Symvoulio Apochetefseon Lefkosias v Anatheoritiki Archi Prosforon.
Jurisdiction | European Union |
Celex Number | 62008CC0570 |
ECLI | ECLI:EU:C:2010:301 |
Date | 01 June 2010 |
Court | Court of Justice (European Union) |
Procedure Type | Reference for a preliminary ruling |
Docket Number | C-570/08 |
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. PEDRO Cruz VillalÓn
présentées le 1er juin 2010 (1)
Affaire C‑570/08
Symvoulio Apochetefseon Lefkosias
contre
Anatheoritiki Archi Prosforon
[demande de décision préjudicielle introduite par l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias (Chypre)]
«Marchés publics de travaux et de fournitures – Procédures de recours en matière de passation des marchés – Interprétation de l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/9665/CEE – Droit du pouvoir adjudicateur de se pourvoir en justice contre les décisions prises par l’instance responsable des procédures de recours, qui ne soit pas de nature juridictionnelle»
I – Introduction
1. L’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias (Cour suprême de la République de Chypre), en qualité de juridiction de première instance (2), interroge la Cour sur la question de savoir s’il y a lieu d’inférer de l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665/CEE (3) que le pouvoir adjudicateur a le droit de se pourvoir en justice contre l’annulation de sa décision par l’instance administrative responsable du contrôle des procédures de recours.
II – Le cadre juridique
A – La directive 89/665
2. Selon l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 89/665 (4) :
«Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés publics relevant du champ d’application des directives 71/305/CEE et 77/62/CEE, les mesures nécessaires pour assurer que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles suivants, et notamment à l’article 2 paragraphe 7, au motif que ces décisions ont violé le droit communautaire en matière de marchés publics ou les règles nationales transposant ce droit»
3. L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665 dispose:
«Les États membres assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché public de fournitures ou de travaux déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée. En particulier, ils peuvent exiger que la personne qui souhaite utiliser une telle procédure ait préalablement informé le pouvoir adjudicateur de la violation alléguée et de son intention d’introduire un recours.»
4. Aux termes de l’article 2, paragraphe 8, de cette directive (5):
«Lorsque les instances responsables des procédures de recours ne sont pas de nature juridictionnelle, leurs décisions doivent toujours être motivées par écrit. En outre, dans ce cas, des dispositions doivent être prises pour garantir les procédures par lesquelles toute mesure présumée illégale prise par l’instance de base compétente ou tout manquement présumé dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel ou d’un recours auprès d’une autre instance qui soit une juridiction au sens de l’article 177 du traité et qui soit indépendante par rapport au pouvoir adjudicateur et à l’instance de base.
[…]»
B – Le droit chypriote
5. L’article 146, paragraphe 2, de la Constitution de la République de Chypre dispose que le recours à l’encontre des actes ou des omissions des organes administratifs est «ouvert à toute personne dont un intérêt légitime et actuel, qu’elle dispose personnellement ou en tant que membre d’une communauté, est lésé directement par la décision, l’acte ou l’abstention.»
6. La loi n° 101 (I)/2003 sur la passation des marchés publics de fournitures, de travaux et de services, dans le libellé que lui a donné la loi n° 181 (I)/2004, a été adoptée en vue d’harmoniser la législation chypriote au droit de l’Union, y compris la directive 89/665, l’article 55 ayant, à cet effet, établi l’Anatheoritiki Archi Prosforon (autorité de révision des offres, ci-après «autorité de révision»), et l’article 56 conférant à celle-ci la compétence de trancher les «recours hiérarchiques» formés contre les décisions des pouvoirs adjudicateurs. L’article 60 de cette loi, telle que modifiée par la loi n° 181 (I)/2004, dispose que «[s]i l’intéressé s’estime lésé par la décision prise par [l’autorité de révision], il peut saisir l’Anotato Dikastirio [tis Kypriakis Dimokratias] d’un recours au titre de l’article 146 de la Constitution. Ce recours est également ouvert au pouvoir adjudicateur s’il apparaît, sur la base d’éléments appropriés, que la décision de [l’autorité de révision] a été injuste vis-à-vis dudit pouvoir.»
7. Comme cela est précisé plus loin, l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias a formulé une appréciation à propos de cet article, laquelle est particulièrement importante dans cette affaire.
III – Les faits de la procédure nationale et la question préjudicielle
8. Au mois de juin 2003, le Symvoulio Apochetefseon Lefkosias (office d’assainissement des eaux usées de Nicosie, ci-après le «Symvoulio») (6), agissant en qualité de pouvoir adjudicateur, a publié un avis de marché ayant pour objet l’étude, la conception, l’exploitation pendant dix ans et la maintenance d’une usine de traitement des eaux usées d’Anthoupolis.
9. Parmi les soumissionnaires présélectionnés, figuraient les consortiums Degremont SA & Atlas Pantou Co. Ltd (ci-après «Degremont»), ainsi que WTE BAMAG.
10. Après le dépôt des offres correspondantes, le Symvoulio a communiqué à Degremont sa décision d’attribuer le marché au consortium WTE BAMAG.
11. Degremont a formé, le 7 octobre 2005, un recours contre cette décision auprès de l’autorité de révision, assorti d’une demande de mesure provisoire visant au sursis à l’exécution de la décision du Symvoulio, étant donné qu’une telle exécution impliquerait l’adjudication irréversible dudit marché. L’audience au cours de laquelle la question portant sur la mesure provisoire allait être tranchée fut fixée au 13 octobre 2005, mais, étant donné que la simple introduction d’une demande de mesure provisoire n’était pas suffisante (à l’époque des faits au principal) pour déclencher la suspension de l’exécution, le Symvoulio attribua effectivement le marché au consortium WTE BAMAG avant que l’autorité de révision ne se fût prononcée sur la question du sursis.
12. Le 14 février 2006, l’autorité de révision a statué sur le recours (au fond) en annulant la décision du Symvoulio (7).
13. L’entreprise WTE BAMAG n’a pas introduit de recours juridictionnel contre cette décision auprès de l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias. C’est ce qu’a fait, en revanche, le Symvoulio, par requête du 31 mars 2006 (8), en invoquant, afin de voir reconnue sa légitimation, l’article 146, paragraphe 2, de la Constitution et l’article 60 de la loi n° 101 (I)/2003 sur la passation des marchés publics.
14. Alors que ce recours était encore pendant, l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias a rendu, en formation plénière, l’arrêt du 10 décembre 2007, dans le cadre d’un autre recours (9), qui opposait les même parties. Dans cet arrêt, l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias a réfuté l’intérêt légitime du Symvoulio, en tant que pouvoir adjudicateur, à former un recours contre la décision d’annulation de l’autorité de révision, au motif, en substance, que, premièrement, cette décision relèverait d’une procédure complexe d’adjudication, deuxièmement, l’autorité de révision serait une seconde instance administrative (instance supérieure) par rapport au Symvoulio, une composante de l’administration ne pouvant avoir un intérêt légitime à l’encontre d’une autre, troisièmement, les pouvoirs adjudicateurs veillent à l’intérêt général mais ne possèdent pas d’intérêts particuliers et, quatrièmement, l’article 60 de la loi n° 101 (I)/2003 ne saurait conférer un droit de recours au pouvoir adjudicateur si un tel droit n’est pas reconnu à ce dernier par l’article 146, paragraphe 2, de la Constitution.
15. L’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias (dans la procédure n° 629/2006), en tant que juridiction de premier ressort, conscient de la jurisprudence dégagée par son assemblée plénière et puisque dans le cadre de cette jurisprudence un examen de la réglementation chypriote au regard de la directive 89/665 n’avait pas été effectué, a décidé de surseoir à statuer et s’est adressé, par le biais d’un renvoi préjudiciel, à la Cour dans ces termes:
«Dans quelle mesure l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665 […] reconnaît-il aux pouvoirs adjudicateurs le droit d’introduire un recours juridictionnel contre des décisions d’annulation prises par des instances responsables des procédures de recours, lorsque ces instances ne sont pas de nature juridictionnelle?»
IV – La procédure devant la Cour
16. La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 22 décembre 2008.
17. Le Symvoulio, le gouvernement tchèque et la Commission européenne demandent à la Cour de répondre affirmativement à la question déférée par l’Anotato Dikastirio tis Kypriakis Dimokratias, en ce sens que l’article 2, paragraphe 8, de la directive 89/665 reconnaît aux pouvoirs adjudicateurs le droit de se pourvoir en justice contre les décisions prises par les instances chargées des procédures de recours.
18. Selon l’autorité de révision, la directive 89/665 confère une protection aux entreprises et non aux pouvoirs adjudicateurs et il n’y donc pas lieu de reconnaître à ces derniers un intérêt individualisé leur permettant de se confronter, par la voie juridictionnelle, aux instances chargées de réviser leurs décisions.
19. Ont comparu à l’audience, qui s’est tenue le 25 mars 2010, et ont été entendus en leurs plaidoiries les représentants du Symvoulio, de l’autorité de révision et de la Commission.
V – Sur le fond
20. Le renvoi préjudiciel soulève la question, inédite dans la jurisprudence de la Cour, relative au fait de savoir si, sur le fondement de la...
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