Opinion of Advocate General Bobek delivered on 10 September 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:696
Celex Number62018CC0450
CourtCourt of Justice (European Union)
Date10 September 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 10 septembre 2019 (1)

Affaire C450/18

WA

contre

Instituto Nacional de la Seguridad Social

[demande de décision préjudicielle formée par le Juzgado de lo Social nº 3 de Gerona (tribunal du travail nº 3 de Gérone, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Travailleurs féminins et travailleurs masculins – Egalité de traitement en matière de sécurité sociale – Directive 79/7/CEE – Pension d’invalidité – Complément de pension accordé aux mères de deux enfants ou plus qui sont bénéficiaires d’une pension contributive de la sécurité sociale – Article 157, paragraphe 4, TFEU – Action positive – Mesures destinées à compenser les désavantages liés à la carrière des travailleurs féminins »






I. Introduction

1. Le droit espagnol accorde aux femmes qui ont eu au moins deux enfants biologiques ou adoptés un supplément à leur pension contributive de retraite, de survie ou d’invalidité permanente de la sécurité sociale. Le requérant dans l’affaire au principal (ci‑après le « requérant »), père de deux filles, a contesté une décision rendue par l’autorité nationale de sécurité sociale refusant de lui accorder un supplément similaire à sa pension d’invalidité permanente.

2. La juridiction de renvoi souhaite savoir si la disposition nationale instaurant le complément de pension pour les femmes, qui ne reconnaît pas un tel droit aux hommes, viole l’interdiction du droit de l’Union de toute discrimination fondée sur le sexe.

3. La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des régimes de retraite accordant des avantages liés à la maternité aux seules femmes. Les arrêts Griesmar (2) et Leone (3) concernaient toutefois des pensions professionnelles pour fonctionnaires qui relevaient du principe de l’égalité des rémunérations consacré à l’article 157 TFUE. Dans la présente affaire, la Cour est invitée à indiquer s’il convient d’appliquer une approche similaire aux affaires concernant des avantages faisant partie d’un régime de pension général de la sécurité sociale.

II. Le cadre légal

A. Droit de l’Union

4. Aux termes du troisième considérant de la directive 79/7/CEE du Conseil, du 19 décembre 1978, relative à la mise en œuvre progressive du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale (4), « la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale ne s’oppose pas aux dispositions relatives à la protection de la femme en raison de la maternité, […] dans ce cadre, des dispositions spécifiques destinées à remédier aux inégalités de fait peuvent être prises par les États membres en faveur des femmes ».

5. Selon son article 1er, la directive 79/7 vise « la mise en œuvre progressive, dans le domaine de la sécurité sociale et autres éléments de protection sociale prévu à l’article 3, du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière de sécurité sociale, ci‑après dénommé “principe de l’égalité de traitement” ».

6. L’article 3, paragraphe 1, dispose que la directive 79/7 s’applique :

« a) aux régimes légaux qui assurent une protection contre les risques suivants :

[…]

– invalidité ;

[…] ».

7. L’article 4 de la directive 79/7 est libellé comme suit :

« 1. Le principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial, en particulier en ce qui concerne :

[…]

– le calcul des prestations, y compris les majorations dues au titre du conjoint et pour personne à charge et les conditions de durée et de maintien du droit aux prestations.

2. Le principe de l’égalité de traitement ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme en raison de la maternité. »

8. L’article 7, paragraphe 1, sous b), de la directive 79/7 prévoit que cette directive ne fait pas obstacle à la faculté qu’ont les États membres d’exclure de son champ d’application « les avantages accordés en matière d’assurance vieillesse aux personnes qui ont élevé des enfants ; l’acquisition de droits aux prestations à la suite de périodes d’interruption d’emploi dues à l’éducation des enfants ».

B. Le droit espagnol

9. L’article 60, paragraphe 1, de la Ley General de la Seguridad Social (loi générale sur la sécurité sociale, ci‑après la « LGSS ») (5) énonce :

« Eu égard à leur contribution démographique à la sécurité sociale par rapport au nombre d’enfants qu’elles ont eu, un complément de pension est accordé aux femmes qui ont eu des enfants biologiques ou adoptés et qui bénéficient de pensions contributives de retraite, de veuvage ou d’incapacité permanente au titre d’un quelconque régime du système de sécurité sociale.

Le montant de ce complément, qui présente à tous égards la nature juridique d’une pension publique contributive, résulte de l’application au montant initial desdites pensions d’un pourcentage déterminé, qui est fonction du nombre d’enfants, conformément à l’échelle suivante :

a) dans le cas de deux enfants : 5 pour cent.

b) dans le cas de trois enfants : 10 pour cent.

c) dans le cas de quatre enfants ou plus : 15 pour cent.

En vue d’établir le droit au complément ainsi que son montant, seuls sont pris en compte les enfants nés ou adoptés avant le fait générateur de la pension en question. »

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et la question préjudicielle

10. Par décision du 25 janvier 2017, l’Instituto Nacional de la Seguridad Social (office national de la sécurité sociale, Espagne, ci‑après l’« INSS »), a accordé au requérant une pension pour incapacité de travail absolue et permanente à hauteur de 100 % de la base de calcul, s’élevant à 1 603,43 EUR par mois, augmentés des revalorisations.

11. Le requérant a introduit une réclamation administrative contre cette décision, en soutenant en substance que, étant le père de deux filles, il avait le droit de percevoir un complément de 5 % sur sa pension, dans les mêmes conditions que les femmes.

12. Par décision du 9 juin 2017, l’INSS a rejeté ladite réclamation et a confirmé sa décision du 25 janvier 2017. L’INSS a indiqué que, comme son nom l’indique, le complément pour maternité est reconnu exclusivement aux femmes bénéficiaires d’une prestation contributive de la sécurité sociale espagnole, mères de deux enfants ou plus, au titre de leur contribution démographique à la sécurité sociale.

13. Le 23 mai 2017, le requérant a introduit un recours contre la décision de l’INSS devant le Juzgado de lo Social nº 3 de Gerona (tribunal du travail nº 3 de Gérone, Espagne), la juridiction de renvoi. Il a demandé que lui soit reconnu le droit à bénéficier d’un complément de pension de 5 % appliqué à la base de calcul de sa pension pour incapacité de travail absolue et permanente. Il demande la reconnaissance de ce droit au même titre que le complément pour maternité prévu à l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS.

14. Le 18 mai 2018, la juridiction de renvoi a été informée du décès du requérant, survenu le 9 décembre 2017. Son épouse a repris son action en sa qualité d’ayant cause et a poursuivi cette action dans la procédure au principal (6).

15. Selon la juridiction de renvoi, la notion de contribution démographique pourrait valoir aussi bien pour les femmes que pour les hommes, étant donné que les concepts de procréation et de responsabilité en ce qui concerne les soins, l’alimentation et l’éducation des enfants ainsi que l’attention portée à ceux‑ci valent pour toute personne ayant la condition de père ou de mère, quel que soit son sexe. De plus, l’interruption de travail motivée par la naissance ou l’adoption des enfants ou par les soins aux enfants, naturels ou adoptés, peut porter préjudice de manière identique aux hommes ou aux femmes. La juridiction de renvoi estime que, sous cet aspect, la législation relative au complément pour maternité prévue à l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS instaure une différence de traitement injustifiée en faveur des femmes, au détriment des hommes qui se trouvent dans une situation équivalente.

16. Toutefois, la juridiction de renvoi admet que, sous l’aspect biologique, il existe un fait différenciateur incontestable, puisque la procréation implique pour les femmes un sacrifice bien plus important que pour les hommes au niveau personnel. Elles doivent faire face à une période de grossesse ainsi qu’à un accouchement, qui impliquent des sacrifices biologiques et physiologiques évidents, avec le préjudice que cela entraîne pour les femmes, sur le plan physique, mais également en ce qui concerne leur travail. La juridiction de renvoi estime que, du point de vue biologique, le complément pour maternité prévu à l’article 60, paragraphe 1, de la LGSS met en place un complément justifié en faveur des femmes. Aucun homme ne se trouve dans une situation équivalente. La situation d’un travailleur masculin n’est pas comparable à celle d’un travailleur féminin qui fait face aux désavantages professionnels entraînés par l’interruption de travail résultant de la grossesse et de la naissance de l’enfant. La juridiction de renvoi entretient néanmoins des doutes quant aux effets de la jurisprudence de la Cour, en particulier l’arrêt Griesmar (7), dans la présente affaire.

17. Dans ces conditions, le Juzgado de lo Social nº 3 de Gerona (tribunal du travail nº 3 de Gérone) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Une règle de droit national (à savoir l’article 60, paragraphe 1, de la [LGSS]) qui, eu égard à leur contribution démographique à la sécurité sociale, reconnaît un droit à un complément de pension aux femmes qui ont eu des enfants biologiques ou adoptés et qui bénéficient d’un régime du système de sécurité sociale des pensions contributives de retraite, de survie ou d’incapacité permanente et qui, en revanche, ne reconnaît pas un tel droit aux hommes se...

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