Opinion of Advocate General Kokott delivered on 31 May 2018.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2018:362
Docket NumberC-626/15,C-659/16
Date31 May 2018
Celex Number62015CC0626
Procedure TypeRecurso de anulación - infundado
CourtCourt of Justice (European Union)
62015CC0626

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 31 mai 2018 ( 1 )

Affaires jointes C‑626/15 et C‑659/16

Commission européenne

contre

Conseil de l’Union européenne

« Recours en annulation – Choix de la base juridique appropriée – Compétence exclusive, partagée ou complémentaire de l’Union européenne – Action de l’Union seule au sein d’un organisme international ou participation des États membres à ses côtés – Conservation des ressources biologiques marines – Pêche – Protection de l’environnement – Recherche – Aires marines protégées (AMP) – Antarctique – Mer de Weddell et mer de Ross – Décision du Comité des représentants permanents (Coreper) – Acte attaquable »

I. Introduction

1.

Très régulièrement, des conflits surgissent au niveau de l’Union européenne au sujet de la question de savoir si l’Union doit participer seule ou conjointement avec ses États membres aux débats et aux prises de décision dans le cadre d’organismes internationaux. La polémique concerne toujours la base juridique, dans les traités fondateurs de l’Union, sur laquelle repose l’action extérieure de celle-ci.

2.

Ces questions de compétence sont des questions de pouvoir qui font l’objet de litiges passionnés depuis des décennies. Il s’agit, d’une part, de définir le degré de complexité que doit présenter le processus interne de prise de décision au niveau de l’Union et, d’autre part, de déterminer qui peut prendre place, pour l’Europe, à la table des négociations internationales. À cet égard, les positions semblent s’être durcies de manière très sensible depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne.

3.

L’espèce concerne des mesures de protection des mers en Antarctique, et notamment la création de plusieurs aires marines protégées (AMP), qui est discutée depuis quelques années dans le cadre des réunions annuelles de la Commission pour la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (CCAMLR).

4.

Sur le fond, la Commission européenne, le Conseil de l’Union européenne et les États membres souhaitent unanimement contribuer de manière active à la protection des mers en Antarctique. Toutefois, sur le plan formel, le Conseil et les États membres insistent sur le fait que les mesures de sauvegarde des mers relèvent de la politique de l’environnement et donc du domaine des compétences partagées [article 4, paragraphe 2, sous e), TFUE]. C’est pourquoi ils estiment que l’Union et les États membres doivent nécessairement agir conjointement sur la scène internationale. En revanche, la Commission considère qu’il s’agit d’une mesure de conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la politique commune de la pêche (PCP) [article 3, paragraphe 1, sous d), TFUE], qui relève des compétences exclusives de l’Union et qui n’autorise donc pas les États membres à agir à l’extérieur, aux côtés des institutions de l’Union. Le débat porte également sur la question de savoir si une compétence externe exclusive implicite est née pour l’Union dans ce domaine, conformément à la jurisprudence AETR ( 2 ) (article 3, paragraphe 2, TFUE), ainsi que sur le rôle que joue en l’espèce la politique de la recherche, qui fait partie des compétences complémentaires de l’Union (article 4, paragraphe 3, TFUE).

5.

Concrètement, dans la présente affaire, la Commission conteste deux décisions du Conseil relatives à la participation de l’Union aux 34e et 35e réunions annuelles de la CCAMLR de 2015 et 2016 (ci-après les « décisions litigieuses ») :

dans l’affaire C‑626/15, la Commission conteste une décision du 11 septembre 2015, contenue dans la conclusion du président du Comité des représentants permanents (Coreper), approuvant la soumission à la CCAMLR, à l’occasion de sa 34e réunion annuelle de 2015, au nom de l’Union et de ses États membres, d’un document de réflexion concernant la création d’une AMP dans la mer de Weddell (ci-après la « décision de 2015 ») ( 3 ) ;

dans l’affaire C‑659/16, la Commission conteste la décision du Conseil du 10 octobre 2016 concernant l’établissement de la position de l’Union pour la 35e réunion annuelle de la CCAMLR de 2016 (ci-après la « décision de 2016 ») ( 4 ). Cette décision concerne également la création de quatre AMP et de zones spéciales d’étude scientifique dans les mers de l’Antarctique, y compris l’AMP de la mer de Weddell déjà examinée en 2015 et une AMP en mer de Ross.

6.

L’arrêt de la Cour dans ces deux affaires ajoutera une pierre à l’édifice complexe des compétences externes de l’Union et de ses États membre, dont l’architecture a été définie par le traité de Lisbonne. En particulier, la présente affaire offre une opportunité de préciser si l’existence d’une compétence partagée entre l’Union et ses États membres requiert forcément une action conjointe (mixte) de l’Union et de ses États membres dans les organismes internationaux ou si l’Union peut aussi, ou même doit, agir seule vis-à-vis de l’extérieur. Dans l’affaire C‑626/16, il conviendra également d’examiner au préalable la question des circonstances dans lesquelles des décisions du Coreper constituent des actes attaquables au sens de l’article 263 TFUE. L’affaire relative à l’accord de partenariat avec la République du Kazakhstan (C‑244/17), dans laquelle nous présentons également nos conclusions aujourd’hui, porte sur des problématiques tout à fait différentes concernant la majorité requise au sein du Conseil pour l’adoption de décisions présentant certains liens avec la politique étrangère et de sécurité commune.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

7.

En droit de l’Union, le cadre juridique dans lequel s’inscrit la présente affaire est en premier lieu déterminé par les articles 2, 3 et 4 TFUE ainsi que par l’article 4, paragraphe 1, et l’article 5, paragraphe 2, TUE. Les articles 191 et 192 TFUE sont également pertinents. En outre, il convient de renvoyer aux règles fondamentales dans le domaine de la PCP, telles qu’elles sont prévues par le règlement (UE) no 1380/2013 ( 5 ).

8.

L’article 1er du règlement no 1380/2013 délimite le champ d’application de la PCP comme suit :

« 1. La [PCP] couvre :

a)

la conservation des ressources biologiques de la mer, ainsi que la gestion des pêcheries et des flottes qui exploitent ces ressources ;

[…]

2. La PCP couvre les activités visées au paragraphe 1 lorsqu’elles sont menées :

[…]

c)

par des navires de pêche de l’Union en dehors des eaux de l’Union ; ou

d)

par des ressortissants des États membres, sans préjudice de la responsabilité principale de l’État du pavillon. »

9.

L’article 2 du règlement no 1380/2013 définit les objectifs de la PCP comme suit :

« 1. La PCP garantit que les activités de pêche et d’aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental […].

2. La PCP applique l’approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l’exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable.

[…]

3. La PCP met en œuvre l’approche écosystémique de la gestion des pêches afin de faire en sorte que les incidences négatives des activités de pêche sur l’écosystème marin soient réduites au minimum et vise à faire en sorte que les activités d’aquaculture et de pêche permettent d’éviter la dégradation du milieu marin.

[…]

5. La PCP vise en particulier à :

[…]

j)

être cohérente avec la législation environnementale de l’Union […] »

10.

En ce qui concerne les objectifs de la politique extérieure de la pêche de l’Union, l’article 28, paragraphe 1, du règlement no 1380/2013 prévoit ce qui suit :

« En vue d’assurer l’exploitation, la gestion et la conservation durables des ressources biologiques de la mer et de l’environnement marin, l’Union mène ses relations extérieures dans le domaine de la pêche dans le respect de ses obligations internationales et de ses objectifs généraux, ainsi que des objectifs et principes énoncés aux articles 2 et 3. »

B. Le droit international public

11.

En droit international public, les dispositions de la convention sur la conservation de la faune et de la flore marines de l’Antarctique (convention de Canberra) sont pertinentes et il convient également de renvoyer au traité sur l’Antarctique.

1. La convention de Canberra

12.

La convention de Canberra ( 6 ) a été conclue le 20 mai 1980 à Canberra (Australie) et est entrée en vigueur le 7 avril 1982. Outre l’Union, douze de ses États membres ( 7 ) sont parties à cette convention, ainsi que 23 États tiers.

13.

L’article I de la convention Canberra dispose ce qui suit :

« 1. La présente Convention s’applique aux ressources marines vivantes de la zone située au sud du 60° degré de latitude Sud et aux ressources marines vivantes de la zone comprise entre cette latitude et la convergence antarctique qui font partie de l’écosystème marin antarctique.

2. L’expression “ressources marines vivantes de l’Antarctique” désigne les populations de poissons à nageoires, de mollusques, de crustacés et de toutes les autres espèces d’organismes vivants, y compris les oiseaux, qui se trouvent au sud de la convergence antarctique.

3. L’expression “écosystème marin antarctique” désigne l’ensemble des rapports de ces ressources marines vivantes de l’Antarctique entre elles et avec leur milieu physique.

[…] »

14.

Les dispositions de l’article II de la convention Canberra sont les suivantes :

« 1. La présente Convention a pour objectif la conservation...

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