Opinion of Advocate General Bobek delivered on 2 February 2021.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2021:86
Celex Number62019CC0758
CourtCourt of Justice (European Union)
Date02 February 2021

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MICHAL BOBEK

présentées le 2 février 2021(1)

Affaire C758/19

OH

contre

ID

[Demande de décision préjudicielle formée par le Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d’Athènes, Grèce)]

« Renvoi préjudiciel – Articles 268, 270, 340 et 343 TFUE – Protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne — Articles 11, 17 et 19 – Ancien membre de la Commission – Immunité de juridiction – Action en responsabilité non contractuelle – Levée de l’immunité – Compétence de la Cour de justice de l’Union européenne »






I. Introduction

1. Le requérant au principal est un ressortissant grec qui a été engagé par la Commission européenne en qualité d’agent temporaire. Il a travaillé au sein du cabinet d’une personne alors membre de la Commission (ci‑après le « défendeur » au principal). À la suite d’une prétendue rupture du lien de confiance entre ces deux personnes, la Commission a décidé de résilier le contrat du requérant.

2. Le requérant estime avoir subi un préjudice tant matériel que moral du fait de la cessation de sa relation de travail. Il a engagé une action (civile) devant une juridiction de première instance d’Athènes, en demandant la réparation de ce préjudice. Éprouvant des doutes quant à sa compétence en la matière, cette juridiction de première instance pose plusieurs questions à la Cour. En particulier, elle s’interroge sur la question de savoir qui devrait être le défendeur approprié (l’ancien commissaire ou l’Union européenne) et devant quelle juridiction (les juridictions nationales ou la Cour de justice de l’Union européenne) une telle action devrait être introduite.

II. Cadre juridique

A. Le droit de l’Union

3. L’article 11 du protocole nº 7 sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (ci‑après le « protocole nº 7 »), annexé aux traités de l’Union, énonce ce qui suit :

« Sur le territoire de chacun des États membres et quelle que soit leur nationalité, les fonctionnaires et autres agents de l’Union :

a) jouissent de l’immunité de juridiction pour les actes accomplis par eux, y compris leurs paroles et écrits, en leur qualité officielle, sous réserve de l’application des dispositions des traités relatives, d’une part, aux règles de la responsabilité des fonctionnaires et agents envers l’Union et, d’autre part, à la compétence de la Cour de justice de l’Union européenne pour statuer sur les litiges entre l’Union et ses fonctionnaires et autres agents. Ils continueront à bénéficier de cette immunité après la cessation de leurs fonctions,

[…] ».

4. Aux termes de l’article 17 du même protocole :

« Les privilèges, immunités et facilités sont accordés aux fonctionnaires et autres agents de l’Union exclusivement dans l’intérêt de cette dernière.

Chaque institution de l’Union est tenue de lever l’immunité accordée à un fonctionnaire ou autre agent dans tous les cas où elle estime que la levée de cette immunité n’est pas contraire aux intérêts de l’Union. »

5. En vertu de l’article 19 du protocole nº 7, ses articles 11 et 17 sont applicables aux membres de la Commission.

B. Le droit national

6. Selon la juridiction de renvoi, les dispositions du code de procédure civile hellénique relatives à l’étendue de la compétence des juridictions nationales et à l’immunité de juridiction de certaines catégories de personnes sont applicables au présent litige.

7. Plus précisément, conformément à l’article 3, paragraphe 2, du code de procédure civile, les étrangers jouissant d’une immunité de juridiction ne relèvent pas de la compétence hellénique, à l’exception des litiges relatifs aux droits réels immobiliers.

8. À son tour, l’article 24 du code de procédure civile prévoit que les citoyens grecs jouissant de l’immunité de juridiction, ainsi que les fonctionnaires affectés à des postes à l’étranger, sont soumis à la compétence des juridictions du lieu de leur résidence préalablement à cette mission ou, à défaut, à la compétence des juridictions situées dans la capitale de l’État.

III. Les faits, la procédure nationale et les questions préjudicielles

9. Le 1er novembre 2014, le requérant est entré au service de la Commission européenne en tant qu’agent temporaire recruté en vertu de l’article 2, sous c), du régime applicable aux autres agents de l’Union européenne (ci‑après le « RAA ») (2). Il avait été embauché en tant que chef de cabinet adjoint au service du défendeur, lequel avait été nommé commissaire.

10. En avril 2016, la direction générale des ressources humaines et de la sécurité de la Commission européenne a informé le requérant que sa relation de travail avec la Commission européenne prendrait fin après un préavis de trois mois, avec effet au 1er août 2016, au motif que le défendeur ne lui faisait plus confiance.

11. Estimant qu’on ne lui avait pas accordé le droit d’être entendu préalablement à l’adoption de la décision de résilier son contrat, le requérant a introduit une réclamation au titre de l’article 90 du statut des fonctionnaires contre cette décision. La réclamation a été rejetée le 29 novembre 2016.

12. Le 10 mars 2017, le requérant a attaqué la décision résiliant son contrat devant le Tribunal en invoquant une violation de son droit d’être entendu. Jugeant cette demande fondée, le Tribunal a annulé la décision attaquée par arrêt du 10 janvier 2019 (3).

13. À la suite du prononcé de cet arrêt, la Commission a donné au requérant la possibilité d’être entendu. Le 10 avril 2019, la Commission a adopté une nouvelle décision mettant fin au contrat d’agent temporaire du requérant. Le requérant a introduit une réclamation administrative contre cette décision, qui a été rejetée par décision du 14 août 2019 de la Commission.

14. Le 2 décembre 2019, le requérant a introduit un recours en annulation contre la nouvelle décision résiliant son contrat devant le Tribunal. Dans son arrêt du 13 janvier 2021, le Tribunal a rejeté le recours (4).

15. Parallèlement, le 13 septembre 2017, le requérant avait également engagé une procédure contre le défendeur devant le Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d’Athènes, Grèce).

16. Devant cette juridiction, le requérant a fait valoir que le défendeur avait formulé des propos diffamatoires concernant des insuffisances dans l’exercice de ses fonctions. Ce comportement lui aurait causé un préjudice tant matériel que moral. Le premier consisterait dans le salaire que la Commission européenne aurait normalement dû lui verser pour la période comprise entre le 1er novembre 2016 et le 31 octobre 2019, s’élevant au total à 452 299,32 euros, et le second, dans l’atteinte à sa réputation qui compromettrait sa future carrière au sein des institutions et organes de l’Union, et que le requérant a évalué à 600 000 euros. Sur cette base, le requérant a demandé à la juridiction nationale de rendre un jugement exécutoire par provision condamnant le défendeur à réparer le préjudice matériel et moral qui lui avait été causé, à retirer certaines allégations prétendument diffamatoires et à supporter les dépens.

17. La juridiction de renvoi relève que le recours a été formé contre un ancien commissaire, qui, bien qu’étant un ressortissant grec, jouit d’un privilège d’immunité de juridiction en vertu de l’article 343 TFUE et des articles 11, 17 et 19 du protocole nº 7. Dans une attestation datée du 22 décembre 2017 produite devant la juridiction de renvoi, la direction générale des ressources humaines de la sécurité de la Commission a déclaré que « … en sa qualité de membre de la Commission, [le défendeur] jouit de l’immunité de juridiction pour les actes accomplis par lui, y compris ses paroles et écrits, en sa qualité officielle, conformément aux articles 11 et 19 du [protocole nº 7]. L’immunité peut être levée par le collège des commissaires à la demande d’un juge national, à moins qu’une telle levée d’immunité soit contraire aux intérêts de l’Union ».

18. Dans ce contexte, éprouvant des doutes quant à l’interprétation qu’il convient de donner aux règles pertinentes de l’Union, le Polymeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance d’Athènes) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les termes “immunité de juridiction” et “immunité” tels qu’ils sont formulés à l’article 11 du [protocole nº 7] et au regard de la finalité à laquelle ils répondent, ont-ils le même sens ?

(2) L’immunité de juridiction/immunité prévue à l’article 11 du protocole nº 7 s’applique-t-elle, outre aux poursuites pénales, aux prétentions dirigées, dans le cadre d’une action de droit civil, contre un membre de la Commission par un tiers ayant subi un préjudice ?

(3) Une levée de l’immunité de juridiction du membre de la Commission dans le cadre d’une action de droit civil telle que celle en cause en l’espèce est-elle envisageable ? Dans l’affirmative, à qui appartient-il d’ouvrir la procédure de levée de l’immunité ?

(4) Les juridictions de l’Union sont-elles compétentes pour connaître d’une action en responsabilité délictuelle, comme celle en cause en l’espèce, dirigée contre un membre de la Commission ? »

19. Des observations écrites ont été présentées par le requérant, le défendeur et la Commission.

IV. Analyse

20. À mon avis, la question clé de cette affaire réside dans la quatrième question posée par la juridiction de renvoi : qui est le défendeur approprié et quel est le forum approprié lorsqu’un ancien membre du personnel d’une institution de l’Union invoque un préjudice prétendument causé par le comportement d’un ancien membre de cette institution. Je commencerai donc par cette question. J’examinerai ensuite les trois premières questions posées par la juridiction de renvoi, par simple souci d’exhaustivité puisque ma proposition de réponse à la quatrième question rend inutile une réponse aux autres questions.

A. Quatrième question

21. Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi...

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