intérêt et la période pour laquelle ces intérêts sont réclamés, sauf si des intérêts légaux sont automatiquement ajoutés au principal en vertu du droit de l’État membre d’origine ;

d) la cause de l’action, y compris une description des circonstances invoquées en tant que fondement de la créance et, le cas échéant, des intérêts réclamés ;

e) une description des éléments de preuve à l’appui de la créance ;

f) les chefs de compétence ;

et

g) le caractère transfrontalier du litige au sens de l’article 3.

[...] »

17. L’article 8 du règlement nº 1896/2006, intitulé « Examen de la demande », est libellé comme suit :

« La juridiction saisie d’une demande d’injonction de payer européenne examine...

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