Deutsche Bahn AG and Others v European Commission.
Jurisdiction | European Union |
Court | Court of Justice (European Union) |
Date | 12 February 2015 |
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NILS WAHL
présentées le 12 février 2015 ( 1 )
Affaire C‑583/13 P
Deutsche Bahn AG
DB Mobility Logistics AG
DB Energie GmbH
DB Netz AG
DB Schenker Rail GmbH
DB Schenker Rail Deutschland AG
Deutsche Umschlaggesellschaft Schiene-Straße mbH (DUSS)
contre
Commission européenne
«Pourvoi — Articles 20, paragraphe 4, et 28 du règlement (CE) no 1/2003 — Pouvoirs de la Commission en matière d’inspection — Droit fondamental à l’inviolabilité du domicile — Droit fondamental à une protection juridictionnelle effective — Arrêt Dow Benelux — Charge de la preuve — Conséquences de perquisitions illégales effectuées par la Commission»
1. |
La protection juridique contre des perquisitions illégales de domiciles effectuées par des services de répression est généralement considérée comme l’un des principes marquant la distinction entre des sociétés basées sur l’État de droit et d’autres formes de gouvernement, plus répressives. |
2. |
Toutefois, il est universellement reconnu que, même dans des communautés régies par le droit, comme l’Union européenne, les autorités publiques doivent disposer de pouvoirs d’enquête effectifs, afin de poursuivre les infractions suspectées. |
3. |
C’est pourquoi la législation doit trouver un équilibre entre, d’une part, le droit au respect de la vie privée et, d’autre part, une répression efficace. |
4. |
La présente affaire concerne la question de savoir si, en matière de droit de la concurrence de l’Union, le bon équilibre a été trouvé entre le besoin d’outils d’enquête efficaces et le droit à une protection contre des perquisitions injustifiées. Plus précisément, la Cour est appelée à examiner les deux questions suivantes: i) le système d’inspections actuel de l’Union prévu par le règlement (CE) no 1/2003 ( 2 ) est-il compatible avec les articles 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la «Charte»), et ii) quelles sont les conséquences, dans le cadre de ce système, d’une perquisition illégale effectuée par la Commission européenne? |
I – Le cadre juridique
5. |
L’article 20 du règlement no 1/2003, intitulé «Pouvoirs de la Commission en matière d’inspection», dispose: «1. Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises. 2. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection sont investis des pouvoirs suivants:
[…] 4. Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux inspections que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de l’inspection, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues aux articles 23 et 24, ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision. La Commission prend ces décisions après avoir entendu l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée. […] 6. Lorsque les agents ou les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission constatent qu’une entreprise s’oppose à une inspection ordonnée en vertu du présent article, l’État membre intéressé leur prête l’assistance nécessaire, en requérant au besoin la force publique ou une autorité disposant d’un pouvoir de contrainte équivalent, pour leur permettre d’exécuter leur mission d’inspection. 7. Si, en vertu du droit national, l’assistance prévue au paragraphe 6 requiert l’autorisation d’une autorité judiciaire, cette autorisation doit être sollicitée. L’autorisation peut également être demandée à titre préventif. 8. Lorsqu’une autorisation visée au paragraphe 7 est demandée, l’autorité judiciaire nationale contrôle que la décision de la Commission est authentique et que les mesures coercitives envisagées ne sont ni arbitraires ni excessives par rapport à l’objet de l’inspection. Lorsqu’elle contrôle la proportionnalité des mesures coercitives, l’autorité judiciaire nationale peut demander à la Commission, directement ou par l’intermédiaire de l’autorité de concurrence de l’État membre, des explications détaillées, notamment sur les motifs qui incitent la Commission à suspecter une violation des articles 81 et 82 du traité, ainsi que sur la gravité de la violation suspectée et sur la nature de l’implication de l’entreprise concernée. Cependant, l’autorité judiciaire nationale ne peut ni mettre en cause la nécessité de l’inspection ni exiger la communication des informations figurant dans le dossier de la Commission. Le contrôle de la légalité de la décision de la Commission est réservé à la Cour de justice.» |
6. |
De plus, l’article 28, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 prévoit: «Sans préjudice des articles 12 et 15, les informations recueillies en application des articles 17 à 22 ne peuvent être utilisées qu’aux fins auxquelles elles ont été recueillies.» |
II – Les antécédents du litige
7. |
En 2011, la Commission a adopté trois décisions ordonnant toutes une inspection des locaux de Deutsche Bahn AG et de plusieurs de ses filiales (DB Mobility Logistics AB, DB Netz AG, DB Energie GmbH, DB Schenker Rail GmbH, DB Schenker Rail Deutschland AG, et Deutsche Umschlaggesellschaft Schiene-Straße mbH (ci-après appelées collectivement «Deutsche Bahn» ou les «requérantes»). Deutsche Bahn est une entreprise exerçant des activités dans le secteur du transport national et international de marchandises et de passagers, de la logistique et de la prestation de services accessoires dans le transport ferroviaire. |
8. |
La première décision d’inspection ( 3 ) a été notifiée à Deutsche Bahn le 29 mars 2011, lorsque des inspecteurs de la Commission ont demandé à accéder à des locaux de celle-ci à Berlin, à Francfort-sur-le-Main et à Mayence (Allemagne). La décision concernait le traitement préférentiel potentiellement injustifié, accordé par DB Energie à d’autres filiales de Deutsche Bahn, sous forme d’un système de remise pour la fourniture d’énergie de traction électrique (ci-après la «première infraction suspectée»). |
9. |
Lors des inspections, les inspecteurs de la Commission ont trouvé dans les locaux de Deutsche Bahn des documents qui, selon la Commission, pouvaient indiquer un autre comportement anticoncurrentiel (ci-après les «documents DUSS») et, par conséquent, une autre décision d’inspection a été notifiée à Deutsche Bahn le 31 mars 2011 (ci-après la «deuxième décision d’inspection»), alors que la première inspection était encore en cours. La deuxième décision d’inspection concernait des infractions suspectées à la concurrence commises par Deutsche Umschlaggesellschaft Schiene-Straße mbH (ci‑après «DUSS») en faisant un usage stratégique d’infrastructures gérées par Deutsche Bahn ( 4 ) (ci-après la «deuxième infraction suspectée»). |
10. |
La première et la deuxième inspection se sont terminées, respectivement, les 31 mars et 1er avril 2011. |
11. |
Ensuite, une décision d’inspection supplémentaire ( 5 ) (ci-après la «troisième décision d’inspection») a été adoptée et notifiée à Deutsche Bahn le 26 juillet 2011. La troisième inspection visait également des infractions suspectées à la concurrence commises par DUSS. Elle a eu lieu du 26 au 29 juillet 2011. |
III – La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
12. |
À la suite des inspections, Deutsche Bahn a introduit devant le Tribunal des recours contre la Commission, en annulation des trois décisions d’inspection (ci‑après les «décisions attaquées»), au motif que ces décisions violaient son droit au respect de la vie privée, les droits de la défense et le principe de proportionnalité. |
13. |
Par un arrêt du 6 septembre 2013, dans les affaires jointes T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, Deutsche Bahn e.a./Commission ( 6 ) (ci‑après l’«arrêt attaqué»), le Tribunal a rejeté entièrement ces recours et condamné Deutsche Bahn aux dépens. |
IV – La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
14. |
Par leur pourvoi, formé devant la Cour le 18 novembre 2013, les requérantes concluent à ce qu’il plaise à la Cour:
|
15. |
La Commission, quant à elle, conclut à ce qu’il plaise à la Cour:
|
16. |
Le gouvernement espagnol et l’Autorité de surveillance AELE (ci-après l’«ASA») ont présenté des observations au soutien de la Commission, ils ont aussi tous deux présenté des observations orales à l’audience qui s’est tenue le 4 décembre 2014, tout comme les requérantes et la Commission. |
V – Appréciation des moyens du pourvoi
17. |
Les requérantes ont invoqué à l’appui de leur pourvoi quatre moyens que j’examinerai l’un après l’autre. Avant cela, j’examinerai brièvement certains aspects essentiels du système prévu par le règlement no 1/2003 concernant les inspections effectuées par la Commission. |
A – Introduction
18. |
La légalité d’une inspection effectuée... |
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Arrêt du Tribunal (neuvième chambre élargie) du 5 octobre 2020.#Casino, Guichard-Perrachon et Achats Marchandises Casino SAS (AMC), anciennement EMC Distribution contre Commission européenne.#Concurrence – Ententes – Procédure administrative ‐ Décision ordonnant une inspection – Exception d’illégalité de l’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 – Droit à un recours effectif – Égalité des armes – Obligation de motivation – Droit à l’inviolabilité du domicile – Indices suffisamment sérieux – Proportionnalité.#Affaire T-249/17.
...pas être examinées (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:92, point 37), alors qu’elles auraient pu l’être dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision d’inspection. 71 De même, contrairement aux ci......
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...pas être examinées (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:92, point 37), alors qu’elles auraient pu l’être dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision d’inspection. 71 De même, contrairement aux ci......