Opinion of Advocate General Szpunar in VG Bild-Kunst

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2020:696
Date10 September 2020
Celex Number62019CC0392
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 10 septembre 2020 (1)

Affaire C392/19

VG Bild-Kunst

contre

Stiftung Preußischer Kulturbesitz

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information – Directive 2001/29/CE – Article 3, paragraphe 1 – Notion de “communication au public” – Intégration d’une œuvre protégée par le droit d’auteur par le procédé de transclusion (framing) – Œuvre librement accessible avec l’autorisation du titulaire du droit d’auteur sur le site Internet d’un licencié – Article 6 – Mesures techniques efficaces – Directive 2014/26/UE – Gestion collective du droit d’auteur et des droits voisins – Article 16 – Conditions d’octroi de licences – Clause du contrat d’exploitation exigeant du licencié d’introduire des mesures techniques efficaces contre la transclusion »






Introduction

1. Les héros de la saga cinématographique de George Lucas Star Wars étaient capables de se déplacer dans l’« hyperespace » à des vitesses superluminiques à l’aide de l’« hyperpropulsion ». De manière semblable, les utilisateurs d’Internet peuvent « voyager » dans le « cyberespace » à l’aide de liens hypertextes. Si ces liens ne défient pas les lois de la physique comme le faisait l’hyperpropulsion des vaisseaux de Star Wars, ils présentent néanmoins un certain nombre de défis du point de vue de la loi et notamment du droit d’auteur. Ces défis ont été déjà partiellement relevés, entre autres, dans la jurisprudence de la Cour. La présente affaire donnera l’occasion de revoir et de compléter cette jurisprudence.

2. En pensant à Internet, il est commun de se référer en réalité à une seule fonctionnalité de ce réseau, probablement la plus utilisée : le World Wide Web, autrement dit la Toile ou le « réseau mondial ». Ce réseau est composé d’unités d’information et de ressources contenues sur des pages Internet (web page). Une page Internet est un document écrit dans le langage HTLM (hypertext markup language) et contenant éventuellement d’autres ressources annexes, notamment des images ou des fichiers audiovisuels ou textuels. Un ensemble structuré de pages Internet et d’éventuelles autres ressources publiées par un propriétaire et hébergées sur un ou plusieurs serveurs constitue un site Internet (website).

3. Lors de la consultation d’un site Internet, l’ordinateur crée une connexion avec le ou les serveurs sur lesquels ce site est hébergé, en demandant les informations constituant le site. Une copie de ces informations est alors envoyée et enregistrée (provisoirement) dans la mémoire intermédiaire ou « mémoire cache » de l’ordinateur. Ces informations peuvent être lues et restituées sur l’écran de l’ordinateur grâce à un logiciel spécial, un navigateur Internet.

4. Chaque ressource sur la Toile, c’est-à-dire chaque fichier, page et site Internet, possède un identifiant unique nommé URL (uniform resource locator), qui constitue une sorte d’« adresse Internet » (2). La page vers laquelle mène l’adresse d’un site Internet est nommée page d’accueil (home page). Il y a deux moyens d’accéder à une ressource sur la Toile en utilisant l’adresse URL. Le premier moyen consiste à entrer cette adresse dans la fenêtre adresse du navigateur et, le second, en cause dans la présente affaire, à utiliser un lien hypertexte.

5. Ce qui « tisse la Toile » (webbing the Web), ce sont les liens hypertextes ou hyperliens (hypertext links). Ils permettent d’accéder, en partant d’un site Internet, directement aux ressources présentes sur un autre site. Ce sont en fait les hyperliens qui constituent l’essence même de la Toile et la différencient, par exemple, de la bibliothèque d’Alexandrie. La Cour a reconnu dans sa jurisprudence l’importance des liens hypertextes pour le fonctionnement de la Toile et la liberté de parole à laquelle celle-ci contribue (3).

6. Un lien hypertexte est une instruction pour le navigateur d’aller rechercher des ressources sur un autre site Internet. Il exprime en langage HTML l’adresse URL de la ressource cible et le texte ou l’image qui symbolise le lien sur la page Internet d’origine (4), ainsi que, éventuellement, d’autres éléments, tels que la façon d’ouvrir la ressource cible sur écran. Un lien nécessite normalement d’être activé (cliqué) pour fonctionner.

7. Un lien simple comporte uniquement l’adresse URL du site auquel il renvoie, c’est-à-dire de sa page d’accueil. Après le clic sur le lien, cette page s’ouvre soit à la place de la page où se trouvait le lien, soit dans une nouvelle fenêtre. La fenêtre d’adresse du navigateur référencie l’adresse URL du nouveau site, de sorte que l’utilisateur est conscient d’avoir changé de site. Il existe cependant d’autres types de liens.

8. Le lien dit « profond » (deep link) conduit non pas vers la page d’accueil du site cible, mais vers une autre page de ce site, voire vers une ressource spécifique contenue sur cette page, par exemple un fichier graphique ou textuel (5). En effet, chaque page et chaque ressource ont une adresse URL qui peut être utilisée dans le lien au lieu de la seule adresse principale du site. Un lien profond ignore l’ordre supposé de la navigation sur le site cible, en contournant sa page d’accueil. Cependant, dans la mesure où l’adresse URL d’une page Internet contient normalement le nom du site, l’utilisateur est toujours informé du site qu’il est en train de consulter.

9. Une page Internet peut contenir d’autres ressources que du texte, notamment des fichiers graphiques ou audiovisuels. Ces fichiers ne forment pas des parties intégrantes du document HTML constituant la page, mais y sont liés. L’incorporation (embedding) de ces ressources se fait à l’aide d’instructions spécifiques qui existent dans le langage HTML à cette fin. Par exemple, pour incorporer une image, il existe la balise « image » (« ») (6). Normalement, cette balise est utilisée pour incorporer sur une page Internet un fichier graphique stocké sur le même serveur que cette page (fichier local). Il suffit cependant de remplacer, dans l’attribut « source » de la balise « image », l’adresse d’un fichier local (« URL relative ») par celle d’un fichier contenu sur un autre site Internet (« URL absolue ») pour l’incorporer, sans devoir le reproduire, sur sa propre page Internet (7).

10. Cette technique utilise la fonctionnalité d’un lien hypertexte, c’est-à-dire que l’élément, par exemple une image, est affiché dans le navigateur à partir de son emplacement d’origine (le site Internet cible), il n’est donc pas reproduit sur le serveur du site sur lequel il apparaît. Cependant, l’élément incorporé s’affiche automatiquement, sans qu’il soit nécessaire de cliquer sur un quelconque lien. Du point de vue de l’utilisateur, l’effet est identique à celui d’un fichier contenu sur la même page sur laquelle il apparaît. Cette pratique est connue sous l’appellation d’inline linking ou de hotlinking.

11. Le framing est une technique qui permet de diviser l’écran en plusieurs parties, dont chacune peut afficher, de manière autonome, une page ou une ressource Internet différente. Ainsi, sur une partie de l’écran peut être affichée la page Internet d’origine et, sur l’autre, une page ou une autre ressource provenant d’un autre site. Cette autre page n’est pas reproduite sur le serveur du site encadrant, mais est consultée directement à l’aide d’un lien profond. L’adresse URL de la page cible de ce lien est souvent dissimulée, de sorte que l’utilisateur peut avoir l’impression de consulter une seule page Internet, alors qu’il en consulte en fait deux (ou plus).

12. Le framing est actuellement considéré comme obsolète et a été abandonné dans la dernière version du langage HTLM (HTML5). Il a été remplacé par l’inline frame (8), qui permet de placer une ressource externe, telle qu’un site Internet, une page, voire un élément d’une page Internet provenant d’un autre site dans un cadre dont les dimensions et l’emplacement sont librement définis par l’auteur de la page Internet en question. L’inline frame se comporte comme un élément intégrant de cette page, car cette technique, à la différence du framing classique, n’est pas une technique de division de l’écran mais un moyen d’incorporation (embedding) de ressources externes à une page Internet.

13. Pour compliquer davantage les choses, l’inline frame peut être défini comme emplacement d’ouverture d’un lien hypertexte (9). De cette façon, après que le lien a été activé (par un clic), la ressource cible s’ouvre dans un cadre (dont les bords sont ou non visibles sur l’écran), à l’emplacement défini par l’auteur de la page contenant le lien (10).

14. Ces manipulations peuvent paraître complexes et nécessiter des connaissances approfondies en informatique, mais les très nombreux services de création de sites Internet et les plateformes de partage de contenu automatisent ces procédés, permettant de facilement créer des pages Internet, d’y incorporer des contenus et de créer des liens hypertextes sans posséder ces connaissances.

15. Il découle d’une jurisprudence établie de la Cour que les liens hypertextes vers des objets protégés par le droit d’auteur, mis à la disposition du public en libre accès sur Internet avec l’autorisation du titulaire de ces droits, ne constituent pas des actes nécessitant une autorisation dudit titulaire (11). Une jurisprudence plus récente demande cependant de voir cet acquis jurisprudentiel sous une lumière un peu différente. Ainsi, il conviendrait de déterminer si le fait, pour un titulaire des droits d’auteur, d’utiliser des moyens techniques destinés à prévenir l’utilisation de son œuvre sous forme de liens hypertextes et au moyen du framing change l’appréciation du point de vue du droit d’auteur. Il sera également nécessaire, à mon avis, de revoir le problème lié à l’incorporation dans des...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT