Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 11 April 2018.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date11 April 2018
62016CC0600

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 11 avril 2018 ( 1 )

Affaire C‑600/16 P

National Iranian Tanker Company

contre

Conseil de l’Union européenne

« Pourvoi – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises à l’encontre de la République islamique d’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire – Gel des fonds – Recours en annulation – Décision de réinscription sur la liste après annulation, pour des raisons de fond, de la décision initiale d’inscription par les juridictions de l’Union – Article 266 TFUE – Principes généraux du droit de l’Union – Droits fondamentaux – Droit à un recours effectif – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 6, paragraphe 1, et article 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales »

I. Introduction

1.

Dans la présente affaire, la Cour est une nouvelle fois appelée à se prononcer sur la conformité au droit de l’Union de mesures restrictives prises par le Conseil de l’Union européenne en vue d’amener la République islamique d’Iran à se conformer à ses obligations internationales en ce qui concerne ses activités de prolifération nucléaire ; l’une des questions soumises à la Cour est toutefois nouvelle. La mesure restrictive en cause consiste en une décision du Conseil de réinscrire une entité sur les listes des personnes et entités visées, ses fonds se trouvant ainsi gelés. Cette décision a été prise peu de temps après que le Tribunal de l’Union européenne avait constaté l’illégalité de la décision initiale d’inscription, obligeant ainsi le Conseil à « prendre les mesures que comporte l’exécution » de l’arrêt du Tribunal, conformément à l’article 266 TFUE. La question nouvelle qui se pose est dès lors la suivante : lorsque la réaction du Conseil consiste à réinscrire la même entité sur les listes, en se fondant sur le même critère de désignation dans un contexte factuel qui, en substance, n’a pas changé, cela viole-t-il, parmi d’autres principes de droit de l’Union, le droit de l’entité concernée à un recours effectif contre la décision initiale d’inscription, garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ?

2.

Voici la question centrale qui se pose dans le cadre du pourvoi introduit par la National Iranian Tanker Company (ci-après « NITC ») contre l’arrêt du Tribunal du 14 septembre 2016, National Iranian Tanker Company/Conseil (T‑207/15, non publié, ci-après l’« arrêt NITC II », EU:T:2016:471) ; par cet arrêt, le Tribunal avait rejeté le recours en annulation introduit par NITC contre certains actes, réinscrivant NITC sur la liste des personnes et entités devant faire l’objet d’un gel des fonds et des ressources économiques dans le cadre des mesures restrictives prises à l’encontre de la République islamique d’Iran dans le but d’empêcher la prolifération nucléaire (ci-après les « mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran »).

3.

Dans le cadre du premier moyen du pourvoi, NITC fait grief au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en jugeant, aux points 45 à 64 et 68 de l’arrêt NITC II, que la décision du Conseil la réinscrivant sur ladite liste ne violait pas les principes d’autorité de la chose jugée, de sécurité juridique, de confiance légitime et du caractère définitif des décisions de justice, ni le droit à un recours effectif, garanti par l’article 47 de la Charte.

4.

Au cœur de l’argumentation avancée par NITC est l’idée que, tant qu’il est permis au Conseil de donner une qualification nouvelle aux mêmes faits dans le but de satisfaire à un critère de désignation, alors que le Tribunal a jugé, par un arrêt définitif et revêtu de l’autorité de la chose jugée, que les faits allégués ne justifiaient pas la première inscription sur la liste et alors que la situation de fait n’a pas changé depuis cette première décision, le droit de l’intéressé à un recours réel et effectif serait vidé de son sens. Selon NITC, l’intéressé serait en effet obligé d’introduire une nouvelle procédure portant en substance sur les mêmes éléments de fait et de droit, ce qui est contraire au principe de l’État de droit.

5.

Pour réfuter les arguments avancés par NITC, le Conseil s’appuie avant tout sur les arrêts rendus dans les affaires Kadi ( 2 ), OMPI ( 3 ) et Interporc ( 4 ), et invoque le pouvoir d’appréciation que lui confère l’article 266 TFUE en ce qui concerne les mesures à prendre après que le juge de l’Union a prononcé une annulation sur le fondement de l’article 264 TFUE.

6.

Ainsi que la Cour l’a demandé, les présentes conclusions se concentreront sur ce premier moyen du pourvoi.

7.

Il y a lieu de noter que la présente affaire est la première d’une série d’affaires actuellement pendantes devant la Cour, dans lesquelles un requérant soutient que, à tout le moins en matière de mesures restrictives, le système des recours devant les juridictions de l’Union doit être réinterprété à la lumière du droit à un recours effectif et à celle d’autres principes du droit de l’Union ( 5 ). La présente affaire offre donc l’occasion à la Cour de faire évoluer sa jurisprudence si cela est nécessaire pour assurer au justiciable une protection juridictionnelle effective dans l’Union.

II. Les antécédents du litige

8.

NITC est une société iranienne spécialisée dans le transport de pétrole brut et de gaz. Elle exploite une des plus grandes flottes de pétroliers au monde. Des pétroliers sont des navires conçus pour transporter du pétrole en vrac.

9.

À la suite de plusieurs résolutions arrêtant des mesures visant à amener la République islamique d’Iran à se conformer à ses obligations internationales en matière de prolifération nucléaire, le Conseil de sécurité des Nations unies (ci‑après le « Conseil de sécurité ») a adopté le 9 juin 2010 la résolution 1929 (2010) (ci-après la « résolution 1929 »), laquelle a institué des mesures plus sévères à l’encontre de la République islamique d’Iran, « en notant le lien potentiel entre les recettes que l’Iran tire de son secteur de l’énergie et le financement de ses activités nucléaires posant un risque de prolifération» ( 6 ). Le 17 juin 2010, le Conseil européen a invité le Conseil à adopter des mesures mettant en œuvre la résolution 1929 ainsi que des mesures d’accompagnement, qui devaient entre autres porter sur les grands secteurs de l’industrie gazière et pétrolière ( 7 ).

10.

Le 26 juillet 2010, le Conseil a adopté la décision 2010/413/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant la position commune 2007/140/PESC ( 8 ). L’annexe II de cette décision contenait la liste des personnes et entités – autres que celles désignées au niveau des Nations unies – dont les fonds et ressources économiques étaient gelés ( 9 ).

11.

Le 23 janvier 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/35/PESC modifiant la décision 2010/413 ( 10 ), concernant des mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran, en réaction à sa préoccupation croissante concernant la nature du programme nucléaire mis en œuvre par la République islamique d’Iran ( 11 ). Le considérant 13 de la décision 2012/35 déclare que les mesures de gel des fonds « devraient être appliquées à l’égard d’autres personnes et entités qui fournissent un appui au gouvernement iranien lui permettant de poursuivre des activités nucléaires posant un risque de prolifération ou la mise au point de vecteurs d’armes nucléaires, en particulier les personnes et entités apportant un soutien financier, logistique ou matériel au gouvernement iranien» ( 12 ).

12.

La décision 2012/35 a ainsi ajouté la disposition suivante à l’article 20, paragraphe 1, de la décision 2010/413, prévoyant le gel des fonds appartenant aux personnes et entités ci-après :

« c)

les autres personnes et entités non mentionnées à l’annexe I qui fournissent un appui au gouvernement iranien et les personnes et entités qui leur sont associées, telles qu’énumérées à l’annexe II» ( 13 ).

13.

Le 23 mars 2012, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 267/2012 concernant l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de l’Iran et abrogeant le règlement (UE) no 961/2010 ( 14 ). En vue de mettre en œuvre l’article 20, paragraphe 1, sous c), de la décision 2010/413 (telle que modifiée par la décision 2012/35 ( 15 )), l’article 23, paragraphe 2, du règlement no 267/2012 prévoit que sont gelés les fonds et ressources économiques des personnes, entités et organismes énumérés à l’annexe IX de ce règlement, qui ont été reconnus :

« d)

comme étant d’autres personnes, entités ou organismes qui fournissent un appui au gouvernement iranien, notamment un soutien matériel, logistique ou financier, ou qui lui sont associés» ( 16 ).

A. La première inscription sur les listes

14.

Le 15 octobre 2012, le Conseil a adopté la décision 2012/635/PESC modifiant la décision 2010/413 ( 17 ). Le Conseil a jugé nécessaire d’instaurer des mesures restrictives supplémentaires à l’encontre de la République islamique d’Iran, compte tenu du fait que cette dernière ne s’était pas engagée sérieusement dans des négociations afin de répondre aux préoccupations internationales relatives à son programme nucléaire ( 18 ). Le considérant 16 de cette décision précise qu’il convient d’inscrire « en particulier les entités détenues par l’État iranien se livrant à des activités dans le secteur du pétrole et du gaz » sur la liste des personnes et entités faisant l’objet de mesures restrictives qui figure à l’annexe II de la décision 2010/413, « étant donné qu’elles fournissent...

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