The Queen v Secretary of State for Transport, ex parte: Factortame Ltd and others.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1990:216
Docket NumberC-213/89
Celex Number61989CC0213
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date17 May 1990
EUR-Lex - 61989C0213 - FR 61989C0213

Conclusions de l'avocat général Tesauro présentées le 17 mai 1990. - The Queen contre Secretary of State for Transport, ex parte: Factortame Ltd e.a. - Demande de décision préjudicielle: House of Lords - Royaume-Uni. - Droits découlant des dispositions communautaires - Protection par les juridictions nationales - Compétence des juridictions nationales pour ordonner des mesures provisoires en cas de renvoi préjudiciel. - Affaire C-213/89.

Recueil de jurisprudence 1990 page I-02433
édition spéciale suédoise page 00435
édition spéciale finnoise page 00453


Conclusions de l'avocat général

++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La réponse que la Cour est appelée à apporter à deux questions préjudicielles déférées par la House of Lords dans l' affaire Factortame sera assurément rangée parmi celles qui contribuent à définir le cadre des rapports entre le juge national et le droit communautaire . Et nous ajouterons : sur un point d' une importance certaine .

Les questions sont claires . En attendant que la Cour de justice se prononce sur l' interprétation préjudicielle d' une disposition communautaire ayant un effet direct, l' ordre juridique britannique n' autorise pas le juge à suspendre à titre provisoire l' application de la disposition interne prétendument contraire et, partant, à reconnaître provisoirement le droit du particulier, invoqué en vertu de la disposition communautaire mais nié par la disposition de droit interne : 1 ) le juge national doit-il ( ou peut-il ) se prononcer dans ce sens sur la base du droit communautaire? 2 ) en cas de réponse affirmative, à partir de quels critères?

2 . Le litige qui est à l' origine du renvoi préjudiciel voit un nombre important de sociétés opérant dans le secteur de la pêche, régies par le droit anglais mais représentant des intérêts espagnols, contester la légalité, au regard du droit communautaire, d' une loi britannique qui en 1988 a modifié - en les aggravant délibérément pour les intérêts étrangers ( également communautaires ) - les conditions d' immatriculation sur le registre des bateaux de pêche, notamment en ce qui concerne la nationalité et la résidence de la propriété effective . Invoquant certaines dispositions du traité ayant un effet direct, la société Factortame et quelques autres ont engagé une procédure d' "examen judiciaire" de la loi en question, en demandant qu' elle soit déclarée inapplicable à leur égard en ce qu' elle est contraire aux règles communautaires, que l' on interdise à l' administration de considérer comme caduque l' immatriculation des bateaux obtenue sur la base de l' ancienne loi et que l' on accorde des mesures provisoires en cas de renvoi de la décision définitive .

3 . Le juge du premier degré, la Divisional Court de la Queen' s Bench Division, a saisi la Cour de justice aux fins de l' interprétation des dispositions communautaires invoquées et, à titre de mesure provisoire, a enjoint à l' administration de ne pas appliquer la nouvelle loi aux demanderesses en attendant la décision définitive ou une nouvelle ordonnance accordant des mesures provisoires .

4 . Attaquée par l' administration, la mesure provisoire a été annulée par la Court of Appeal au motif que le juge anglais n' a pas le pouvoir de suspendre provisoirement l' application des lois ni d' imposer à l' administration une obligation de faire .

5 . Saisie du problème, la House of Lords, confirmant qu' en vertu du droit britannique il n' est pas permis au juge de suspendre l' application d' une loi approuvée par le parlement au motif de son incompatibilité - présumée mais non vérifiée - avec le droit communautaire, a déféré à la Cour de justice les questions préjudicielles précitées visant, en substance, à savoir si ce qui n' est pas permis par le droit anglais est imposé ou autorisé par le droit communautaire .

6 . A titre préliminaire, il y a lieu de préciser que le juge a quo reconnaît son pouvoir de faire prévaloir, sur la loi interne contraire, une disposition du traité ou du droit dérivé ayant des effets directs dans l' ordre juridique britannique, et ce lorsque la contradiction est immédiatement et aisément décelable soit parce que la disposition communautaire a déjà fait l' objet d' une interprétation par la Cour de justice, soit parce que cette disposition a un contenu suffisamment "clair ". Aussi, le problème s' est-il posé parce qu' il n' existait sur l' interprétation des dispositions communautaires entrant en principe en ligne de compte aucune certitude, mais plutôt de "sérieux arguments plaidant tant en faveur de l' existence des droits invoqués que contre celle-ci", si bien que le juge du premier degré en avait demandé l' interprétation à titre préjudiciel par la Cour de justice, question qui, quant à elle, fait l' objet d' une procédure différente et indépendante de la présente ( affaire 221/89 ). En outre, et pour compléter le tableau, rappelons qu' au sujet de la prétendue incompatibilité avec le droit communautaire de cette même loi britannique en cause, mais uniquement sous l' angle de la nationalité, la Commission a introduit contre le Royaume-Uni un recours au titre de l' article 169 en demandant également l' octroi d' une mesure provisoire de suspension de l' application de la loi . La Cour a déjà rendu une ordonnance faisant droit à cette demande et la loi a aussi été amendée in parte qua ( 1 ).

7 . Toujours à titre préliminaire, il nous paraît opportun d' observer que le problème s' est posé dans le contexte de la procédure particulière de l' "examen judiciaire" prévu par le système britannique, procédure que les intéressées ont engagée avant même que la nouvelle loi sur le registre d' immatriculation des bateaux n' entre en vigueur . A cet égard, tant le juge a quo dans l' ordonnance de renvoi que le gouvernement britannique dans ses observations écrites ont souligné que, si la question du conflit avec le droit communautaire avait surgi au cours d' une procédure pénale ou administrative ouverte à l' encontre des mêmes intéressées pour violation de la loi sur le registre d' immatriculation des bateaux, le juge aurait, en effet, pu suspendre la procédure ( voire l' éventuelle mesure de confiscation des bateaux ) en attendant l' issue du renvoi préjudiciel devant la Cour aux fins de l' interprétation des dispositions communautaires pertinentes . Les conséquences de la décision de la Cour, favorables ou défavorables au regard de la demande des intéressées, seraient ensuite répercutées rétroactivement sur ces dernières . Le juge a quo en conclut que dans ce cas "les poursuites ou la confiscation seraient non pas mises en échec, mais uniquement suspendues" ( p . 9 de l' ordonnance de renvoi ).

Il n' apparaît pas tout à fait clairement dans quelle perspective a été précisée la différence entre la situation de l' espèce ( procédure d' examen judiciaire ) et celle que l' on aurait pu rencontrer dans une procédure normale de type répressif ou autre que l' on aurait ouverte à la suite de la violation de la loi . Il est vrai que, pour ce qui nous intéresse ici, la différence ne nous paraît pas revêtir une grande importance . La simple suspension d' une procédure en raison du renvoi devant la Cour de justice au titre de l' article 177 du traité ne constitue pas une mesure provisoire et ne satisfait à aucune exigence de la protection provisoire des droits invoqués . Au contraire, elle pose sans doute en termes plus graves le même problème que celui que soulève l' exigence de la protection provisoire : celui de savoir si, suspendue, la procédure est précisément "mise en échec" par le retard de la décision définitive .

La question de la House of Lords revêt donc de l' importance, de la même manière et dans les mêmes termes, au regard de l' une comme de l' autre des situations procédurales signalées à la Cour . Il n' en serait autrement que si, quelle que soit la procédure, il était permis au juge, en cas de suspension avec renvoi devant la Cour au titre de l' article 177, d' ordonner également des mesures provisoires du type de celles que sollicitent les demanderesses en l' espèce et s' il avait donc le pouvoir d' autoriser, à titre provisoire, l' immatriculation des bateaux sur la base de l' ancienne loi en attendant la décision définitive, ce qui est évidemment exclu, comme cela est clairement apparu également à l' audience, tant dans la procédure d' examen judiciaire que dans toute autre procédure .

8 . En revanche, nous attachons de l' importance à la circonstance, relevée par le juge a quo, que dans une situation comme celle qui nous occupe, c' est-à-dire en l' absence d' octroi de mesures provisoires, le préjudice économique subi par les demanderesses durant la procédure ne pourrait jamais non plus être réparé, dès lors qu' une jurisprudence nationale constante s' y oppose ( ordonnance, p . 6 ). Il s' ensuit que, même dans l' hypothèse d' une décision d' interprétation de la Cour allant dans le sens de la thèse des demanderesses au principal, le jugement prononcé ensuite par le juge national ne pourrait pas compenser le préjudice subi et la procédure pourrait apparaître comme étant, en tout cas, "mise en échec ".

Cela ne veut pas dire que la réparation du préjudice patrimonial revêt une importance décisive et constitue une véritable solution de rechange par rapport à la protection provisoire, étant donné que même si elle était prévue elle ne suffirait pas à elle seule à répondre toujours et en tout état de cause à l' exigence de protection provisoire, exigence qui procède précisément de l' insuffisance de la réparation en argent par rapport à l' "utilité" du futur jugement ( 2 ). Plus précisément, l' exclusion de la réparation rend par hypothèse irréparable le préjudice patrimonial subi durant la procédure .

9 . Le juge anglais a spécifiquement déterminé les principes de droit communautaire dont l'...

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