Opinion of Advocate General Bobek delivered on 9 July 2020.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:552
Date09 July 2020
Celex Number62019CC0526
CourtCourt of Justice (European Union)

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 9 juillet 2020 (1)

Affaire C526/19

Entoma SAS

contre

Ministre de l’Économie et des Finances,

Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation

[Demande de décision préjudicielle du Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Sécurité des denrées alimentaires – Nouveaux aliments et ingrédients alimentaires – Règlement (CE) no 258/97 – Article 1er, paragraphe 2 – Ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux – Insectes entiers destinés à l’alimentation humaine – Interprétation du champ d’application matériel du règlement »






I. Introduction

1. Les insectes sont-ils des nouveaux aliments ? Mis en perspective avec l’histoire de l’humanité, ils ne le sont certainement pas. Toutefois, au regard du droit de l’Union, la réponse est moins claire. L’on peut peut-être supposer que, jusqu’au 15 mai 1997, c’est‑à‑dire la date pertinente prévue par le règlement (CE) nº 258/97 (2), « la consommation humaine [des insectes] est restée négligeable dans la Communauté ». Cependant, se peut-il que les vers de farine, les criquets ou les grillons relèvent également de la deuxième partie de la définition des nouveaux aliments, sur laquelle porte la présente affaire, à savoir qu’il s’agirait d’« ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux » ?

2. À mon avis, cela n’est pas le cas. Il n’en reste pas moins que les gouvernements français et italien ont explicitement invité la Cour à combler le vide juridique laissé par le législateur de l’Union en 1997. Une telle invitation ne peut être laissée sans réponse, a fortiori lorsqu’elle concerne des délices gastronomiques tels que ceux qui sont en cause dans la présente affaire. Toutefois, on peut et, en l’espèce, on doit décliner poliment cette invitation, en rappelant les limites de ce qui reste une « interprétation jurisprudentielle » d’une disposition claire de droit dérivé et d’une éventuelle réécriture ex post.

II. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

1. Le règlement no 258/97

3. Le considérant 1 du règlement nº 258/97 du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 1997, relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires prévoyait que « [...] les différences entre les législations nationales en matière de nouveaux aliments ou de nouveaux ingrédients alimentaires peuvent entraver la libre circulation des denrées alimentaires [...] [et] peuvent créer des conditions de concurrence déloyale affectant directement le fonctionnement du marché intérieur ».

4. Le considérant 2 est libellé comme suit : « [...] afin de protéger la santé publique, il est nécessaire de s’assurer que les nouveaux aliments et les nouveaux ingrédients alimentaires font l’objet d’une évaluation d’innocuité unique suivant une procédure communautaire avant d’être mis sur le marché dans la Communauté [...] ».

5. Conformément à la version initiale (3) de l’article 1er du règlement nº 258/97 :

« 1. Le présent règlement a pour objet la mise sur le marché dans la Communauté de nouveaux aliments et de nouveaux ingrédients alimentaires.

2. Le présent règlement s’applique à la mise sur le marché dans la Communauté d’aliments et d’ingrédients alimentaires pour lesquels la consommation humaine est jusqu’ici restée négligeable dans la Communauté et qui relèvent des catégories suivantes :

a) les aliments et ingrédients alimentaires contenant des organismes génétiquement modifiés au sens de la directive 90/220/CEE ou consistant en de tels organismes ;

b) les aliments et ingrédients alimentaires produits à partir d’organismes génétiquement modifiés, mais n’en contenant pas ;

c) les aliments et ingrédients alimentaires présentant une structure moléculaire primaire nouvelle ou délibérément modifiée ;

d) les aliments et ingrédients alimentaires composés de micro-organismes, de champignons ou d’algues ou isolés à partir de ceux‑ci ;

e) les aliments et ingrédients alimentaires composés de végétaux ou isolés à partir de ceux‑ci et les ingrédients alimentaires isolés à partir d’animaux, à l’exception des aliments et des ingrédients alimentaires obtenus par des pratiques de multiplication ou de reproduction traditionnelles et dont les antécédents sont sûrs en ce qui concerne l’utilisation en tant que denrées alimentaires ;

f) les aliments et ingrédients alimentaires auxquels a été appliqué un procédé de production qui n’est pas couramment utilisé, lorsque ce procédé entraîne dans la composition ou dans la structure des aliments ou des ingrédients alimentaires des modifications significatives de leur valeur nutritive, de leur métabolisme ou de leur teneur en substances indésirables.

3. Le cas échéant, il peut être déterminé, selon la procédure prévue à l’article 13, si un type d’aliment ou d’ingrédient alimentaire relève du paragraphe 2 du présent article ».

6. Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, du règlement nº 258/97 :

« Les aliments ou ingrédients alimentaires qui relèvent du présent règlement ne doivent pas :

– - présenter de danger pour le consommateur,

– - induire le consommateur en erreur,

– - différer des aliments et ingrédients alimentaires qu’ils sont destinés à remplacer à un point tel que leur consommation normale impliquerait des inconvénients nutritionnels pour le consommateur ».

7. L’article 12 du même règlement dispose :

« 1. Si un État membre a, à la suite de nouvelles informations ou d’une réévaluation des informations existantes, des raisons précises d’estimer que l’usage d’un aliment ou d’un ingrédient alimentaire conforme au présent règlement présente des risques pour la santé humaine ou pour l’environnement, cet État membre peut restreindre provisoirement ou suspendre la commercialisation et l’utilisation sur son territoire de l’aliment ou de l’ingrédient alimentaire en cause. Il en informe immédiatement les autres États membres et la Commission en précisant les motifs de sa décision.

2. La Commission examine dès que possible, au sein du comité permanent des denrées alimentaires, les motifs visés au paragraphe 1. Elle prend les mesures qui s’imposent en vue de confirmer, de modifier ou d’abroger la mesure nationale en conformité avec la procédure de réglementation visée à l’article 13, paragraphe 2. L’État membre qui a arrêté la décision visée au paragraphe 1 peut la maintenir jusqu’à l’entrée en vigueur de ces mesures ».

2. Le règlement 2015/2283

8. Le règlement (UE) 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relatif aux nouveaux aliments, a abrogé le règlement nº 258/97 à compter du 1er janvier 2018.

9. Le considérant 6 du règlement 2015/2283 est libellé comme suit :

« Il y a lieu de clarifier et de mettre à jour la définition existante des nouveaux aliments dans le règlement (CE) nº 258/97 par un renvoi à la définition générale des denrées alimentaires prévue dans le règlement (CE) nº 178/2002 du Parlement européen et du Conseil »

10. Le considérant 8 du règlement 2015/2283 prévoit :

« Le champ d’application du présent règlement devrait, en principe, demeurer identique à celui du règlement (CE) nº 258/97. Toutefois, étant donné l’évolution scientifique et technologique depuis 1997, il y a lieu de revoir, de préciser et de mettre à jour les catégories d’aliments qui constituent de nouveaux aliments. Ces catégories devraient inclure les insectes entiers et leurs parties [...] ».

11. L’article 2, paragraphe 1, du règlement 2015/2283 dispose que « [l]e présent règlement s’applique à la mise sur le marché dans l’Union de nouveaux aliments ».

12. Parmi les définitions figurant à l’article 3, paragraphe 2, du règlement 2015/2283, le « nouvel aliment » est défini sous a) de la manière suivante :

« toute denrée alimentaire dont la consommation humaine était négligeable au sein de l’Union avant le 15 mai 1997, indépendamment de la date d’adhésion à l’Union des États membres, et qui relève au moins d’une des catégories suivantes :

[...]

(v) les denrées alimentaires qui se composent d’animaux ou de leurs parties, ou qui sont isolées ou produites à partir d’animaux ou de leurs parties, à l’exception des animaux obtenus par des pratiques de reproduction traditionnelles qui ont été utilisées pour la production de denrées alimentaires dans l’Union avant le 15 mai 1997, et pour autant que les denrées alimentaires provenant de ces animaux aient un historique d’utilisation sûre en tant que denrées alimentaires au sein de l’Union ;

[...] »

13. L’article 35, paragraphe 2, du règlement 2015/2283, intitulé « mesures transitoires », dispose :

« Les denrées alimentaires n’entrant pas dans le champ d’application du règlement (CE) nº 258/97, qui sont légalement mises sur le marché au plus tard le 1er janvier 2018 et qui entrent dans le champ d’application du présent règlement peuvent continuer d’être mises sur le marché jusqu’à ce qu’une décision soit prise en conformité avec les articles 10 à 12 ou avec les articles 14 à 19 du présent règlement à la suite d’une demande d’autorisation d’un nouvel aliment ou d’une notification d’un aliment traditionnel en provenance d’un pays tiers qui est introduite pour la date fixée dans les modalités d’exécution adoptées conformément à l’article 13 ou 20 du présent règlement, respectivement, mais au plus tard le 2 janvier 2020 ».

III. Les faits, la procédure nationale et la question préjudicielle

14. Entoma (ci‑après la « requérante ») est une société commercialisant des produits constitués de vers de farine, de criquets et de grillons destinés à l’alimentation humaine sous la forme d’insectes entiers.

15. Par arrêté du 27 janvier 2016, le préfet de police de Paris (France) a suspendu la mise sur le marché de ces produits et a ordonné leur retrait de la consommation jusqu’à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché, délivrée après une évaluation démontrant que ces produits ne présentent pas de danger pour le consommateur.

16. La requérante a introduit une demande tendant à l’annulation de cet arrêté devant le tribunal...

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