Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 24 September 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:775
Celex Number62018CC0558
CourtCourt of Justice (European Union)
Date24 September 2019

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 24 septembre 2019 (1)

Affaires jointes C558/18 et C563/18

Miasto Łowicz

contre

Skarb Państwa – Wojewoda Łódzki,

parties intervenantes :

Prokurator Generalny zastępowany przez Prokuraturę Krajową (initialement Prokuratura Regionalna w Łodzi),

Rzecznik Praw Obywatelskich

[Demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Łodzi (tribunal de district de Łódźi, Pologne)]

et

Prokurator Generalny zastępowany przez Prokuraturę Krajową (initialement Prokuratura Okręgowa w Płocku)

contre

VX,

WW,

XV

[Demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal de district de Varsovie, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Recevabilité des questions – État de droit – Article 2 TUEArticle 19, paragraphe 1, TUE – Principe de protection juridictionnelle effective – Principe de l’indépendance des juges – Mesures nationales établissant un régime de procédure disciplinaire à l’égard des juges »






I. Introduction

1. Les présentes affaires sont les quatrièmes d’une série de conclusions que j’ai rédigées (2) au sujet de la réforme du système judiciaire polonais, instaurée par des mesures adoptées en 2017, qui font partie de la proposition motivée présentée par la Commission conformément à l’article 7, paragraphe 1, TUE concernant l’État de droit en Pologne (3). Les modifications apportées à la loi de cet État membre qui ont une incidence sur l’indépendance du pouvoir judiciaire polonais ont suscité de vives critiques internationales (4) et font également l’objet d’un certain nombre de recours qui ont été portés devant la Cour (5).

2. Dans les présentes affaires, le Sąd Okręgowy w Łodzi (tribunal de district de Łódźi, Pologne) et le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal de district de Varsovie, Pologne) demandent à la Cour des clarifications sur le point de savoir si le nouveau régime disciplinaire à l’égard des juges en Pologne respecte les exigences relatives à l’indépendance des juges au titre de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Il s’avère en effet, que, conformément aux ordonnances de renvoi, le ministre de la Justice a acquis davantage d’influence sur l’engagement et le déroulement des procédures disciplinaires engagées à l’encontre des juges, et que les autorités législatives ont acquis davantage d’influence sur la composition du Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature), l’organisme responsable de la sélection du groupe de juges susceptibles d’être nommés au sein de la chambre disciplinaire de la Cour suprême, qui connaît des affaires disciplinaires concernant des juges.

3. En outre, dans les ordonnances de renvoi, les juridictions de renvoi expriment leur crainte de subir des représailles si elles ne statuent pas en faveur de l’État, une appréhension qui découle d’un recours abusif aux procédures disciplinaires dans le cadre du nouveau régime. Il est également significatif que certains juges des juridictions de renvoi aient indiqué qu’ils avaient dû rendre des comptes sur leurs décisions de former les présentes demandes de décision préjudicielle par le biais de procédures d’enquête qui ont été ouvertes après la présentation de ces demandes, bien qu’aucune procédure disciplinaire n’ait été formellement engagée à l’encontre de ces juges.

4. Je suis parvenue à la conclusion que les demandes de décision préjudicielle formées dans les présentes affaires sont irrecevables parce que la Cour ne peut pas émettre d’avis consultatifs sur des problèmes généraux et hypothétiques en application de l’article 267 TFUE.

5. Plus précisément, il n’y a pas suffisamment d’explications dans les ordonnances de renvoi, lesquelles ne sont pas complétées dans la mesure nécessaire par les pièces du dossier sur le lien qui existe entre les mesures prises par l’État membre en cause et les dispositions pertinentes du droit de l’Union, à savoir, l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lequel préserve des manquements structurels à l’indépendance de la justice (6), étant donné qu’il oblige les États membres à « [établir] les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union » (7).

6. En d’autres termes, les exigences concernant le contenu des demandes de décision préjudicielle visées à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, dont la Cour a itérativement rappelé qu’elles doivent être scrupuleusement respectées (8), n’ont pas été observées. Ces exigences figurent également dans les recommandations de la Cour à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles » (9).

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

7. L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE dispose ce qui suit :

« Les États membres établissent les voies de recours nécessaires pour assurer une protection juridictionnelle effective dans les domaines couverts par le droit de l’Union ».

B. Le droit polonais

1. La loi sur la Cour suprême de 2017

8. L’article 3 de l’Ustawa o Sądzie Najwyższym (Loi sur la Cour suprême) du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, positions 5, 650, 771, 847, 848, 1045 et 1443) (ci‑après la « loi sur la Cour suprême de 2017 »), qui est entrée en vigueur le 3 avril 2018, prévoit que la Cour suprême est divisée en plusieurs chambres dont la chambre disciplinaire.

9. L’article 27 de la loi sur la Cour suprême de 2017 énonce ce qui suit :

« 1. Relèvent de la compétence de la chambre disciplinaire les affaires :

(1) disciplinaires ;

(a) relatives aux juges de la Cour suprême ;

(b) examinées par la Cour suprême en rapport avec des procédures disciplinaires menées en vertu des lois suivantes :

[…]

– ustawa z dnia 21 sierpnia 1997 r. – Prawo o ustroju sądów wojskowych [(Dz. U. de 2017, positions 2243 et 2265 et de 2018, positions 3 et 5) (loi du 21 août 1997 sur l’organisation des juridictions militaires)] ;

[…]

– ustawa z dnia 27 lipca 2001 r. – Prawo o ustroju sądów powszechnych [loi du 27 juillet 2001 sur l’organisation des juridictions de droit commun] ;

[…]

2. La chambre disciplinaire est composée des divisions suivantes :

(1) la première division ;

(2) la seconde division.

3. La première division connaît, en particulier, des affaires :

(1) relatives aux juges de la Cour suprême ;

(2) relatives aux juges et aux procureurs, portant sur des manquements de nature disciplinaire, constitutifs d’infractions intentionnelles passibles de poursuites par le ministère public, et sur des manquements désignés dans la demande évoquée à l’article 97, paragraphe 3.

4. La seconde division connaît en particulier :

(1) des recours contre les décisions des juridictions disciplinaires de première instance dans les affaires relatives à des juges et à des procureurs, ainsi que les décisions et ordonnances faisant obstacle au prononcé d’un jugement ;

(2) de la cassation des décisions disciplinaires ;

(3) des recours contre les décisions du Conseil national de la magistrature. »

10. L’article 29 de la loi sur la Cour suprême de 2017 dispose ce qui suit :

« Les juges de la Cour suprême sont nommés aux fins d’exercer cette fonction par le président de la République de Pologne, sur proposition du Conseil national de la magistrature. »

2. La loi sur le Conseil national de la magistrature (le « CNM »)

11. Conformément à l’article 3 de l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature) du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2018, positions 389, 848 et 1045) (ci‑après la « loi sur le CNM ») :

« 2. De plus, le Conseil accomplit d’autres missions définies par la loi et, en particulier :

(4) il élit l’agent disciplinaire pour les juges siégeant au sein des juridictions de droit commun et les juges auxiliaires, ainsi que l’agent disciplinaire pour les juges siégeant au sein des juridictions militaires ».

12. L’article 7 de la loi sur le CNM énonce ce qui suit :

« Le premier président de la Cour suprême, ainsi que le président de la Cour suprême administrative et le ministre de la Justice sont membres du Conseil [national de la magistrature] pour la durée de l’exercice de leurs fonctions. »

13. L’article 8 de la loi sur le CNM prévoit que :

« 1. La personne nommée par le président de la République de Pologne exerce ses fonctions au sein du Conseil [national de la magistrature] sans que son mandat ne soit limité dans le temps et peut être révoquée à tout moment.

2. Le mandat de la personne nommée par le président s’éteint au plus tard trois mois après la fin du mandat du président ou après que le poste du président de la République de Pologne est devenu vacant ».

14. L’article 9 de la loi sur le CNM est rédigé comme suit :

« 1. Le Sejm (chambre basse du parlement polonais) élit, parmi les députés, quatre membres du Conseil [national de la magistrature] pour une période de quatre ans.

2. Le Senat (chambre haute du parlement polonais) élit, parmi les sénateurs, deux membres dudit Conseil, pour une période de quatre ans.

3. Les membres dudit Conseil désignés par le Sejm et le Senat exercent leurs fonctions jusqu’à ce que de nouveaux membres soient élus. »

15. L’article 9a de la loi sur le CNM dispose ce qui suit :

« 1. Le Sejm élit, parmi les juges de la Cour suprême, des juridictions de droit commun, des juridictions administratives et des juridictions militaires, quinze membres du Conseil, pour un mandat commun d’une durée de 4 ans.

2. En procédant à l’élection visée au paragraphe 1, le Sejm tient compte, dans la mesure du possible, de la nécessité d’une représentation au sein dudit Conseil des juges issus des différents types et niveaux de juridictions.

3. Le mandat commun des nouveaux membres dudit Conseil, élus parmi les juges, débute dès le lendemain de leur élection. Les membres sortants du Conseil exercent leurs fonctions jusqu’au jour où débute le mandat commun des nouveaux membres du Conseil...

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