Carmela Carratù v Poste Italiane SpA.
Jurisdiction | European Union |
Court | Court of Justice (European Union) |
Date | 26 September 2013 |
CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. NILS WAHL
présentées le 26 septembre 2013 ( 1 )
Affaire C‑361/12
Carmela Carratù
contre
Poste Italiane SpA
[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale di Napoli (Italie)]
«Politique sociale — Directive 1999/70/CE — Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée — Clause 4 — Notion de conditions d’emploi — Indemnisation en cas d’apposition illégale d’une clause de durée déterminée dans un contrat de travail — Égalité de traitement — Notion d’‘émanation de l’État’»
1. |
Le Tribunale di Napoli (Italie) saisit la Cour de sept questions relatives à la compatibilité du droit italien avec plusieurs principes généraux du droit de l’Union européenne (ci-après l’«UE»), tel le principe de l’égalité des armes, ainsi qu’avec des règles particulières applicables aux contrats de travail à durée déterminée, telle l’interdiction de discrimination, qui reflètent dans des termes spécifiques pour ce type de contrats le principe de non-discrimination qui est un principe général de droit de l’UE. |
2. |
Ce n’est pas la première fois – et ce ne sera pas la dernière – que des litiges concernant à la fois Poste Italiane SpA (ci-après «Poste Italiane») et la directive 1999/70/CE ( 2 ) aboutissent devant la Cour ( 3 ). Les juridictions ont été saisies d’un grand nombre d’affaires contre Poste Italiane ( 4 ). Des actions similaires, concernant entre autres l’interprétation de la directive 1999/70, ont également été intentées contre des ministères et des autorités locales de la République italienne ( 5 ). |
3. |
La juridiction de renvoi a déjà jugé que c’est illégalement que Poste Italiane a employé la requérante au principal, Mme Carmela Carratù, dans les liens d’un contrat à durée déterminée. Elle sollicite maintenant des orientations de la Cour quant au montant de l’indemnisation qui est due. À cet égard, elle demande si le principe de non-discrimination, tel qu’il figure à la directive 1999/70, suppose que cette indemnisation soit due jusqu’au jour où la juridiction de renvoi rend sa décision finale ( 6 ). |
4. |
Pour les raisons exposées ci-dessous, je ne considère pas que, dans ces circonstances, la conclusion illégale d’un contrat à durée déterminée soit comparable à un licenciement illégal dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée. En conséquence, la situation en cause dans l’affaire au principal ne peut s’interpréter comme un cas de discrimination. |
I – Le cadre juridique
A – La législation de l’Union
5. |
La directive 1999/70 a introduit dans le droit de l’UE l’accord‑cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée ( 7 ) (ci-après l’«accord-cadre»). L’accord-cadre lui-même figure en annexe de la directive 1999/70. |
6. |
Selon le principe de non-discrimination, établi à la clause 4 de l’accord-cadre:
[…]» |
B – La législation italienne
1. La loi no 604/1966
7. |
La loi no 604, du 15 juillet 1966 ( 8 ) (ci-après la «loi no 604/1966»), établit des règles générales s’appliquant aux licenciements non collectifs. L’article 8 de cette loi dispose, en substance, que, en cas de licenciement illégal, l’employeur doit réintégrer le travailleur dans les trois jours, faute de quoi il doit lui verser une indemnité dont le montant est fixé en fonction du nombre de travailleurs, de la taille de l’entreprise et de l’ancienneté du travailleur concerné; le montant de l’indemnisation pouvant aller, en équivalence, de 2,5 à 6 mois de rémunération. Le montant supérieur de cette fourchette d’indemnisation peut monter jusqu’à 10 mois de rémunération si l’ancienneté du travailleur excède 10 ans et jusqu’à 14 mois de rémunération si elle excède 20 ans et que l’entreprise compte plus de 15 travailleurs. |
2. La loi no 300/1970
8. |
La loi no 300, du 20 mai 1970 ( 9 ) (ci-après la «loi no 300/1970»), établit des règles protégeant la liberté et la dignité des travailleurs, la liberté d’association et d’activité syndicale sur le lieu de travail, ainsi que des règles en matière d’emploi. |
9. |
L’article 18 de la loi no 300/1970, précédemment intitulé «Réintégration dans l’emploi», prévoit des dispositions spécifiques à appliquer en cas de licenciement illégal ainsi que des règles de calcul de l’éventuelle indemnité due à ce titre. Au moment des faits, la loi no 300/1970 prévoyait que, si l’entreprise employait plus de quinze travailleurs (ou cinq travailleurs dans le cas des entreprises agricoles), l’employeur devait réintégrer le travailleur licencié si le licenciement était illégal au sens de la loi no 604/1966. En cas de réintégration, l’indemnité due au travailleur était équivalente à la rémunération globale (y compris le paiement des cotisations de sécurité sociale) depuis le jour du licenciement jusqu’à celui de la réintégration effective, sans pouvoir être inférieure à cinq mois de rémunération globale. Enfin, sans préjudice du droit à l’indemnité pour la période intermédiaire, le travailleur pouvait renoncer au droit à réintégration en échange d’une indemnité supplémentaire correspondant à quinze mois de rémunération globale. |
3. Le décret législatif no 368/2001
10. |
Le décret législatif no 368, du 6 septembre 2001 ( 10 ) (ci-après le «décret législatif no 368/2001»), a transposé la directive 1999/70 en Italie. |
11. |
En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, du décret législatif no 368/2001, un contrat de travail peut comporter un terme pour des raisons de caractère technique, ou des raisons tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement d’un travailleur en particulier. Toutefois, en vertu de l’article 1er, paragraphe 2, l’indication d’une date de fin de contrat est sans effet si elle ne résulte pas directement ou indirectement d’un acte écrit précisant les raisons invoquées en l’espèce, raisons qui doivent relever des catégories indiquées au paragraphe 1. Enfin, l’article 1er, paragraphe 3, dispose que l’employeur doit remettre au travailleur une copie de l’acte écrit dans un délai de cinq jours ouvrables à compter du début de la prestation. |
4. La loi no 183/2010
12. |
La loi no 183, du 4 novembre 2010 ( 11 ) (ci-après la «loi no 183/2010»), délègue certains pouvoirs au gouvernement italien en matière de droit du travail et remplace diverses dispositions antérieures. L’article 32 de cette loi institue des forclusions et dispositions en matière de relations de travail à durée déterminée. |
13. |
L’article 32, paragraphe 1, de cette loi, qui a remplacé l’article 6, paragraphes 1 et 2, de la loi no 604/1966, dispose que, en cas de licenciement, toute contestation doit être présentée, sous peine de forclusion, dans un délai de 60 jours à compter de la date de réception de la communication du licenciement par écrit (ou de la communication par écrit de ses motifs si elle a lieu plus tard). En outre, la contestation, pouvant prendre la forme de tout acte écrit indiquant la volonté du travailleur, doit être suivie, dans les 270 jours, du dépôt d’une requête au greffe du tribunal siégeant en qualité de juge du travail. |
14. |
L’article 32, paragraphe 2, de cette loi étend le champ d’application de l’article 32, paragraphe 1, à tous les cas de licenciement illégal. En outre, en vertu de l’article 32, paragraphe 3, de cette loi, l’article 32, paragraphe 1, s’applique aussi, entre autres, à l’action en nullité d’une clause de durée déterminée insérée dans un contrat de travail, en vertu de l’article 1er du décret législatif no 368/2001. De plus, il est précisé que le délai de 270 jours commence à courir à l’échéance du contrat. |
15. |
Au moment où l’ordonnance de renvoi a été rendue, l’article 32, paragraphe 5, de la loi no 183/2010 disposait notamment que, en cas de conversion d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, l’employeur devait payer au travailleur une indemnité, fixée selon le critère prévu à l’article 8 de la loi no 604/1966, comprise entre 2,5 et 12 mensualités de rémunération. En outre, en vertu de l’article 32, paragraphe 7, de la loi no 183/2010, cette dernière disposition s’applique à tous les litiges, y compris les litiges en cours à la date de son entrée en vigueur. Pour ce qui concerne ces derniers litiges, toutefois, le juge fixe si nécessaire un délai aux parties pour compléter leurs pièces de procédure. |
II – Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles
16. |
Mme Carratù a été engagée par Poste Italiane pour travailler au centre de mécanisation postale de Naples. En vertu du contrat, son emploi devait durer du 4 juin au 15 septembre 2004. Elle n’a reçu la copie du contrat signé par les deux parties que le 15 juin 2004. |
17. |
La durée déterminée de son contrat avait été justifiée, en vertu de l’article 1er du décret législatif no 368/2001, par des raisons de remplacement et, plus précisément, par la nécessité spécifique de pourvoir au remplacement d’un membre du... |
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