Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 19 December 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:1141
Date19 December 2019
Celex Number62017CC0511
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

Présentées le 19 décembre 2019 (1)

Affaire C511/17

Györgyné Lintner

contre

UniCredit Bank Hungary Zrt.

[demande de décision préjudicielle du Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie)]

« Demande de décision préjudicielle – Protection des consommateurs – Clauses abusives – Directive 93/13/CEE – Article 4, paragraphe 1 – Clauses contractuelles à prendre en compte dans l’appréciation du caractère abusif – Articles 6, paragraphe 1, et 7, paragraphe 1 – Portée de l’examen d’office par le juge national du caractère abusif des clauses figurant dans les contrats conclus avec les consommateurs »






I. Introduction

1. La présente affaire a pour objet une demande de décision préjudicielle formée par le Fővárosi Törvényszék (la cour de Budapest-Capitale, Hongrie ; ci‑après la « juridiction de renvoi ») concernant l’interprétation de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (2). Elle fait partie d’une série d’affaires dont la Cour a été saisie, relatives à la législation hongroise en matière de contrats de prêt à la consommation libellés en devise étrangère (3).

2. Or, cette affaire soulève des questions fondamentales concernant l’obligation du juge national d’examiner d’office les clauses abusives des contrats conclus avec les consommateurs conformément à la jurisprudence de la Cour interprétant la directive 93/13. Ces questions visent notamment, tout d’abord, le point de savoir si l’examen d’office par la juridiction nationale des clauses abusives doit s’étendre à toutes les clauses du contrat, même si les clauses ne sont pas liées à l’objet du litige et, en deuxième lieu, celui de savoir dans quelle mesure un juge national peut être appelé à prendre d’office des mesures d’instruction afin d’obtenir les éléments de droit et de fait nécessaires pour mener cet examen.

3. La présente affaire offre donc à la Cour une précieuse occasion de développer et préciser sa jurisprudence relative à la directive 93/13, notamment en ce qui concerne la portée de l’obligation incombant au juge national de prendre d’office des mesures d’instruction à la suite de l’arrêt marquant du 9 novembre 2010, VB Pénzügyi Lízing (C‑137/08, EU:C:2010:659).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

4. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Sans préjudice de l’article 7, le caractère abusif d’une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l’objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu’à toutes les autres clauses du contrat, ou d’un autre contrat dont il dépend. »

5. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 93/13 dispose :

« Les États membres prévoient que les clauses abusives figurant dans un contrat conclu avec un consommateur par un professionnel ne lient pas les consommateurs, dans les conditions fixées par leurs droits nationaux, et que le contrat restera contraignant pour les parties selon les mêmes clauses, s’il peut subsister sans les clauses abusives. »

6. L’article 7, paragraphe 1, de la directive 93/13 prévoit également :

« Les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel. »

B. Le droit hongrois

7. L’article 3, paragraphe 2, de la loi n° III de 1952 relative à la procédure civile (a Polgári perrendtartásról szóló 1952. évi III. törvény, ci‑après la « loi sur la procédure civile »), tel qu’il s’appliquait à l’époque des faits, dispose :

« Le juge – en l’absence d’une disposition légale contraire – est lié par les conclusions et les arguments juridiques présentés par les parties. Le juge ne prend pas en considération les conclusions et arguments soumis par les parties en fonction de leur dénomination formelle, mais en fonction de leur contenu. »

8. Selon l’article 23, paragraphe 1, sous k), de la loi relative à la procédure civile :

« Relèvent de la compétence des juridictions départementales […] les recours qui visent à établir l’invalidité de clauses contractuelles abusives. »

9. L’article 73/A, paragraphe 1, sous b), de la loi relative à la procédure civile dispose :

« La représentation par un avocat est obligatoire : […] dans les affaires ressortissant de la compétence d’une juridiction départementale en tant que juridiction de première instance, et ce à tous les stades de la procédure, et dans le cadre également d’un appel […]. »

10. L’article 213, paragraphe 1, de la loi relative à la procédure civile dispose :

« La décision contenue dans le jugement doit porter sur toutes les demandes formulées dans le cadre de l’affaire, ou dans le cadre des affaires jointes en vertu de l’article 149. »

11. L’article 215 de la loi relative à la procédure civile dispose :

« La décision ne peut s’étendre au-delà des demandes formulées dans le cadre du recours et en défense. Cette règle s’applique également en ce qui concerne les prétentions accessoires aux demandes principales (intérêts, frais, etc.). »

III. Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

12. Selon l’ordonnance de renvoi, le 13 décembre 2007, Mme Györgné Lintner, qui agit en tant que consommateur, a conclu avec l’établissement financier UniCredit Bank Hungary Zrt. (ci‑après « UniCredit Bank Hungary ») un contrat de prêt libellé en francs suisses, mais accordé et remboursable en forints hongrois, et garanti par une hypothèque (ci‑après le « contrat ») (4).

13. Considérant que le contrat contenait certaines clauses qui pouvaient être considérées abusives, le 18 juillet 2012, Mme Lintner a formé un recours contre UniCredit Bank Hungary devant le Fővárosi Törvényszék (cour de Budapest-Capitale, Hongrie). Dans son recours, Mme Lintner a demandé à la juridiction de renvoi de déclarer invalides les clauses 7.2.2, 7.3 et 7.4 du contrat, donnant à UniCredit Bank Hungary le droit d’apporter des modifications unilatérales au contrat, et de déclarer que ces clauses n’étaient pas contraignantes à son égard à compter de la date à laquelle le contrat a été conclu. Au soutien de son recours, elle a invoqué, notamment, la directive 93/13.

14. Par arrêt du 29 août 2013, la juridiction de renvoi a rejeté ce recours. Mme Lintner a interjeté appel de cet arrêt.

15. Par ordonnance du 1er avril 2014, le Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie) a annulé cet arrêt, et enjoint à la juridiction de renvoi de rouvrir la procédure et rendre une nouvelle décision.

16. Ainsi qu’il est indiqué dans l’ordonnance de renvoi, le Fővárosi Ítélőtábla (cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie) a indiqué, notamment, dans cette ordonnance que l’application efficace de la directive 93/13 n’est possible que si le juge national examine d’office la totalité du contrat litigieux et, s’il constate, à cette occasion, que certaines conditions sont abusives, il interroge la consommatrice sur le point de savoir si elle souhaite invoquer également le caractère abusif d’autres clauses. À cet égard, la cour d’appel régionale s’est référée aux clauses 1, 2, 4, 10.4 et 11.2 du contrat, ainsi qu’aux clauses 1.8, III.13.4, III.18.1, paragraphes 1, 4, et 5, et III.18.2, sous j), des conditions générales applicables aux contrats avec les particuliers (ci‑après les « conditions générales ») dont les stipulations font partie du contrat. Elle a enjoint à la juridiction de renvoi de demander à Mme Lintner d’indiquer si elle souhaitait invoquer le caractère abusif de ces clauses ou d’autres clauses du contrat, et si elle se reconnaissait liée par le contrat une fois écartées les clauses en question.

17. Il ressort du dossier présenté à la Cour que, par un mémoire complétant la requête initiale du 5 juillet 2014, le représentant de Mme Lintner a demandé à la juridiction de renvoi de déclarer l’ensemble des clauses identifiées dans l’ordonnance du 1er avril 2014 invalides, en plus des clauses visées dans la requête initiale.

18. Par ordonnance du 26 octobre 2015, la juridiction de renvoi a invité Mme Lintner à présenter une demande tendant à ce que les effets juridiques d’une invalidité du contrat s’appliquent conformément à la législation nationale concernant les contrats de prêt libellés en devise étrangère qui avait été adoptée en 2014. Cette législation inclut notamment les lois DH1 (5) et DH2 (6), qui contiennent des dispositions régissant la détermination du caractère abusif et les conséquences à en tirer à l’égard des clauses contenues dans ces contrats relatives au pouvoir d’apporter des modifications unilatérales au contrat en faveur du prêteur (ci‑après la « faculté de modification unilatérale ») et la différence entre les cours d’achat et de vente de la devise concernée (le « risque de change ») (7).

19. Selon l’ordonnance de renvoi, l’invitation n’ayant pas eu de suite, la juridiction de renvoi a clos la procédure par une ordonnance du 7 décembre 2015. Mme Lintner a interjeté appel de cette ordonnance.

20. Par ordonnance du 29 mars 2016, le Fővárosi Ítélőtábla (la cour d’appel régionale de Budapest-Capitale, Hongrie) a confirmé l’ordonnance de la juridiction de renvoi du 7 décembre 2015 en ce qui concerne la nature abusive des clauses du contrat relatives à la faculté unilatérale de modification de celui‑ci et à l’écart entre taux de change, ainsi que le prévoient les lois DH1 et DH2. Cependant, cette juridiction a annulé cette ordonnance pour le surplus, et enjoint à la juridiction de renvoi de rouvrir la procédure et de rendre une nouvelle décision. Elle a considéré que, bien que les clauses mentionnées dans les lois DH1 et DH2 ne pouvaient plus faire...

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