Opinion of Advocate General Pitruzzella delivered on 14 May 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:377
Date14 May 2020
Celex Number62019CC0181
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 14 mai 2020 (1)

Affaire C181/19

Jobcenter Krefeld – Widerspruchsstelle

contre

JD

[demande de décision préjudicielle formée par le Landessozialgericht Nordrhein‑Westfalen (tribunal supérieur du contentieux social de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Libre circulation des personnes – Citoyen de l’Union ayant perdu la qualité de travailleur – Droit de séjour – Principe d’égalité de traitement – Droit à une prestation d’assistance sociale – Avantages sociaux – Ancien travailleur migrant ayant à sa charge des enfants scolarisés dans l’État membre d’accueil – Droit d’accès à l’enseignement – Effectivité – Prestations spéciales en espèces à caractère non contributif »






Table des matières


I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La directive 2004/38/CE

2. Le règlement (CE) n° 883/2004

3. Le règlement (UE) n° 492/2011

B. Le droit allemand

II. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

III. Analyse

A. Remarques liminaires sur la qualification des prestations en cause

B. Sur les questions préjudicielles

1. Sur l’inapplicabilité de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 à la situation en cause au principal

2. Sur la portée du droit de séjour fondé sur l’article 10 du règlement n° 492/2011

a) L’article 10 du règlement n° 492/2011 dans la jurisprudence de la Cour

b) Droit de séjour fondé sur l’article 10 du règlement n° 492/2011 et droit à l’égalité de traitement en matière d’accès aux prestations de protection sociale de base : la suite logique

1) Première hypothèse : l’article 7 du règlement n° 492/2011 comme fondement du droit à l’égalité de traitement de JD

2) Seconde hypothèse : le droit d’accès à l’enseignement comme fondement du droit à l’égalité de traitement en matière d’accès à l’assistance sociale

3. Remarques complémentaires

IV. Conclusion


1. L’Union européenne traverse, à l’heure où je rédige ces conclusions, une crise de santé publique sans précédent à laquelle les États membres ont répondu en faisant preuve d’une solidarité sanitaire elle aussi sans précédent. Dans la présente affaire, ce sont les limites de la solidarité sociale que la Cour est appelée à préciser en étant invitée à se prononcer sur la question de l’étendue de l’aide sociale qu’un État membre d’accueil doit fournir à l’égard d’un ancien travailleur migrant à la recherche d’un emploi et exerçant la garde de ses deux enfants scolarisés dans cet État.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. La directive 2004/38/CE

2. L’article 24 de la directive 2004/38/CE, du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) n° 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (2), est intitulé « Égalité de traitement ». Il est rédigé comme suit :

« 1. Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent.

2. Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non-salariés, les personnes qui gardent ce statut, ou les membres de leur famille. »

2. Le règlement (CE) n° 883/2004

3. L’article 3, paragraphe 3, du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 988/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009 (JO 2009, L 284, p. 43) (3), prévoit que ce règlement « s’applique également aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif visées à l’article 70 ».

4. L’article 4 du règlement n° 883/2004 dispose que, « [à] moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci ».

5. Les paragraphes 1 et 2 de l’article 70 du règlement n° 883/2004 se lisent comme suit :

« 1. Le présent article s’applique aux prestations spéciales en espèces à caractère non contributif relevant d’une législation qui, de par son champ d’application personnel, ses objectifs et/ou ses conditions d’éligibilité, possède les caractéristiques à la fois de la législation en matière de sécurité sociale visée à l’article 3, paragraphe 1, et d’une assistance sociale.

2. Aux fins du présent chapitre, on entend par “prestations spéciales en espèces à caractère non contributif” les prestations

a) qui sont destinées :

i) […] à couvrir à titre complémentaire, subsidiaire ou de remplacement, les risques correspondant aux branches de sécurité sociale visées à l’article 3, paragraphe 1, et à garantir aux intéressés un revenu minimum de subsistance eu égard à l’environnement économique et social dans l’État membre concerné ;

[…]

et

b) qui sont financées exclusivement par des contributions fiscales obligatoires destinées à couvrir des dépenses publiques générales et dont les conditions d’attribution et modalités de calcul ne sont pas fonction d’une quelconque contribution pour ce qui concerne leurs bénéficiaires […] ;

et

c) qui sont énumérées à l’annexe X. »

6. L’annexe X du règlement n° 883/2004 vise, en ce qui concerne l’Allemagne, « [l]es prestations visant à garantir des moyens d’existence au titre de l’assurance de base pour les demandeurs d’emploi, sauf si, en ce qui concerne ces prestations, les conditions d’obtention d’un complément temporaire à la suite de la perception d’une prestation de chômage (article 24, paragraphe 1, du livre II du code social) sont remplies ».

3. Le règlement (UE) n° 492/2011

7. L’article 7, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) n° 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (4) est libellé comme suit :

« 1. Le travailleur ressortissant d’un État membre ne peut, sur le territoire des autres États membres, être, en raison de sa nationalité, traité différemment des travailleurs nationaux, pour toutes conditions d’emploi et de travail, notamment en matière de rémunération, de licenciement et de réintégration professionnelle ou de réemploi s’il est tombé au chômage.

2. Il y bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les travailleurs nationaux. »

8. L’article 10 du règlement n° 492/2011 prévoit, en son premier alinéa, que « [l]es enfants d’un ressortissant d’un État membre qui est ou a été employé sur le territoire d’un autre État membre sont admis aux cours d’enseignement général, d’apprentissage et de formation professionnelle dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État, si ces enfants résident sur son territoire ». Le second alinéa poursuit en indiquant que « [l]es États membres encouragent les initiatives permettant à ces enfants de suivre les cours précités dans les meilleures conditions ».

B. Le droit allemand

9. L’article 7 du livre II du Sozialgesetzbuch Zweites Buch (code social), dans sa version du 22 décembre 2016 (BGBl. I, p. 3155, ci-après le « SGB II »), dispose :

« 1) 1 Les prestations prévues dans le présent livre sont octroyées aux personnes qui :

1. ont atteint l’âge de 15 ans et n’ont pas encore atteint la limite d’âge prévue à l’article 7 bis,

2. sont aptes à travailler,

3. sont indigentes et

4. séjournent habituellement en République fédérale d’Allemagne (bénéficiaires aptes à travailler).

2 Sont exceptés :

[...]

2. les ressortissants étrangers

a) qui n’ont pas de droit de séjour,

b) dont le droit de séjour résulte uniquement de l’objectif de rechercher un travail ou

c) qui tirent leur droit de séjour – seul ou en parallèle d’un droit de séjour au titre du point b) – de l’article 10 du règlement n° 492/2011,

ainsi que les membres de leur famille,

[…].

2) Perçoivent des prestations également les personnes qui vivent dans une communauté de besoin avec les bénéficiaires aptes à travailler. […]

3) Font partie de la communauté de besoin

1. les bénéficiaires aptes à travailler,

[…]

4. les enfants non mariés faisant partie du foyer des personnes mentionnées sous les points 1 à 3, lorsqu’ils n’ont pas encore atteint l’âge de 25 ans, pour autant qu’ils ne peuvent pas se procurer grâce à leurs propres revenus ou leur patrimoine les prestations leur permettant d’assurer leur subsistance. »

10. L’article 2 du Gesetz über die allgemeine Freizügigkeit von Unionsbürgern (loi sur la libre circulation des citoyens de l’Union, ci-après le « FreizügG ») (5) est libellé comme suit :

« 1) Les citoyens de l’Union bénéficiant de la libre circulation et les membres de leur famille ont le droit d’entrer et de séjourner sur le territoire fédéral conformément aux dispositions de la présente loi.

2) Bénéficient de la liberté de circulation en vertu du...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT