Roquette Frères v Ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et de la Ruralité.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:688
Docket NumberC-441/05
Celex Number62005CC0441
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date26 October 2006

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

Mme JULIANE Kokott

présentées le 26 octobre 2006 (1)

Affaire C-441/05

Société Roquette Frères

contre

Ministre de l’Agriculture, de l’Alimentation, de la Pêche et de la Ruralité

[demande de décision préjudicielle formée par la cour administrative d’appel de Douai (France)]

«Droit pour les particuliers d’invoquer l’illégalité de règlements communautaires devant les juridictions nationales – Doutes fondés quant à la recevabilité de recours en annulation formés par les particuliers contre de tels règlements (article 230, quatrième alinéa, CE) – Organisation commune des marchés dans le secteur du sucre – Quotas de production d’isoglucose – Prise en compte de l’isoglucose produit uniquement en tant que produit intermédiaire servant à l’élaboration d’autres produits destinés à la vente»





I – Introduction

1. La question de la protection juridictionnelle des particuliers contre les règlements de la Communauté européenne est à nouveau au cœur de la présente procédure préjudicielle.

2. Alors que la Cour a précisé récemment, en particulier dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (2) et Commission/Jégo-Quéré (3), à quelles conditions les particuliers peuvent saisir directement les juridictions communautaires d’un recours en annulation d’un règlement de la Communauté en vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE (4), la question de la protection juridictionnelle se pose dans la présente affaire sous un autre angle: à quelles conditions un particulier a-t-il le droit d’invoquer devant les juridictions nationales l’illégalité d’un règlement de la Communauté qu’il n’a pas au préalable attaqué directement devant les juridictions communautaires?

3. La présente affaire s’inscrit dans le cadre du régime de quotas de production d’isoglucose en vigueur dans la Communauté depuis la fin des années 70. Dans le litige au principal, la société française Roquette Frères (5) attaque devant les tribunaux français les quotas de production d’isoglucose qui lui ont été attribués par les autorités nationales. À l’appui de son recours, Roquette Frères fait valoir que les instances communautaires ont calculé de manière erronée les quantités de base d’isoglucose allouées à la France métropolitaine (6), au motif qu’elles n’ont pas tenu compte de l’isoglucose qui y est produit en tant que produit intermédiaire servant à l’élaboration d’autres produits destinés à la vente.

II – Le cadre juridique

A – Le contexte du litige

4. L’isoglucose est un édulcorant liquide, fabriqué à partir du glucose présent dans l’amidon. Cet amidon est lui-même obtenu à partir de céréales, le plus souvent du maïs (7). L’isoglucose est considéré comme un produit de substitution direct du sucre liquide issu de la transformation de la betterave ou de la canne à sucre, avec lequel il est en concurrence directe (8).

5. De même que pour la production de sucre auparavant (9), un régime de quotas (10) de production d’isoglucose a été instauré dans la Communauté à la fin des années 70, régime qui doit être replacé dans le contexte de certaines garanties d’écoulement du sucre consenties dans le cadre de la politique agricole commune. Comme la production d’isoglucose contribuait à accroître les excédents de sucre de la Communauté, la mise en place de quotas visait à la limiter afin de prévenir d’éventuelles répercussions négatives sur la politique sucrière de la Communauté (11).

6. Au départ, les quotas de production des différentes entreprises leur étaient attribués directement dans des règlements de la Communauté. Ainsi, en application de l’article 9, paragraphes 1 à 3, du règlement n° 1111/77, tel que notifié par le règlement n° 1293/79 (12), un quota de base a été attribué à chaque entreprise productrice d’isoglucose établie dans la Communauté pour la période allant du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980. Ce quota était en principe égal au double de la production de l’entreprise au cours de la période comprise entre le 1er novembre 1978 et le 30 avril 1979, mais il pouvait le cas échéant être corrigé de manière que son quota maximal ne soit ni supérieur à 85 % ni inférieur à 65 % de la capacité technique annuelle de production de ladite entreprise (13).

7. En application de l’article 9, paragraphe 4, du règlement n° 1111/77, tel que modifié par le règlement n° 1293/79, lu en combinaison avec l’annexe II dudit règlement, le quota de base attribué à Roquette Frères s’élevait à 15 887 t (14). De plus, en application du paragraphe 3 de ce même article, Roquette Frères avait droit à l’attribution d’un «quota maximal» qui, selon les propres indications de l’entreprise, s’élevait à 20 022 t, soit un quota supplémentaire de 4 135 t venant s’ajouter au quota de base.

8. Par arrêt du 29 octobre 1980, la Cour a annulé le règlement n° 1293/79 à la demande de Roquette Frères, en raison d’un vice de forme lors de la consultation du Parlement européen (15). À la suite de cet arrêt, le Conseil de l’Union européenne a arrêté une nouvelle réglementation de même contenu en vue de modifier le règlement n° 1111/77, en premier lieu par le règlement (CEE) n° 387/81 (16), pour la période allant du 1er juillet 1979 au 30 juin 1980, puis par le règlement (CEE) n° 388/81 (17), pour la période allant du 1er juillet 1980 au 30 juin 1981 (18). Ces règlements ont maintenu le quota de base mentionné au point précédent des présentes conclusions de 15 887 t attribué à Roquette Frères. De plus, ils ont fixé à nouveau un quota supplémentaire de 4 135 t pour ladite entreprise.

9. À compter du 1er juillet 1981, les règles régissant la production de sucre et d’isoglucose ont été réunies en une nouvelle organisation commune des marchés, dans laquelle les quotas de production d’isoglucose n’étaient plus attribués directement aux entreprises concernées mais – comme c’était déjà le cas antérieurement pour les quotas de sucre – exclusivement de manière globale, sous la forme de quantités de base allouées aux États membres (19). Depuis lors, la répartition des quotas entre les différentes entreprises incombe aux autorités des États membres.

10. Du 1er juillet 1981 au 30 juin 2006, cette organisation commune des marchés dans le secteur du sucre a résulté d’abord du règlement n° 1785/81, puis du règlement n° 2038/1999 (20) et enfin du règlement (CE) n° 1260/2001 du Conseil (21). Depuis le 1er juillet 2006, la matière est régie par le règlement n° 318/2006 (22), lequel n’est toutefois pas applicable à la présente affaire.

B – Les dispositions litigieuses dans la présente affaire

11. En application de l’article 24, paragraphe 1, du règlement n° 1785/81, les États membres devaient attribuer un quota A et un quota B à chaque entreprise productrice de sucre ou d’isoglucose établie sur leur territoire et qui avait été pourvue, pendant la période allant du 1er juillet 1980 au 30 juin 1981, d’un quota de base défini dans le règlement n° 1111/77 (23).

12. Le quota A d’une entreprise productrice d’isoglucose devait être égal au quota de base qui lui avait été accordé pour la période du 1er juillet 1980 au 30 juin 1981 et le quota B devait s’élever à 23,55 % du quota A (article 24, paragraphes 3 et 5, du règlement n° 1785/81). L’article 24, paragraphe 2, du règlement n° 1785/81 comportait un tableau fixant les quantités de base globales qui pouvaient être ainsi attribuées dans chaque État membre au titre des quotas A et B. Ce tableau fixait, en ce qui concerne l’isoglucose, une quantité de base A de 15 887 t et une quantité de base B de 4 135 t pour la «France (métropole)». Ce régime est entré en vigueur le 1er juillet 1981 et a été prorogé à plusieurs reprises (24).

13. Dans le règlement n° 2038/1999 également, le Conseil a maintenu dans un premier temps ces quantités de base pour les campagnes de commercialisation 1995/1996 à 2000/2001. Le tableau figurant à l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement faisait donc à nouveau apparaître pour l’isoglucose une quantité de base A de 15 887 t et une quantité de base B de 4 135 t pour la «France (métropole)».

14. Simultanément toutefois, l’article 26, paragraphe 5, du règlement n° 2038/1999 offrait désormais la possibilité de réduire les quantités de base mentionnées au point précédent des présentes conclusions afin de respecter les engagements internationaux pris par la Communauté (25). La Commission a fait usage de cette possibilité pour la campagne de commercialisation 2000/2001 en réduisant, en ce qui concerne le quota d’isoglucose attribué à la «France (métropole)», la quantité de base A de 606,6 t pour la ramener à 15 280,4 t et la quantité de base B de 157,9 t pour la ramener à 3 977,1 t [article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 2073/2000 de la Commission (26), lu en combinaison avec les annexes I et II de ce même règlement].

15. Enfin, pour les campagnes de commercialisation 2001/2002 à 2005/2006, le Conseil a arrêté, à l’article 11, paragraphe 2, du règlement n° 1260/2001, une nouvelle quantité de base A de 15 747,1 t et une nouvelle quantité de base B de 4 098,6 t en ce qui concerne le quota d’isoglucose attribué à la «France (métropole)», tout en offrant à nouveau, à l’article 10, paragraphes 3 et 4, dudit règlement, la possibilité d’une réduction de ces quantités pour se conformer aux engagements internationaux de la Communauté.

16. Pour la campagne de commercialisation 2002/2003 la Commission a réduit, en ce qui concerne le quota d’isoglucose attribué à la «France (métropole)», la quantité de base A de 1 048,9 t pour la ramener à 14 698,2 t et la quantité de base B de 273 t pour la ramener à 3 825,6 t [article 1er, paragraphe 2, du règlement (CE) n° 1745/2000 de la Commission (27), lu en combinaison avec les annexes I et II dudit règlement]. Par la suite, la Commission a procédé à une nouvelle réduction pour la campagne de commercialisation 2003/2004, en réduisant, en ce qui concerne le quota d’isoglucose attribué à la «France...

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