Opinion of Advocate General Tanchev delivered on 20 May 2021.

JurisdictionEuropean Union
Date20 May 2021
CourtCourt of Justice (European Union)

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. EVGENI TANCHEV

présentées le 20 Mai 2021(1)

Affaires jointes C45/20 et C46/20

E

contre

Finanzamt N (C45/20)

et

Z

contre

Finanzamt G (C46/20)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne)]

« Demande de décision préjudicielle – Taxe sur la valeur ajoutée – Déduction de la taxe payée en amont – Directive 2006/112/CE du Conseil, telle que modifiée par la Directive 2009/162/CE du Conseil – Articles 167 et 168, sous a) – Installation d’un système d’énergie photovoltaïque – Installation d’un bureau dans un logement privé familial – Bien immeuble – Bien à usage mixte – Affectation au patrimoine d’une entreprise – Compatibilité avec le droit de l’Union européenne du délai de forclusion d’un État membre aux fins de l’affectation et présomption en faveur d’une affectation au patrimoine privé en l’absence de preuves contraires – Perte du droit à déduction de la taxe payée en amont »






1. Par les présentes demandes de décision préjudicielle, le Bundesfinanzhof [Cour fédérale des finances (Allemagne), ci‑après la « juridiction de renvoi »] demande des précisions quant à la jurisprudence de la Cour en matière d’affectation de biens d’investissement (2) et plus spécifiquement de biens immeubles (3), utilisés aussi bien dans le cadre d’une entreprise qu’à des fins privées (ci‑après les « biens à usage mixte »), au patrimoine privé d’un assujetti ou au patrimoine de l’entreprise d’un assujetti, ou à une combinaison des deux (ci‑après la « décision d’affectation »). Ces questions portent plus spécifiquement sur les conséquences de la décision d’affectation sur le droit à déduction de la taxe payée en amont, en vertu des articles 167 et 168, sous a), de la directive du Conseil 2006/112/CE du 28 Novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (4), telle que modifiée par la directive du Conseil 2009/162/CE du 22 Décembre 2009, modifiant diverses dispositions de la directive 2006/112/CE relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (5)(ci‑après la « directive TVA »).

2. Les questions préjudicielles portent sur la compatibilité avec le droit de l’Union, au regard notamment de la jurisprudence de la Cour dans l’arrêt du 25 juillet 2018, Gmina Ryjewo (6), du délai de forclusion prévu dans le droit allemand aux fins de la communication à l’administration fiscale allemande de la décision d’affectation, dont l’expiration a été interprétée, dans la jurisprudence de la juridiction de renvoi, comme entrainant la perte du droit de déduire la taxe payée en amont. Il semble que cette même conséquence découle, dans la jurisprudence de la juridiction de renvoi, de la présomption d’affectation des biens à usage mixte au patrimoine privé d’un assujetti, qui s’applique en l’absence d’éléments suffisants pour démontrer le contraire.

3. Je suis parvenu à la conclusion que dans les circonstances des procédures au principal, l’interprétation du droit de l’État membre dans la jurisprudence de la juridiction de renvoi selon laquelle un assujetti perd le droit de déduire la taxe payée en amont pour n’avoir pas communiqué une décision d’affectation relative à des biens à usage mixte dans le délai prévu à cet effet par la législation nationale, est incompatible avec les articles 167 et 168, sous a), de la directive TVA, en ce qu’elle n’est pas conforme aux principes de neutralité fiscale et de proportionnalité, dès lors qu’il n’est question, en aucun point du dossier, de soupçons d’évasion fiscale (7). La même conclusion vaut s’agissant de la présomption précitée d’affectation au patrimoine privé de l’assujetti lorsqu’elle a pour conséquence la perte du droit à déduction.

I. Cadre juridique

A. Droit de l’Union européenne

4. L’article 167 de la directive TVA dispose :

« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible ».

5. L’article 168, sous a), de la directive TVA est ainsi libellé :

« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :

a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ;

[…] »

6. L’article 168 bis, paragraphe 1, de la directive TVA, dispose : […]

« 1. Dans le cas d’un bien immeuble faisant partie du patrimoine de l’entreprise d’un assujetti et utilisé par l’assujetti à la fois aux fins des activités de l’entreprise et pour son usage privé ou celui de son personnel ou, plus généralement, à des fins autres que celles de son entreprise, la TVA sur les dépenses liées à ce bien ne doit être déductible, conformément aux principes énoncés aux articles 167, 168, 169 et 173, qu’à proportion de son utilisation aux fins des activités de l’entreprise de l’assujetti.

Par dérogation à l’article 26, les changements dans la proportion de l’utilisation d’un bien immobilier visé au premier alinéa sont pris en compte, dans le respect des principes énoncés aux articles 184 à 192, tels qu’ils sont appliqués dans l’État membre concerné ».

7. L’article 250, paragraphe 1, de la directive TVA, dispose :

« Tout assujetti doit déposer une déclaration de TVA dans laquelle figurent toutes les données nécessaires pour constater le montant de la taxe exigible et celui des déductions à opérer, y compris, et dans la mesure où cela est nécessaire pour la constatation de l’assiette, le montant global des opérations relatives à cette taxe et à ces déductions ainsi que le montant des opérations exonérées ».

B. Droit allemand

8. L’article 15, paragraphe 1, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur la valeur ajoutée, ci‑après l’« UStG »), dispose :

« L’entrepreneur peut déduire les montants suivants au titre de la taxe payée en amont :

1. la taxe légalement due au titre des livraisons et autres prestations exécutées par un autre entrepreneur pour les besoins de son entreprise […] ».

9. L’article 18, paragraphe 3, de l’UStG dispose :

« L’entrepreneur doit transmettre par voie électronique, dans la forme prescrite, pour l’année civile ou une période imposable plus courte, une déclaration fiscale dans laquelle il calcule lui‑même, conformément à l’article 16, paragraphes 1 à 4, et à l’article 17, la taxe à acquitter ou l’excédent qui résulte en sa faveur (déclaration fiscale). Dans les cas prévus à l’article 16, paragraphes 3 et 4, la déclaration fiscale doit être transmise dans le mois suivant l’expiration de la période imposable plus courte. Afin d’éviter toute contrainte excessive, le Finanzamt peut, sur demande, renoncer à la transmission électronique. Dans ce cas, l’entrepreneur est tenu de transmettre une déclaration fiscale dans la forme prescrite par l’administration et de la signer manuellement ».

10. L’article 149, paragraphe 2, de l’Abgabenordnung (ci‑après le « code fiscal »), dans sa version en vigueur au moment du litige (8), dispose :

« Sauf dispositions contraires des lois fiscales, les déclarations fiscales qui se rapportent à une année civile ou à un moment déterminé par la loi doivent être déposées au plus tard dans les cinq mois qui suivent […] ».

II. Les faits, les procédures et les questions déférées

A. C45/20, E/Finanzamt N (« Affaire E »).

11. Le requérant dans l’affaire E exploite une entreprise d’échafaudages. En 2014, il a mis en projet la construction d’une maison unifamiliale qui devait, conformément aux plans établis par un bureau d’architecte, datés du 29 juillet 2014, accueillir à son rez‑de‑chaussée une pièce de « bureau » d’une superficie de 16,57 m2. La maison, par ailleurs réservée à un usage privé, devait avoir une surface utile totale de 149,75 m2. Les factures relatives à la construction de la maison, bureau compris, ont été établies entre octobre 2014 et novembre 2014 (9).

12. Le requérant n’a pas fait valoir la déduction au prorata des taxes payées en amont relatives au bureau dans les déclarations provisoires (mensuelles) qu’il était tenu de déposer au titre des années 2014 et 2015 en vertu de l’article 18, paragraphe 2, deuxième phrase, de l’UStG, mais, pour la première fois, dans la déclaration annuelle de la TVA établie au titre de l’année 2015, conformément à l’article 18, paragraphe 3, première phrase, de l’UStG (10). Cette déclaration a été reçue le 28 septembre 2016 par le centre des impôts.

13. Le centre des impôts, par une décision du 5 avril 2017, a fixé la taxe sur le chiffre d’affaires de E pour 2015, sans admettre la déduction du montant de [X] euros, correspondant selon E à la taxe payée en amont afférente au bureau en question. Le centre des impôts a rejeté la réclamation en tant que non fondée par une décision du 17 janvier 2018. Le recours qui a été introduit contre cette réclamation a également été rejeté. Dans son arrêt du 19 mars 2018, la Sächsisches Finanzgericht (Cour des finances de Saxe) a indiqué que la déduction de la taxe payée en amont sollicitée n’était pas envisageable, car l’affectation du bien au patrimoine de l’entreprise n’était pas intervenue en temps utile, c’est‑à‑dire avant le 31 mai 2015 inclus.

14. Il est indiqué dans l’ordonnance de renvoi que conformément à la jurisprudence de la juridiction de renvoi, il résulte du principe de la déduction immédiate de la taxe acquittée en amont que la décision d’affectation doit être prise dès l’acquisition ou la production du bien (11). La jurisprudence de la juridiction de renvoi indique par ailleurs qu’à des fins pratiques, l’assujetti peut faire connaître cette décision d’affectation au moyen d’éléments en témoignant. Toutefois, d’après l’article 18, paragraphe 3, de l’UStG, cela doit intervenir au plus tard et avec effet définitif, dans une déclaration de la taxe sur le chiffre...

To continue reading

Request your trial

VLEX uses login cookies to provide you with a better browsing experience. If you click on 'Accept' or continue browsing this site we consider that you accept our cookie policy. ACCEPT