Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 11 April 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:314
Date11 April 2019
Celex Number62018CC0208
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-208/18

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 11 avril 2019 (1)

Affaire C‑208/18

Jana Petruchová

contre

FIBO Group Holdings Limited

(Demande de décision préjudicielle du Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque))

« Coopération judiciaire en matière civile — Règlement (UE) no 1215/2012 — Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs — “Consommateur” — Personne physique opérant dans le commerce des devises étrangères sur le marché international des devises par l’intermédiaire d’une société de courtage — Cohérence avec la notion de consommateur au sens du règlement (UE) no 593/2008 — Client de détail au sens de la Directive 2004/39/CE »






1. Dans la présente affaire, la Cour est invitée à interpréter la notion de « consommateur » au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement (UE) nº 1215/2012 (2) (ci-après le « règlement Bruxelles I bis ») dans le contexte d’opérations effectuées sur le marché international des devises (ci-après le « marché FOREX »).

2. Par dérogation à l’article 4, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis (3), l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement prévoit qu’un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, peut intenter une action contre l’autre partie à un contrat, non seulement devant les juridictions de l’État membre où est domiciliée cette partie, mais également devant les juridictions du lieu où le consommateur est domicilié. Les articles 17, 18 et 19 du règlement Bruxelles I bis, qui forment la section 4 du chapitre II dudit règlement, intitulée « Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs », visent à garantir une protection adéquate du consommateur, en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant professionnel (4).

3. Il est demandé à la Cour si une personne physique qui effectue des opérations sur le marché FOREX doit être considérée comme un consommateur au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis, ou si, en raison des connaissances et de l’expertise requisespour effectuer de telles opérations, ainsi que de la nature complexe et atypique du contrat en cause et des risques encourus, une telle personne ne peut pas être considérée comme un consommateur, de sorte que les dispositions protectrices de la section 4 du Chapitre II du règlement Bruxelles I bis ne lui sont pas applicables.

I. Le cadre juridique

A. Le règlement Bruxelles I bis

4. L’article 17 du règlement Bruxelles I bis dispose :

« 1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice de l’article 6 et de l’article 7, point 5) :

a) lorsqu’il s’agit d’une vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ;

b) lorsqu’il s’agit d’un prêt à tempérament ou d’une autre opération de crédit liés au financement d’une vente de tels objets ; ou

c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État membre sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État membre ou vers plusieurs États, dont cet État membre, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités.

(…)

3. La présente section ne s’applique pas aux contrats de transport autres que ceux qui, pour un prix forfaitaire, combinent voyage et hébergement. »

B. Le règlement Rome I

5. L’article 6 du règlement (CE) nº 593/2008 (5) (ci-après « le règlement Rome I »), intitulé « Contrats de consommation », dispose :

« 1. Sans préjudice des articles 5 et 7, un contrat conclu par une personne physique (ci-après ‘le consommateur’), pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, avec une autre personne (ci-après ‘le professionnel’), agissant dans l’exercice de son activité professionnelle, est régi par la loi du pays où le consommateur a sa résidence habituelle, à condition que le professionnel :

a) exerce son activité professionnelle dans le pays dans lequel le consommateur a sa résidence habituelle, ou

b) par tout moyen, dirige cette activité vers ce pays ou vers plusieurs pays, dont celui-ci,

et que le contrat rentre dans le cadre de cette activité.

2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1, les parties peuvent choisir la loi applicable à un contrat satisfaisant aux conditions du paragraphe 1, conformément à l’article 3. Ce choix ne peut cependant avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable, en l’absence de choix, sur la base du paragraphe 1.

(…)

4. Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas :

(…)

d) aux droits et obligations qui constituent des instruments financiers, et aux droits et obligations qui constituent les modalités et conditions qui régissent l’émission ou l’offre au public et les offres publiques d’achat de valeurs mobilières, et la souscription et le remboursement de parts d’organismes de placement collectif, dans la mesure où ces activités ne constituent pas la fourniture d’un service financier ;

(…) »

C. La directive 2004/39

6. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2004/39/CE (6) dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

(…)

10) “client": toute personne physique ou morale à qui une entreprise d’investissement fournit des services d’investissement et/ou des services auxiliaires ;

11) “client professionnel": tout client respectant les critères prévus à l’annexe II ;

12) “client de détail": un client qui n’est pas professionnel ;

(…) »

II. Les faits au principal et les questions préjudicielles

7. Le 2 octobre 2014, Mme Petruchová, domiciliée à Ostrava (République tchèque) a conclu avec FIBO Group Holdings Ltd (ci-après « FIBO »), une société de courtage établie à Limassol (République de Chypre), un contrat-cadre (« Terms of Business », ci-après le « contrat‑cadre »). Le contrat-cadre avait pour objet de permettre à Mme Petruchová d’effectuer des opérations sur le marché FOREX en plaçant des ordres de vente et d’achat de la devise de base, que FIBO devait exécuter via sa plate-forme d’échange en ligne. À cet effet, le contrat-cadre prévoyait la conclusion, entre Mme Petruchová et FIBO, de contrats qualifiés de contrats individuels pour différences.

8. Un contrat pour différences (« contracts for difference », ci-après « CFD ») est un instrument financier qui a pour objet d’acheter, puis de revendre, une devise de base [en l’espèce, des dollars des États-Unis d’Amérique (USD)] et de dégager un bénéfice sur la différence entre les taux de change applicables, respectivement, à l’achat et à la vente de la devise de base par rapport à la devise de contrepartie [qui est, en l’espèce, le yen japonais (JPY)]. Bien qu’il soit possible d’opérer sur le marché FOREX avec ses propres fonds, Mme Petruchová a utilisé la possibilité d’opérer au moyen de ce que l’on appelle des « lots », un lot ayant une valeur de 100 000 USD, en utilisant ce que l’on désigne comme « l’effet de levier ». Elle a ainsi pu opérer avec davantage de fonds que ceux qu’elle avait à sa disposition (7). Lorsqu’elle a acheté la devise de base (USD) en échange de la devise de contrepartie (JPY) au cours de cotation à la vente alors en vigueur, c’est-à-dire lorsqu’elle a « ouvert sa position », Mme Petruchová a obtenu un prêt de la part de FIBO pour le montant nécessaire aux fins de la transaction. Lorsqu’elle a « fermé sa position », c’est-à-dire lorsqu’elle a effectué l’opération inverse consistant à vendre la quantité achetée de la devise de base (USD) en échange de la devise de contrepartie (JPY) au cours de cotation à la vente alors en vigueur, Mme Petruchová a remboursé le prêt à FIBO.

9. La clause 30 du contrat-cadre prévoyait que les juridictions chypriotes étaient internationalement compétentes pour tout litige entre les parties.

10. Le 3 octobre 2014, Mme Petruchová a conclu un CFD avec FIBO (ci-après le « CFD en cause »). À 15 :30 :00, elle a placé un ordre d’achat de 35 lots à un taux de change de 109,0000 USD/JPY. Le système d’échange l’a rapidement informée que le taux de change actualisé était de 109,0500 USD/JPY. Mme Petruchová a accepté et a confirmé l’ordre d’achat.

11. Toutefois, de longues files d’ordres se sont formées dans le système d’échange FIBO, en raison d’un bond du taux des USD par rapport aux devises de contrepartie, à la suite de la divulgation d’informations relatives à une tendance positive dans les indicateurs d’emploi pour le secteur non agricole aux États-Unis d’Amérique. En conséquence, le montant souhaité de 3 500 000 USD a été acheté à 15 :30 :16, et non pas à 15 :30 :00, le taux d’achat étant de 109,4000 USD/JPY, de sorte que le prix d’achat était de 382 900 000 JPY.

12. À 15 :48 :11 le même jour, Mme Petruchová a fermé sa position en plaçant un ordre enjoignant à FIBO de vendre la somme achetée de 3 500 000 USD. Le taux de vente était de 109,5600 USD/JPY, de sorte que le prix de vente était de 383 460 000 JPY. Mme Petruchová a remboursé le prêt accordé par FIBO à concurrence de 382 900 000 JPY. Par conséquent, cette opération lui a procuré un bénéfice brut s’élevant à 560 000 JPY, évalué à 4 081,33 USD.

13. Si l’ordre d’acheter la devise de base donné par Mme Petruchová avait été exécuté à temps, et non pas avec un retard de 16 secondes, elle aurait réalisé un bénéfice de 1 785 000 JPY, évalués à 13 009,23 USD, c’est-à-dire qu’elle aurait réalisé un bénéfice trois fois plus élevé.

14. Par conséquent, le 12 octobre 2015, Mme Petruchová a introduit un recours devant le Krajský soud v Ostravě (Cour régionale, Ostrava, République tchèque), faisant valoir un enrichissement sans cause dans le chef de...

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