Opinion of Advocate General Kokott delivered on 19 December 2019.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2019:1137
Date19 December 2019
Celex Number62018CC0446
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 19 décembre 2019 (1)

Affaire C446/18

AGROBET CZ, s.r.o.

contre

Finanční úřad pro Středočeský kraj

[demande de décision préjudicielle formée par le Nejvyšší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque)]

« Renvoi préjudiciel – Droit fiscal – Taxe sur la valeur ajoutée – Article 179 et Article 183 de la directive 2006/112/CE – Déduction de la TVA – Excédent de TVA – Rétention de la totalité de l’excédent de TVA à l’occasion d’un contrôle fiscal portant sur une partie des opérations – Remboursement partiel de l’excédent de TVA invoqué – Principe de neutralité – Principe de proportionnalité »






I. Introduction

1. Une administration fiscale peut-elle retarder le remboursement de la totalité de l’excédent de TVA, même si seule une petite fraction fait encore l’objet d’un contrôle fiscal ? L’administration fiscale et la Commission l’affirment, faisant valoir que la déduction de la TVA en vertu de l’article 179 de la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (2) (ci‑après la « directive TVA ») ne peut être opérée que globalement.

2. La question ci‑dessus est particulièrement délicate, car la partie de la déduction demandée qui doit encore être examinée pourrait être liée à des opérations frauduleuses d’un tiers, dont l’assujetti aurait dû, le cas échéant, avoir connaissance. Selon la jurisprudence de la Cour (3), cette circonstance autoriserait (ou exigerait) que l’administration fiscale refuse la déduction de la TVA afférente.

3. Mais cela signifie-t-il aussi que la déduction de la TVA relative à d’autres opérations incontestablement « régulières » peut être retardée de plusieurs années ?

II. Cadre légal

A. Droit de l’Union

4. L’article 168, sous a), de la directive TVA dispose :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ; (…) »

5. L’article 179, paragraphe 1, de la directive TVA concerne la mise en œuvre de la déduction de la TVA par l’assujetti :

« La déduction est opérée globalement par l’assujetti par imputation, sur le montant de la taxe due pour une période imposable, du montant de la TVA pour laquelle le droit à déduction a pris naissance et est exercé en vertu de l’article 178, au cours de la même période. »

6. L’article 183, premier alinéa, de la directive TVA concerne le traitement d’un excédent de TVA par un État membre :

« Lorsque le montant des déductions dépasse celui de la TVA due pour une période imposable, les États membres peuvent soit faire reporter l’excédent sur la période suivante, soit procéder au remboursement selon les modalités qu’ils fixent. »

7. L’article 273 de la directive TVA prévoit des possibilités pour les États membres de lutter contre l’évasion fiscale etc. :

« Les États membres peuvent prévoir d’autres obligations qu’ils jugeraient nécessaires pour assurer l’exacte perception de la TVA et pour éviter la fraude, sous réserve du respect de l’égalité de traitement des opérations intérieures et des opérations effectuées entre États membres par des assujettis, et à condition que ces obligations ne donnent pas lieu dans les échanges entre les États membres à des formalités liées au passage d’une frontière.

La faculté prévue au premier alinéa ne peut être utilisée pour imposer des obligations de facturation supplémentaires à celles fixées au chapitre 3. »

B. Droit tchèque

8. L’article 105, paragraphe 1, du zákon č. 235/2004 Sb., o dani z přidané hodnoty (loi nº 235/2004 relative à la taxe sur la valeur ajoutée ; ci‑après la « loi sur la TVA ») prévoit que « si l’établissement de l’excédent de la taxe fait apparaître un trop-perçu remboursable supérieur à 100 [couronnes tchèques (CZK)], ce dernier est remboursé d’office à l’assujetti dans un délai de 30 jours à dater de l’établissement de l’excédent ».

9. En vertu des articles 89 et 90 du Zákon č. 280/2009 Sb., daňový řád (loi nº 280/2009 établissant le code de procédure fiscale), dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016 (ci‑après « le code de procédure fiscale »), lorsqu’une déclaration fiscale ordinaire fait apparaitre un trop-perçu fiscal au bénéfice de l’assujetti, l’administration fiscale invite [l’assujetti], en cas de doutes, à dissiper ces doutes et peut initier un contrôle fiscal si les doutes n’ont pas été dissipés et que le montant de la taxe n’a pas été établi de manière suffisamment crédible.

10. Selon les indications de la juridiction de renvoi, le code de procédure fiscale ne fixe pas de durée maximale pour le contrôle fiscal ni pour la procédure d’évaluation fiscale dans le cadre de laquelle est effectuée le contrôle fiscal. Seul l’établissement de l’impôt est soumis à un délai. En vertu de l’article 148 du code de procédure fiscale, en cas de contrôle fiscal initié avant l’expiration du délai prévu, l’impôt doit être établi dans un délai de trois ans à compter de l’ouverture du contrôle fiscal. Ce délai pour l’établissement de l’impôt ne court pas, entre autres, au cours d’une coopération internationale pendante devant l’administration fiscale. Il expire toutefois au plus tard après 10 ans.

11. L’article 254a du code de procédure fiscale prévoit que, lorsqu’une procédure visant à dissiper les doutes relatifs à une déclaration fiscale ordinaire faisant apparaître un excédent de TVA au bénéfice de l’assujetti dure plus de cinq mois, l’assujetti a droit à des intérêts de retard sur l’excédent de TVA établi par l’administration fiscale.

12. Selon les indications de la juridiction de renvoi, le droit national ne permet manifestement pas d’établir partiellement ou provisoirement la taxe relative à la partie incontestée d’une déclaration fiscale avant la clôture du contrôle fiscal.

III. Le litige au principal

13. AGROBET CZ, s. r. o. (ci‑après « AGROBET ») est une société active dans l’importation et l’exportation notamment de produits agricoles et d’aliments pour animaux.

14. En février 2016, elle a déposé une déclaration de TVA au titre des mois de décembre 2015 et janvier 2016 qui faisait apparaître un excédent de TVA de 2 958 167 CZK (environ 109.476 euros) et de 1 559 241 CZK (environ 57 649 euros). Cet excédent de TVA comprend également des montants de déduction de TVA résultant de l’achat d’huile de colza, qu’AGROBET a revendu en franchise d’impôt à une entreprise polonaise.

15. L’administration fiscale a initié un contrôle fiscal portant sur les deux périodes d’imposition parce qu’elle avait des doutes quant à la régularité de la taxation des opérations relatives à l’huile de colza. Les doutes portaient à la fois sur le taux de TVA appliqué et sur l’existence de ce que l’on appelle des opérations fictives. Ils étaient suscités par le fait que l’huile de colza provenait de Pologne, qu’elle était commercialisée en République tchèque sans autre transformation, puis revendue par AGROBET à un destinataire en Pologne.

16. En raison de ces doutes, la TVA pour les périodes de décembre 2015 et janvier 2016 n’a pas été établie et l’excédent de TVA calculé n’a pas été remboursé. AGROBET a alors proposé de fournir une garantie pour la partie contestée de la TVA afin que la partie non contestée puisse être établie et que le reste de l’excédent de TVA puisse être remboursé. Cette proposition a été rejetée par l’administration fiscale, au motif que l’excédent de TVA est indivisible et concernait l’ensemble de la période d’imposition et non pas uniquement une partie des opérations assujetties.

17. En juin 2016, dans le cadre d’une demande d’informations au titre de l’assistance administrative internationale, l’administration fiscale polonaise a indiqué qu’il n’était pas possible de joindre le destinataire de l’huile de colza fournie par AGROBET et elles l’ont donc qualifié d’opérateur défaillant (missing trader). Lors l’audience devant la Cour du 11 septembre 2019, l’enquête sur les ventes d’huile de colza concernées n’avait toujours pas été définitivement clôturée.

18. Par deux recours en carence du 30 janvier 2017, la requérante a demandé à une juridiction d’ordonner à la défenderesse d’émettre un avis d’imposition établissant la TVA de la requérante pour les périodes imposables de décembre 2015 et de janvier 2016 dans la mesure où cette taxe n’est pas visée par le contrôle fiscal en cours. AGROBET a formé un pourvoi en cassation devant la juridiction de renvoi contre le jugement de rejet du 13 juin 2017.

IV. Demande de décision préjudicielle et procédure devant la Cour

19. Par ordonnance du 31 mai 2018, le Nejvyššší správní soud (Cour administrative suprême, République tchèque) a saisi la Cour de la question préjudicielle suivante au titre de l’article 267 TFUE :

« Une mesure d’un État membre qui subordonne l’établissement et le paiement d’une partie de la déduction de la TVA demandée à la clôture de procédures portant sur l’ensemble des prestations imposables au cours d’une période d’imposition déterminée est-elle compatible avec le droit de l’Union, notamment le principe de neutralité de la TVA ? »

20. Dans le cadre de la procédure devant la Cour, AGROBET, la République tchèque, le Royaume d’Espagne et la Commission ont présenté des observations écrites et ont participé à l’audience du 11 septembre 2019.

V. Appréciation en droit

A. Contexte de la problématique et interprétation de la question préjudicielle

21. L’excédent de TVA litigieux d’AGROBET résulte du traitement TVA du commerce transfrontalier de marchandises. Une livraison intracommunautaire (c’est‑à‑dire la vente transfrontalière de marchandises) est...

To continue reading

Request your trial
2 practice notes
  • Opinion of Advocate General Bobek delivered on 3 March 2020.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 3 March 2020
    ...equivalente — articolo 20 — della sesta direttiva. 17 Conclusioni dell’avvocato generale Kokott nella causa AGROBET CZ (C‑446/18, EU:C:2019:1137, paragrafo 57 e giurisprudenza ivi 18 Dall’ordinanza di rinvio risulta che i quattro appartamenti di cui trattasi sono stati ceduti in locazione a......
  • Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 7 April 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 7 April 2022
    ...zu den beiden Facetten des Grundsatzes der Neutralität Schlussanträge der Generalanwältin Kokott in der Rechtssache AGROBET CZ (C‑446/18, EU:C:2019:1137, Nr. 57 und die dort angeführte 42 Urteil vom 27. September 2007, Teleos u. a. (C‑409/04, EU:C:2007:548, Rn. 53 und die dort angeführte Re......
2 cases
  • Opinion of Advocate General Bobek delivered on 3 March 2020.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 3 March 2020
    ...equivalente — articolo 20 — della sesta direttiva. 17 Conclusioni dell’avvocato generale Kokott nella causa AGROBET CZ (C‑446/18, EU:C:2019:1137, paragrafo 57 e giurisprudenza ivi 18 Dall’ordinanza di rinvio risulta che i quattro appartamenti di cui trattasi sono stati ceduti in locazione a......
  • Opinion of Advocate General Emiliou delivered on 7 April 2022.
    • European Union
    • Court of Justice (European Union)
    • 7 April 2022
    ...zu den beiden Facetten des Grundsatzes der Neutralität Schlussanträge der Generalanwältin Kokott in der Rechtssache AGROBET CZ (C‑446/18, EU:C:2019:1137, Nr. 57 und die dort angeführte 42 Urteil vom 27. September 2007, Teleos u. a. (C‑409/04, EU:C:2007:548, Rn. 53 und die dort angeführte Re......

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT