Opinion of Advocate General Mengozzi delivered on 3 May 2016.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2016:320
Date03 May 2016
Celex Number62014CC0560
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
CourtCourt of Justice (European Union)
62014CC0560

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 3 mai 2016 ( 1 )

Affaire C‑560/14

M

contre

Minister for Justice and Equality Ireland and the Attorney General

[demande de décision préjudicielle

formée par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande)]

«Renvoi préjudiciel — Espace de liberté, de sécurité et de justice — Directive 2004/83/CE — Normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié — Protection subsidiaire — Régularité de la procédure nationale suivie lors de l’examen d’une demande de protection subsidiaire à la suite du rejet d’une demande d’octroi du statut de réfugié — Droit d’être entendu — Portée — Nécessité d’une audition — Droit d’appeler et de contre-interroger des témoins»

1.

La présente affaire offre à la Cour l’opportunité de préciser davantage la portée du droit d’être entendu dans le droit de l’Union ( 2 ), s’agissant en particulier de la procédure d’octroi de la protection subsidiaire prévue par la directive 2004/83/CE ( 3 ).

2.

La demande de décision préjudicielle déférée à la Cour de justice par la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) tire son origine d’une procédure en appel dont elle a été saisie à l’encontre de l’arrêt rendu par la High Court (Haute Cour, Irlande) à la suite de l’arrêt de la Cour de justice dans l’affaire M. (C‑277/11, EU:C:2012:744). La question préjudicielle de la Supreme Court (Cour suprême) s’inscrit dans le cadre du système irlandais d’octroi de la protection internationale en vigueur au moment des faits de l’espèce, qui a déjà donné lieu à plusieurs questions préjudicielles soulevées devant la Cour ( 4 ). La particularité de la réglementation irlandaise, désormais réformée à deux reprises ( 5 ), résidait dans le choix d’instituer un système dual, caractérisé par l’existence de deux procédures spécifiques et distinctes pour le traitement, d’une part, des demandes d’asile et, d’autre part, des demandes d’octroi de la protection subsidiaire.

3.

Dans l’arrêt M. (C‑277/11, EU:C:2012:744), la Cour a mis en exergue l’importance que, dans un tel système, le droit d’être entendu ( 6 ), vu son caractère fondamental, soit pleinement garanti dans le cadre de chacune des deux procédures. Il ressort toutefois des actes versés au dossier dans la présente affaire que l’arrêt M. (C‑277/11, EU:C:2012:744) a fait l’objet d’interprétations divergentes par les parties, s’agissant de la portée exacte que la Cour aurait reconnue à ce droit. Plus particulièrement, les parties s’opposent sur la question de savoir s’il ressort de cet arrêt que, dans un tel système, aux fins du plein respect du droit d’être entendu dans le cadre de la procédure d’octroi de la protection subsidiaire, il est nécessaire que le demandeur se voie accorder, par l’administration appelée à prendre une décision sur cette demande, une audition dans le cadre de laquelle peuvent être appelés des témoins, même si une audition a déjà eu lieu dans le cadre de la procédure antérieure relative à la demande d’asile. Telle est, en substance, la question que la Cour est appelée à trancher dans la présente affaire.

I – Le cadre juridique

A – Le droit de l’Union

4.

Conformément à son article 1er, la directive 2004/83 a pour objet d’établir des normes minimales relatives, d’une part, aux conditions que doivent remplir les ressortissants de pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale et, d’autre part, au contenu de la protection accordée.

5.

Conformément à l’article 2, sous e), de la directive 2004/83, une personne est éligible à l’octroi de la protection subsidiaire, s’il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée si elle était renvoyée dans son pays d’origine, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15 de ladite directive. Aux termes de ce dernier article, sont considérés comme atteintes graves la peine de mort ou l’exécution [sous a)], ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés [sous b)], ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle ou en cas de conflit armé interne ou international [sous c)].

6.

L’article 4 de la directive 2004/83, inclus au chapitre II de ladite directive, intitulé « Évaluation des demandes de protection internationale », fournit des indications relatives au déroulement de l’évaluation des faits et des circonstances sous-tendant lesdites demandes. Il prévoit notamment, au paragraphe 1, deuxième phrase, qu’il appartient à l’État membre d’évaluer, en coopération avec le demandeur, les éléments pertinents de la demande de protection internationale. Il ressort en outre du paragraphe 3 de ce même article que l’évaluation d’une demande de protection internationale est individuelle et doit tenir compte de toute une série d’éléments qui y sont énumérés, dont, en particulier, aux termes de la lettre c), le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave.

7.

La directive 2005/85/CE ( 7 ) établit des normes minimales aux fins des procédures d’évaluation des demandes d’octroi du statut de réfugié. Son article 3 en définit le champ d’application et dispose, au paragraphe 1, qu’elle s’applique à toutes les demandes d’asile. Toutefois, aux termes du paragraphe 3 du même article, « [l]orsque les États membres utilisent ou instaurent une procédure dans le cadre de laquelle les demandes d’asile sont examinées en tant que demandes fondées sur la convention de Genève, et en tant que demandes des autres types de protection internationale accordée dans les circonstances précisées à l’article 15 de la directive 2004/83/CE, ils appliquent la présente directive pendant toute leur procédure ». Le paragraphe 4 de ce même article dispose, quant à lui, que « les États membres peuvent décider d’appliquer la présente directive aux procédures de traitement des demandes visant tout type de protection internationale ».

8.

L’article 12 de la directive 2005/85, intitulé « Entretien personnel », dispose au paragraphe 1 que, « [a]vant que l’autorité responsable de la détermination ne se prononce, la possibilité est donnée au demandeur d’asile d’avoir un entretien personnel sur sa demande avec une personne compétente en vertu du droit national pour mener cet entretien ». Toutefois, aux termes des paragraphes 2 et 3 du même article, cet entretien personnel peut ne pas avoir lieu dans un certain nombre de cas qui y sont indiqués ( 8 ).

B – Le droit irlandais

9.

Comme cela a été précédemment relevé, en Irlande, à l’époque de la réglementation applicable aux faits de l’espèce, la demande d’asile et la demande d’octroi de la protection subsidiaire faisaient l’objet de procédures spécifiques et distinctes qui se déroulaient l’une après l’autre.

10.

La procédure d’octroi de la protection subsidiaire était régie par le European Communities (Eligibility for Protection) Regulations 2006 [règlement relatif aux Communautés européennes (conditions permettant de bénéficier d’une protection) de 2006], adopté par le Minister for Justice, Equality and Law reform (ministre de la Justice, de l’Égalité et des Réformes législatives, ci-après le « Minister ») le 9 octobre 2006, ayant notamment pour objet la transposition de la directive 2004/83.

11.

Ce règlement ne comportait aucune disposition prévoyant que le demandeur de protection subsidiaire devait être entendu en entretien personnel dans le cadre de l’instruction de sa demande. La réglementation en matière de procédure de traitement des demandes de protection subsidiaire a, entre-temps, fait l’objet de deux réformes ( 9 ), qui sont toutefois dépourvues de pertinence, rationae temporis, dans la présente affaire.

II – Les faits, la procédure nationale et la question préjudicielle

12.

Le déroulement des procédures relatives aux demandes d’asile et de protection subsidiaire de M. M. devant les autorités irlandaises est exposé en détail aux points 39 à 46 de l’arrêt M. (C‑277/11, EU:C:2012:744), auxquels il est expressément renvoyé. Pour ce qui importe aux fins de la présente affaire, je me limite à rappeler que M. M., ressortissant rwandais de l’ethnie tutsie, est initialement entré en Irlande en 2006 muni d’un visa étudiant et que, à l’échéance de ce visa, en 2008, il a présenté une demande tendant à l’obtention du statut de réfugié. Dans le cadre de la procédure relative à cette demande, M. M. a été entendu dans le cadre d’un entretien personnel qui a eu lieu devant l’Office of the Refugee Application Commissioner [commissaire du bureau des demandes relatives au statut de réfugié]. M.M. a formé un recours contre la décision négative de cet organe devant le Refugee Appeals Tribunal [juridiction connaissant des recours en matière de statut de réfugié] qui, à la suite d’une procédure exclusivement écrite, a définitivement rejeté la demande d’asile de M. M., au motif que ses affirmations relatives au risque de persécutions qu’il courrait s’il retournait au Rwanda étaient peu crédibles.

13.

Au mois de décembre 2008, M. M. a présenté devant le Minister une demande tendant à l’obtention de la protection subsidiaire, qui a également été rejetée. Dans sa décision négative, adoptée sans que soit accordée aucune audition à M. M. concernant sa demande de protection subsidiaire, le Minister a conclu qu’il n’avait pas démontré l’existence de motifs...

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