Opinion of Advocate General Kokott delivered on 17 October 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:879
Celex Number62018CC0405
CourtCourt of Justice (European Union)
Date17 October 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 17 octobre 2019 (1)

Affaire C405/18

AURES Holdings a.s.

en présence de :

Odvolací finanční ředitelství

[demande de décision préjudicielle formée par le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque)]

« Renvoi préjudiciel – Liberté d’établissement – Législation fiscale – Impôt sur les sociétés – Transfert du siège réel d’une société d’un État membre à l’autre – Compensation transfrontalière de pertes sur différentes périodes – Non-prise en compte de pertes générées avant le transfert du siège dans un autre État membre – Pertes définitives en cas de transfert du siège »






I. Introduction

1. La présente affaire porte sur l’interprétation de la liberté d’établissement au sens des dispositions combinées de l’article 49 et de l’article 54 TFUE. Elle soulève en particulier la question de savoir si, en cas de transfert du siège de direction d’un contribuable, la liberté d’établissement autorise celui‑ci à faire valoir dans l’État d’accueil une perte fiscale subie dans un autre État membre au cours d’exercices antérieurs.

2. Le litige trouve son origine dans le recours d’une société tchèque qui avait fait valoir une perte auprès de l’administration fiscale tchèque. Cette perte avait été subie antérieurement aux Pays‑Bas par la société en question. Toutefois, elle ne pouvait plus prendre en compte cette perte aux Pays‑Bas en raison du transfert du siège de sa direction effective en République tchèque et, partant, de l’absence d’activité économique aux Pays‑Bas. En vertu du droit fiscal tchèque, le report en avant de pertes est en principe possible. Toutefois, cette possibilité est uniquement prévue pour les pertes générées dans le cadre de la compétence fiscale tchèque.

3. La grande chambre de la Cour (2) a jugé en 2005 que, dans le cas des pertes dites définitives, le principe de proportionnalité commandait de prévoir, à titre exceptionnel, l’utilisation transfrontalière des pertes au cours d’un même exercice fiscal. Cela vaut-il cependant aussi en dehors d’une structure de groupe et au cours d’une période différente en cas de simple transfert du siège (c’est‑à‑dire en cas de départ) dans un autre État membre ? Ainsi, si elle veut maintenir l’exception concernant les pertes définitives (3), la Cour a une nouvelle occasion de préciser les contours de cette catégorie.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. En droit de l’Union, le cadre juridique de l’affaire est constitué par la liberté d’établissement des sociétés conformément à l’article 49, lu conjointement avec l’article 54, TFUE.

B. Le droit tchèque

5. La loi tchèque relative à l’impôt sur le revenu (4) (ci‑après la « loi relative à l’impôt sur le revenu ») régit, en ses articles 34 et 38n, les possibilités d’imputation des pertes.

6. Aux termes de l’article 34 de la loi relative à l’impôt sur le revenu, « [l]a perte fiscale qui a été subie et établie au titre de l’exercice d’imposition précédent peut, en tout ou partie, être déduite de l’assiette imposable, et ce au plus tard au cours des 5 exercices d’imposition immédiatement consécutifs à la période pour laquelle la perte a été établie ».

7. L’article 38n de la loi relative à l’impôt sur le revenu définit la perte fiscale et dispose que « [la] perte fiscale est établie selon la même procédure que l’impôt ».

III. Le litige au principal

8. La société AURES Holdings a.s. (ci‑après « Aures ») (anciennement AAA Auto International a.s.) a succédé à la société néerlandaise AAA Auto Group N.V. et, notamment, à l’entreprise résultant du démembrement de celle‑ci, AAA Auto Group N.V. –Succursale. La société avait son siège et sa direction aux Pays‑Bas. Elle a créé une succursale en République tchèque le 1er janvier 2008. En droit tchèque, une succursale n’a pas de personnalité juridique propre.

9. Aures a allégué qu’elle avait transféré, le 1er janvier 2009, le siège de sa direction effective, c’est‑à‑dire l’adresse du lieu à partir duquel la direction de la société est effectivement assurée (ci‑après le « siège réel »), des Pays‑Bas vers la République tchèque, et ce à l’adresse de la succursale susmentionnée. Ce changement de siège a été enregistré le 19 avril 2013 au registre du commerce tchèque, le siège officiel initial (ci‑après le « siège statutaire ») demeurant à Amsterdam (Pays‑Bas). Aures y est immatriculée au registre du commerce et son organisation interne reste régie par le droit néerlandais. Aures est toujours résidente fiscale néerlandaise, mais elle n’exerce pas d’activité économique à l’heure actuelle.

10. Avant de devenir résidente fiscale de la République tchèque, Aures avait subi aux Pays‑Bas, en 2007 et, semble-t-il, aussi en 2008, une perte fiscale de 2 792 187 euros, qui a été établie aux Pays‑Bas en application de la législation fiscale néerlandaise.

11. Aures estime ne pas avoir pu faire valoir la perte fiscale de 2007 et 2008 aux Pays‑Bas au cours de l’exercice fiscal en cause. C’est pourquoi elle a demandé la prise en compte de ses pertes aux fins de la réduction de son assiette imposable en République tchèque. Les pertes d’Aures ont été prises en compte par erreur dans le cadre du calcul de l’assiette imposable pour les années 2009 et 2010. En l’absence de bénéfices, il n’y a pas eu de compensation en 2011. Aures entend désormais faire valoir en République tchèque la partie restante de ses pertes fiscales conformément aux articles 34 et 38n de la loi relative à l’impôt sur le revenu, afin de diminuer également l’assiette imposable pour l’exercice 2012.

12. Le 19 mars 2014, l’administration fiscale a engagé une procédure contre Aures. Le contrôle de l’administration fiscale avait pour objet d’apprécier s’il était légal de faire valoir la perte fiscale en 2012. L’administration fiscale a conclu qu’une compensation ne pouvait pas être opérée avec la perte fiscale conformément à l’article 38n de la loi relative à l’impôt sur le revenu. La réclamation introduite par Aures contre l’avis d’imposition a été rejetée par le service des réclamations. Aures a été déboutée de son recours contre cette décision. Elle s’est pourvue en cassation contre cet arrêt.

IV. Les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

13. Par ordonnance du 31 mai 2018, le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque) a décidé d’introduire une procédure préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE et a saisi la Cour des questions suivantes :

1) Peut-on d’emblée faire relever le seul transfert du siège de direction d’une société d’un État membre vers un autre État membre de la notion de liberté d’établissement visée à l’article 49 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, les articles 49, 52 et 54 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’opposent-ils à une réglementation nationale qui ne permet pas à une entité d’un autre État membre, en cas de transfert du lieu où elle exerce son activité économique ou de son siège de direction en République tchèque, de faire valoir une perte fiscale subie dans cet autre État membre ?

14. Dans le cadre de la procédure devant la Cour, des observations écrites sur ces questions ont été présentées par Aures, la République tchèque, la République fédérale d’Allemagne, la République italienne, le Royaume d’Espagne, le Royaume des Pays‑Bas, le Royaume de Suède, le Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la Commission ; à l’exception de la République italienne, ces mêmes parties et la République française ont participé à l’audience du 13 mai 2019.

V. Appréciation juridique

15. Dans le cadre du litige au principal, Aures conteste un avis d’imposition de l’administration fiscale tchèque dans lequel les pertes qu’elle a subies aux Pays‑Bas n’ont pas été prises en compte. La demande de décision préjudicielle porte dès lors sur la compatibilité de la non‑prise en compte des pertes fiscales avec le droit de l’Union. Cette question est soulevée, quant à elle, par le fait que, en vertu de l’article 34 de la loi tchèque relative à l’impôt sur le revenu, les pertes subies au cours de l’exercice fiscal antérieur peuvent être prises en compte. Selon les indications de la juridiction de renvoi, cette règle ne s’applique cependant pas aux pertes qui ont été générées à l’étranger avant le transfert du siège en République tchèque.

A. Sur la première question

16. La juridiction de renvoi demande tout d’abord si le simple transfert du siège de direction d’une société d’un État membre vers un autre État membre relève de la liberté d’établissement visée à l’article 49 TFUE.

17. L’article 49 TFUE, lu en combinaison avec l’article 54 TFUE, accorde le bénéfice de la liberté d’établissement aux sociétés constituées en conformité de la législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union européenne (5).

18. La Cour a déjà jugé que la liberté d’établissement englobe le droit de transférer le principal établissement d’une société dans un autre État membre (6). En outre, une société constituée selon le droit d’un État membre, qui transfère son siège de direction effective dans un autre État membre, sans que ce transfert de siège affecte sa qualité de société du premier État membre, peut se prévaloir de l’article 49 TFUE aux fins de mettre en cause la légalité d’une imposition mise à sa charge, par le premier État membre, à l’occasion dudit transfert de siège (7).

19. Par conséquent, le seul transfert du siège réel d’une société, en l’occurrence Aures, relève déjà, contrairement à l’avis de l’Espagne, du champ d’application de la liberté d’établissement au sens des dispositions combinées de l’article 49 et de l’article 54 TFUE.

B. Sur la deuxième question

20. La juridiction de renvoi demande par ailleurs si les articles 49 et 54 TFUE...

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