Apple Sales International and Others v MJA.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
ECLIECLI:EU:C:2018:541
Date05 July 2018
Celex Number62017CC0595
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-595/17
62017CC0595

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NILS WAHL

présentées le 5 juillet 2018 ( 1 )

Affaire C‑595/17

Apple Sales International,

Apple Inc.,

Apple retail France EURL

contre

MJA, en qualité de mandataire liquidateur de eBizcuss.com (eBizcuss)

[demande de décision préjudicielle formée par la Cour de cassation (France)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Compétence judiciaire en matière civile et commerciale – Article 23 du règlement (CE) no 44/2001 – Clause attributive de juridiction figurant dans un contrat de distribution – Action indemnitaire du distributeur fondée sur la violation de l’article 102 TFUE par le fournisseur »

Introduction

1.

La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 23 du règlement (CE) no 44/2001 ( 2 ), disposition qui permet de déroger aux règles générales de compétence juridictionnelle internationale définies dans ce même règlement dans le cas où les parties, dont l’une au moins a son domicile dans un État membre, sont convenues que seraient compétents un ou des tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés à l’occasion d’un rapport de droit déterminé.

2.

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les sociétés Apple Sales International, Apple Inc. et Apple retail France EURL à MJA, en qualité de mandataire liquidateur de la société eBizcuss.com (ci-après « eBizcuss »), au sujet d’une action en dommages et intérêts engagée par cette dernière société au titre d’une infraction à l’article 102 TFUE.

3.

La Cour est ainsi invitée à préciser si et dans quelles limites une clause attributive de juridiction peut être écartée en vue d’assurer l’effectivité d’actions en réparation des préjudices découlant de comportements d’entreprises dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un abus de position dominante.

4.

L’affaire offre ainsi une occasion renouvelée, eu égard à la solution retenue par la Cour dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 mai 2015, CDC Hydrogen Peroxide (C‑352/13, EU:C:2015:335), de fournir des précisions aux opérateurs concernés en leur qualité, d’une part, de rédacteurs des clauses attributives de juridictions et, d’autre part, de personnes désireuses d’engager des actions en réparation de préjudices dont il est allégué qu’ils trouvent leur source dans une violation du droit de la concurrence, en particulier de l’article 102 TFUE, dans ce qui est communément désigné comme le « private enforcement ».

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

5.

Les considérants 2, 11 et 14 du règlement no 44/2001 énoncent :

« (2)

Certaines différences entre les règles nationales en matière de compétence judiciaire et de reconnaissance des décisions rendent plus difficile le bon fonctionnement du marché intérieur. Des dispositions permettant d’unifier les règles de conflit de juridictions en matière civile et commerciale ainsi que de simplifier les formalités en vue de la reconnaissance et de l’exécution rapides et simples des décisions émanant des États membres liés par le présent règlement sont indispensables.

[...]

(11)

Les règles de compétence doivent présenter un haut degré de prévisibilité et s’articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur et cette compétence doit toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l’autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S’agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de juridictions.

[...]

(14)

L’autonomie des parties à un contrat autre qu’un contrat d’assurance, de consommation et de travail pour lequel n’est prévue qu’une autonomie limitée quant à la détermination de la juridiction compétente doit être respectée sous réserve des fors de compétence exclusifs prévus dans le présent règlement. »

6.

L’article 23 du règlement no 44/2001, qui figure dans la section 7 du chapitre II de celui-ci, intitulée « Prorogation de compétence », dispose à son paragraphe 1 :

« Si les parties, dont l’une au moins a son domicile sur le territoire d’un État membre, sont convenues d’un tribunal ou de tribunaux d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ce tribunal ou les tribunaux de cet État membre sont compétents. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties. Cette convention attributive de juridiction est conclue :

a)

par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou

b)

sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles, ou

c)

dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée. »

Le droit français

7.

À la date des faits en cause au principal, l’article 1382 du code civil disposait que « [t]out fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

8.

L’article L 420-1 du code de commerce prévoit :

« Sont prohibées même par l’intermédiaire direct ou indirect d’une société du groupe implantée hors de France, lorsqu’elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions, notamment lorsqu’elles tendent à :

1.

Limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ;

2.

Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

3.

Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ;

4.

Répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement. »

9.

L’article L 420-2 du code de commerce est libellé comme suit :

« Est prohibée, dans les conditions prévues à l’article L 420-1, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises d’une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées.

Est en outre prohibée, dès lors qu’elle est susceptible d’affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l’exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d’entreprises de l’état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires visées au I de l’article L 442-6 ou en accords de gamme. »

Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

10.

Le 10 octobre 2002, eBizcuss, désormais représentée par la société MJA, a conclu avec la société de droit irlandais Apple Sales International un contrat, intitulé « Apple Authorized Reseller Agreement », lui reconnaissant la qualité de revendeur agréé des produits de la marque Apple. Ce contrat, par lequel eBizcuss s’est engagée à distribuer de manière quasi exclusive les produits de son cocontractant et qui a été modifié à plusieurs reprises par la suite, comportait une clause attributive de juridiction au profit des juridictions irlandaises.

11.

Cette clause, rédigée en langue anglaise, était, dans la dernière version du contrat de distribution datée du 20 décembre 2005, ainsi libellée :

« This Agreement and the corresponding relationship between the parties shall be governed by and construed in accordance with the laws of the Republic of Ireland and the parties shall submit to the jurisdiction of the courts of the Republic of Ireland. Apple reserves the right to institute proceedings against Reseller in the courts having jurisdiction in the place where Reseller has its seat or in any jurisdiction where a harm to Apple is occurring.» ( 3 )

12.

Au cours du mois d’avril 2012, eBizcuss a introduit devant le tribunal de commerce de Paris (France) une requête tendant à la condamnation de la société Apple Sales International, de la société américaine Apple et la société française Apple Retail France au paiement de dommages-intérêts d’un montant de 62500000 euros. À l’appui de son recours, eBizcuss soutenait, en substance, que les sociétés défenderesses s’étaient rendues coupables de pratiques anticoncurrentielles et d’actes de concurrence déloyale, en favorisant leur propre réseau à son détriment à partir de l’année 2009 ( 4 ). eBizcuss invoquait dans ce contexte une violation de l’article 1382 du code civil (devenu article 1240 du code civil), de l’article L 420-2 du code de commerce et de l’article 102 TFUE.

13.

Par jugement du 26 septembre 2013, le tribunal de commerce de Paris a accueilli l’exception d’incompétence soulevée par les sociétés défenderesses au motif qu’une clause attributive de juridiction au profit des juridictions irlandaises était contenue dans le contrat liant Apple Sales International à eBizcuss.

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