Mesopotamia Broadcast A/S METV (C-244/10) and Roj TV A/S (C-245/10) v Bundesrepublik Deutschland.
Jurisdiction | European Union |
Date | 05 May 2011 |
Court | Court of Justice (European Union) |
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. YVES Bot
présentées le 5 mai 2011 (1)
Affaires jointes C‑244/10 et C‑245/10
Mesopotamia Broadcast A/S METV et Roj TV A/S
contre
Bundesrepublik Deutschland
[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne)]
«Coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à l’exercice d’activités de radiodiffusion télévisuelle – Possibilité pour un État membre d’interdire sur son territoire l’activité d’un organisme de radiodiffusion télévisuelle établi dans un autre État membre au motif d’une atteinte à l’entente entre les peuples»
1. Dans les présentes affaires, la Cour est invitée à se prononcer sur la portée de la condition, prévue à l’article 22 bis de la directive 89/552/CEE du Conseil (2), selon laquelle les émissions de télévision diffusées à partir d’un État membre ne doivent contenir aucune incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité.
2. Le Bundesverwaltungsgericht (Allemagne) cherche à savoir si cette condition doit être interprétée en ce sens qu’elle recouvre l’exigence prévue dans son droit interne, selon laquelle une émission de télévision ne doit pas porter atteinte à l’entente entre les peuples.
3. L’enjeu de cette interrogation tient à la circonstance que, en application du système prévu par la directive, un État membre ne peut pas entraver la retransmission d’une émission télévisée en provenance d’un autre État membre pour un motif qui relève des domaines coordonnés par la directive, sauf dans les conditions exceptionnelles prévues par celle-ci, après avoir notifié à la Commission européenne les mesures qu’il envisage de prendre.
4. Ladite interrogation a pour origine l’interdiction de la diffusion en Allemagne d’émissions diffusées par une chaîne de télévision danoise, fondée sur le motif selon lequel ces émissions faisaient l’apologie du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et portaient ainsi atteinte à l’entente entre les peuples au sens de la loi allemande, alors que les autorités danoises compétentes avaient estimé que lesdites émissions n’enfreignaient pas l’article 22 bis de la directive.
5. Dans les présentes conclusions, nous exposerons les motifs pour lesquels l’interdiction de toute incitation à la haine pour des raisons de race et de nationalité énoncée à l’article 22 bis de la directive doit être comprise, d’un point de vue sémantique, en ce sens qu’elle prohibe également des émissions qui, en faisant l’apologie d’un groupe qualifié de «terroriste» par l’Union européenne, sont susceptibles de créer des réactions d’animosité ou de rejet entre des communautés d’origine ethnique ou culturelle différente.
6. Nous indiquerons également que cette interprétation est la plus conforme à l’objectif de la directive d’assurer la liberté de diffusion des émissions télévisées en supprimant les entraves résultant des disparités des législations nationales dans le domaine de la protection de l’ordre public en ce qui concerne les émissions à caractère discriminatoire.
I – Le cadre juridique
A – La directive
7. La directive part du constat que les disparités existant dans les législations des États membres en ce qui concerne l’exercice des activités de radiodiffusion télévisuelle sont susceptibles d’entraver la libre circulation des émissions dans la Communauté européenne et que ces entraves, en vertu du traité CE, doivent être supprimées (3). Elle vise ainsi à réaliser l’harmonisation nécessaire et suffisante pour assurer cette libre circulation (4).
8. En outre, la liberté de circulation des services de radiodiffusion télévisuelle, selon le huitième considérant de la directive, constitue une manifestation spécifique, en droit communautaire, de l’article 10, paragraphe 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la «CEDH») (5).
9. La directive repose sur le «principe de l’État membre d’origine», qui est une autre expression du principe de reconnaissance mutuelle, selon lequel, aux termes de son douzième considérant, il est nécessaire et suffisant que toutes les émissions respectent la législation de l’État membre dont elles émanent.
10. Les quatorzième et quinzième considérants de la directive précisent:
«considérant qu’il est nécessaire, dans le cadre du marché commun, que toutes les émissions émanant de la Communauté et destinées à être captées à l’intérieur de celle-ci, et notamment les émissions destinées à un autre État membre, respectent la législation de l’État membre d’origine applicable aux émissions destinées au public dans cet État membre, ainsi que les dispositions de la présente directive;
considérant que l’obligation de l’État membre d’origine de s’assurer que des émissions sont conformes à la législation nationale telle que coordonnée par la présente directive est suffisante, au regard du droit communautaire, pour garantir la libre circulation des émissions sans qu’un second contrôle pour les mêmes motifs soit nécessaire dans les États membres de réception; que, toutefois, l’État membre de réception peut, à titre exceptionnel et dans des conditions déterminées, suspendre provisoirement la retransmission d’émissions télévisées».
11. Les intentions du législateur communautaire exprimées dans ces considérants sont mises en œuvre de la manière suivante dans les dispositions normatives de la directive.
12. Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la directive, chaque État membre veille à ce que toutes les émissions de radiodiffusion télévisuelle transmises par des organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de sa compétence respectent les règles du droit applicable aux émissions destinées au public dans cet État membre.
13. Un organisme de radiodiffusion télévisuelle est défini à l’article 1er, sous b), de la directive comme la personne physique ou morale qui a la responsabilité éditoriale de la composition des grilles de programmes télévisés au sens du point a) dudit article et qui les transmet ou les fait transmettre par une tierce partie.
14. En vertu de l’article 2, paragraphes 2 et 3, de la directive, relèvent de la compétence d’un État membre les organismes de radiodiffusion télévisuelle qui sont établis dans ce même État membre, c’est-à-dire qui ont leur siège social effectif dans cet État membre et dont les décisions de la direction relatives à la programmation sont prises dans ledit État membre.
15. Aux termes de l’article 3, paragraphe 2, de la directive, les États membres veillent, par les moyens appropriés, dans le cadre de leur législation, au respect effectif par les organismes de radiodiffusion télévisuelle relevant de leur compétence des dispositions de ladite directive.
16. L’article 2 bis de la directive est rédigé ainsi:
«1. Les États membres assurent la liberté de réception et n’entravent pas la retransmission sur leur territoire d’émissions télévisées en provenance d’autres États membres pour des raisons qui relèvent des domaines coordonnés par la présente directive.
2. Les États membres peuvent déroger provisoirement au paragraphe 1 si les conditions suivantes sont remplies:
a) une émission télévisée en provenance d’un autre État membre enfreint d’une manière manifeste, sérieuse et grave l’article 22 paragraphes 1 ou 2 et/ou l’article 22 bis;
b) au cours des douze mois précédents, l’organisme de radiodiffusion télévisuelle a déjà enfreint, deux fois au moins, les dispositions visées au point a);
c) l’État membre concerné a notifié par écrit à l’organisme de radiodiffusion télévisuelle et à la Commission les violations alléguées et les mesures qu’il a l’intention de prendre au cas où une telle violation surviendrait de nouveau;
d) les consultations avec l’État membre de transmission et la Commission n’ont pas abouti à un règlement amiable dans un délai de quinze jours à compter de la notification prévue au point c), et la violation alléguée persiste.
La Commission statue, dans un délai de deux mois à compter de la notification des mesures prises par l’État membre, sur la compatibilité de ces dernières avec le droit communautaire. En cas de décision négative, il sera demandé à l’État membre de mettre fin d’urgence aux mesures en question.
3. Le paragraphe 2 ne s’oppose pas à l’application de toute procédure, voie de droit ou sanction contre les violations en cause dans l’État membre de la compétence duquel relève l’organisme de radiodiffusion télévisuelle concerné.»
17. Les articles 22 et 22 bis de la directive font partie du chapitre V de celle-ci, intitulé «Protection des mineurs et ordre public». Ils disposent:
«Article 22
1. Les États membres prennent les mesures appropriées pour que les émissions des organismes de radiodiffusion télévisuelle qui relèvent de leur compétence ne comportent aucun programme susceptible de nuire gravement à l’épanouissement physique, mental ou moral des mineurs, notamment des programmes comprenant des scènes de pornographie ou de violence gratuite.
[…]
Article 22 bis
Les États membres veillent à ce que les émissions ne contiennent aucune incitation à la haine pour des raisons de race, de sexe, de religion ou de nationalité.»
B – Le droit national
18. La loi sur les associations (Gesetz zur Regelung des öffentlichen Vereinsrechts), du 5 août 1964 (6), prévoit, à son article 3, qu’une association peut être considérée comme interdite lorsque les autorités compétentes ont déterminé par arrêté que ses buts ou son activité enfreignent les lois pénales ou qu’elle heurte l’ordre constitutionnel ou l’idée de l’entente entre les peuples.
19. L’article 18 du Vereinsgesetz dispose, en ce qui concerne l’interdiction d’associations ayant leur siège à l’étranger:
«Les interdictions frappant des associations qui ont leur siège en dehors du champ d’application géographique de la présente...
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