Ministero dell'Industria, del Commercio e dell'Artigianato v Lucchini SpA.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:576
Date14 September 2006
Celex Number62005CC0119
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-119/05

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. L. A. Geelhoed

présentées le 14 septembre 2006 (1)

Affaire C-119/05

Ministero dell’Industria, del Commercio et dell’Artigianato

contre

Lucchini Siderurgica SpA

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato, siégeant en matière juridictionnelle (sixième chambre) (Italie)]

«CECA – Récupération d’une aide déclarée incompatible avec le marché commun et avec la décision n° 3484/85/CECA de la Commission, du 27 novembre 1985, instituant des règles communautaires pour les aides à la sidérurgie – Obligation pour l’État de rembourser l’aide nonobstant l’arrêt passé en force de chose jugée par lequel une juridiction civile a conclu en sens contraire»





I – Introduction

1. Il s’agit d’une affaire où la question de l’intangibilité de l’autorité de la chose jugée joue à nouveau un rôle crucial. La décision ayant acquis force de chose jugée qui est en cause ici a été rendue par une juridiction civile italienne, laquelle a jugé que le droit national obligeait l’État italien à verser une aide d’État accordée sous certaines conditions, en dépit d’une décision antérieure de la Commission par laquelle celle-ci a déclaré l’aide incompatible avec le marché commun. Dans le cadre de la procédure qui a été engagée par la suite en vue du recouvrement de l’aide versée en violation du droit communautaire, le bénéficiaire de l’aide oppose aux autorités italiennes la force de la chose jugée dont est revêtu l’arrêt de la juridiction italienne. La question principale est, en substance, si une décision juridictionnelle nationale peut entraver l’exercice de la compétence exclusive de la Commission d’apprécier la compatibilité d’une aide d’État avec le droit communautaire et, si nécessaire, d’ordonner le recouvrement d’une aide illégalement versée.

II – Dispositions pertinentes

A – Droit communautaire

2. L’article 4, sous c), CA interdit aux États membres d’accorder des subventions ou aides dans les secteurs du charbon et de l’acier, sous quelque forme que ce soit.

3. Dès 1980, face à la crise aiguë que traversait le secteur de l’acier en Europe, une série de mesures exceptionnelles ont été prises, dérogeant à cette interdiction absolue. Ces mesures sont fondées sur l’article 95, premier et deuxième alinéas, CA.

4. La décision n° 2320/81/CECA (2), telle que modifiée par la décision n° 1018/85/CECA (3), (ci‑après le «deuxième code des aides»), a été d’application à partir du second semestre de l’année 1981 jusqu’à la fin de l’année 1985. Le code visait à permettre l’octroi d’aides destinées à redresser le secteur et à ramener la capacité de production au niveau de la demande. Les aides devaient être temporaires et préalablement approuvées. Le code prévoyait une procédure d’approbation.

5. En vertu de l’article 8, paragraphe 1, du deuxième code des aides:

«La Commission est informée en temps utile pour présenter ses observations des projets tendant à instituer ou à modifier des aides […]. […] L’État membre intéressé ne peut mettre en œuvre les mesures projetées qu’avec l’approbation de la Commission en se conformant aux conditions fixées par elle.»

6. À partir du 1er janvier 1986, ce code a été remplacé par le troisième code des aides, institué par la décision n° 3484/85/CECA (4) et applicable du 1er janvier 1986 au 31 décembre 1988 inclus. Ce code permettait de déroger à l’interdiction des aides dans ce secteur dans une mesure plus limitée. En vertu de l’article 3 dudit troisième code, des aides pouvaient être accordées en faveur de l’adaptation d’installations à de nouvelles normes légales en matière de protection de l’environnement. Le montant de ces aides ne pouvait pas dépasser 15 % en équivalent subvention net des dépenses d’investissement directement liées à la mesure visée de protection de l’environnement.

7. L’article 1er, paragraphe 3, du troisième code des aides précisait que les aides ne pouvaient être mises à exécution que conformément aux procédures de l’article 6 et ne pouvaient donner lieu à aucun paiement postérieur au 31 décembre 1988.

8. L’article 6, paragraphes 1, 2 et 4, du troisième code des aides, était rédigé dans les termes suivants:

«1. La Commission est informée en temps utile pour présenter ses observations au sujet des projets tendant à instituer ou à modifier des aides […]. Elle est informée dans les mêmes conditions des projets tendant à appliquer au secteur sidérurgique des régimes d’aides à l’égard desquels elle s’est déjà prononcée sur la base des dispositions du traité CEE. Les notifications des projets d’aides visés au présent article doivent être faites au plus tard le 30 juin 1988 auprès de la Commission.

2. La Commission est informée en temps utile pour présenter ses observations et, au plus tard le 30 juin 1988, de tout projet d’interventions financières (prises de participations, dotations en capital ou mesures similaires) des États membres, des collectivités territoriales ou des organismes utilisant à cette fin des ressources d’État au bénéfice d’entreprises sidérurgiques.

La Commission détermine si ces interventions contiennent des éléments d’aides aux termes de l’article 1er paragraphe 2 et apprécie, le cas échéant, leur compatibilité avec les dispositions des articles 2 à 5.

[…]

4. Si, après avoir mis les intéressés en demeure de présenter leurs observations, la Commission constate qu’une aide n’est pas compatible avec les dispositions de la présente décision, elle informe l’État membre intéressé de sa décision. La Commission prend une telle décision au plus tard trois mois après réception des informations nécessaires pour lui permettre d’apprécier l’aide en cause. Les dispositions de l’article 88 du traité CECA s’appliquent au cas où un État membre ne se conforme pas à ladite décision. L’État membre intéressé ne peut mettre en oeuvre les mesures projetées visées aux paragraphes 1 et 2 qu’avec l’approbation de la Commission en se conformant aux conditions fixées par elle.»

9. Le troisième code des aides a été remplacé, en vertu de la décision n° 322/89/CECA (5), par le quatrième code des aides. Ce quatrième code a été appliqué à partir du 1er janvier 1989 jusqu’au 31 décembre 1991 inclus. Son article 3 est identique à l’article 3 du troisième code des aides.

10. Depuis que le traité CECA a expiré, le 23 juillet 2002, c’est le régime des aides d’État du traité CE qui est devenu applicable aux aides dans le secteur de la sidérurgie.

B – Droit national

11. La loi n° 183, du 2 mai 1976 (ci-après la «loi n° 183/1976») (6), prévoit la possibilité d’accorder une aide financière directe, ainsi que des bonifications d’intérêts, à concurrence de 30 % du montant des investissements, pour la réalisation de projets industriels dans le Mezzogiorno.

12. L’article 2909 du code civil italien (codice civile) comporte une règle selon laquelle nul ne peut invoquer des moyens sur lesquels il a été statué par une décision ayant force de chose jugée, ce qui exclut, sur le plan procédural, toute possibilité de saisir la justice de litiges sur lesquels une autre juridiction a déjà statué à titre définitif. Selon la juridiction de renvoi, ce principe s’applique non seulement aux moyens qui ont été invoqués au cours de la procédure antérieure, mais également à ceux qui auraient pu l’être.

III – Cadre factuel et procédural – questions préjudicielles

Faits/Chronologie

13. Les faits, tels qu’ils ressortent du dossier, peuvent être résumés comme suit (dans l’ordre chronologique):

– Le 6 novembre 1985, l’auteur de Lucchini Siderurgica a présenté une demande d’aide au titre de la loi n° 183/1976. Pour un investissement global de 2 550 millions de ITL en vue de la modernisation de certaines installations, Lucchini Siderurgica a demandé à bénéficier d’un prêt de 1 021 millions de ITL en considération d’une bonification d’intérêts sur le financement et d’une subvention étatique de 765 millions de ITL (soit 30 % des dépenses d’investissement).

– L’institut de crédit chargé d’examiner la demande en ce qui concerne le financement a, par décision du 11 juin 1986, accordé un prêt de 1 021 millions de ITL pour une durée de 10 ans à un taux d’intérêt bonifié de 4,25 %.

– Le 20 avril 1988, les autorités italiennes compétentes ont notifié à la Commission, conformément à l’article 6, paragraphe 1, du troisième code, un projet d’aide en faveur de Lucchini Siderurgica. Selon la notification, cette aide avait pour objet un investissement de 2 550 millions de ITL destiné à l’amélioration de l’environnement, pour lequel devait être accordé un prêt bénéficiant d’une bonification d’intérêts (d’une valeur de 367 millions de ITL), ainsi que d’une subvention (de 765 millions de ITL).

– Par lettre du 22 juin 1988, la Commission a demandé des informations complémentaires, en ce qui concerne la nature de l’investissement bénéficiant de ces aides, ainsi que les conditions précises (taux et durée) du prêt demandé. Cette lettre demandait, en outre, aux autorités italiennes d’indiquer si les aides étaient accordées en application d’un régime général en faveur de la protection de l’environnement, afin de permettre aux installations de s’adapter à de nouvelles normes en la matière, en décrivant les normes en question. Les autorités italiennes n’ont pas répondu à cette lettre.

– Le 16 novembre 1988, l’AGENSUD, devenue entre-temps l’autorité compétente, a, par sa décision n° 7372, décidé, compte tenu de l’expiration prochaine du délai fixé par le troisième code des aides (soit le 31 décembre 1988), d’accorder à titre provisoire à Lucchini Siderurgica un capital de 382 500 000 de ITL, soit 15 % du montant des investissements (au lieu des 30 % prévus par la loi n° 183/1976), à payer avant le 31 décembre 1988, conformément au troisième code. La bonification d’intérêts a, en revanche, été refusée car elle aurait porté le montant global des aides accordées au-delà de la limite de 15 % prévue par ledit code. En conformité avec l’article 6 du...

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