Federico Cipolla v Rosaria Fazari, née Portolese (C-94/04) and Stefano Macrino and Claudia Capoparte v Roberto Meloni (C-202/04).

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2006:76
Docket NumberC-202/04,C-94/04
Celex Number62004CC0094
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date01 February 2006

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. M. Poiares Maduro

présentées le 1er février 2006 (1)

Affaire C-94/04

Federico Cipolla

contre

Rosaria Portolese, épouse Fazari

[demande de décision préjudicielle introduite par la Corte d’appello di Torino (Italie)]

Affaire C-202/04

Stefano Macrino,

Claudia Capodarte

contre

Roberto Meloni

[demande de décision préjudicielle introduite par le Tribunale di Roma (Italie)]

«Article 81 CE – Mesures étatiques – Régimes nationaux relatifs aux honoraires d’avocat – Fixation de tarifs professionnels – Libre prestation des services»





1. Dans l’affaire Arduino (2), la Cour a examiné la réglementation italienne en matière de fixation des honoraires d’avocat au regard des articles 10 CE et 81 CE. Dans le prolongement de cet arrêt, deux juridictions italiennes interrogent la Cour sur la conformité de cette réglementation avec les règles de concurrence et avec le principe de libre prestation des services.

I – Les faits, le cadre juridique et les questions préjudicielles

2. Dans l’affaire C‑94/04, la Corte d’appello di Torino (Italie) a, dans le cadre d’un litige opposant Me Cipolla, avocat, à l’un de ses clients, Mme Portolese, au sujet du règlement des honoraires de celui‑ci, interrogé la Cour, les 4 février et 5 mai 2004, sur la compatibilité avec les articles 10 CE, 49 CE et 81 CE de la réglementation nationale fixant les honoraires d’avocat. En mars 1991, Mme Portolese s’est adressée à Me Cipolla afin d’obtenir une indemnité pour l’occupation d’urgence de terrains lui appartenant, décidée par la commune de Moncalieri. Lors d’une réunion, Me Cipolla a demandé à sa cliente un paiement anticipé de sa prestation professionnelle d’un montant de 1 850 000 ITL, qui lui a été versé. Dans le cadre de son mandat, Me Cipolla a introduit une action en justice contre ladite commune devant le Tribunale di Torino. Par la suite, une transaction a eu lieu entre cette commune et les propriétaires, sans intervention de l’avocat. Mme Portolese a ainsi cédé son terrain à la commune par acte notarié du 27 octobre 1993.

3. Par une note d’honoraires datée du 18 mai 1995, Me Cipolla a demandé à sa cliente un montant global de 4 125 400 ITL (2 130, 38 euros), l’avance versée ayant été déduite. Mme Portolese a contesté ce montant devant le Tribunale di Torino, qui, par un jugement des 12‑20 juin 2003, a donné acte du paiement de 1 850 000 ITL tout en rejetant les autres demandes de Me Cipolla. Ce dernier a interjeté appel de cette décision devant la Corte d’appello di Torino, en invoquant l’application du tarif des honoraires d’avocat tel que résultant de la délibération du 30 mars 1990 du Consiglio nazionale forense (Conseil national de l’ordre des avocats, ci‑après le «CNF»), approuvé par le décret ministériel n° 392, du 24 novembre 1990 (ci‑après le «décret ministériel de 1990»). Selon Me Cipolla, l’avocat et son client ne pourraient convenir d’une rémunération différente de ce tarif, qui devrait s’appliquer de manière obligatoire.

4. En Italie, le décret royal n° 1578, du 27 novembre 1933 (3), converti en loi n° 36, du 22 janvier 1934 (4), tel que modifié par la suite (ci‑après le «décret-loi»), régit la profession d’avocat. En vertu de cette réglementation et notamment de l’article 57 de ce décret‑loi, les critères servant à déterminer les honoraires et indemnités dus aux avocats et aux avoués en matière civile, pénale et extrajudiciaire sont établis tous les deux ans par le CNF. Ce tarif des honoraires d’avocat est ensuite approuvé par le ministre de la Justice, après consultation du Comitato interministeriale dei prezzi (comité interministériel des prix) et du Consiglio di Stato (Conseil d’État) (5). L’article 58 du décret-loi prévoit que les critères visés à l’article 57 de celui‑ci sont établis par rapport à la valeur des litiges et au degré de l’autorité saisie ainsi que, en matière pénale, par rapport à la durée des procédures. Pour chaque acte ou série d’actes, un honoraire maximal et un honoraire minimal sont fixés.

5. Selon l’article 24 de la loi n° 794, du 13 juin 1942, qui régit la profession d’avocat en Italie, «il ne peut être dérogé […] aux honoraires minimaux fixés pour les prestations d’avocat. Toute convention contraire est nulle». La jurisprudence a donné une interprétation particulièrement large à ce principe. La juridiction de renvoi s’interroge sur la conformité avec le droit communautaire de cette interdiction de déroger aux honoraires prévus par le tarif des honoraires d’avocat, telle qu’interprétée par la jurisprudence. En effet, selon elle, dans l’arrêt Arduino, précité, la Cour ne se serait prononcée que sur le mode de formation du tarif et non sur ce point particulier.

6. Par conséquent, la Corte d’appello di Torino a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1) Le principe de la concurrence du droit communautaire, visé aux articles 10 CE, 81CE et 82 CE, s’applique-t-il également à l’offre des services légaux?

2) Ledit principe implique-t-il ou non la possibilité de convenir entre les parties de la rémunération de l’avocat avec un effet contraignant?

3) En toute hypothèse, ledit principe fait-il obstacle ou non à l’interdiction absolue de déroger aux rémunérations des avocats?

4) Le principe de libre prestation des services, visé aux articles 10 CE et 49 CE, s’applique-t-il aussi à l’offre des services juridiques?

5) Dans l’affirmative, ledit principe est-il ou non compatible avec le principe de l’interdiction absolue de déroger aux honoraires d’avocat?»

7. Parallèlement, dans l’affaire C-202/04, le Tribunale di Roma (Italie) a également introduit devant la Cour une question ayant trait à la compatibilité avec les articles 10 CE et 81 CE d’un autre aspect de la même réglementation nationale. Les faits du litige au principal sont les suivants. M. Macrino et Mme Capodarte sont en conflit avec Me Meloni, leur avocat, qui leur réclame le paiement d’honoraires dont ils contestent le montant. Celui-ci a obtenu une injonction de paiement à leur encontre pour des prestations extrajudiciaires portant sur des questions de droits d’auteur. Le montant des honoraires a été fixé en application du tarif légal applicable à ce type de prestations. Selon lesdits clients, les prestations fournies par leur avocat se sont limitées à l’envoi d’une lettre type de contestation et à une brève correspondance avec l’avocat de la partie adverse, si bien que les honoraires réclamés seraient disproportionnés par rapport aux services fournis.

8. Les tarifs applicables à ces faits ont été fixés par la délibération du CNF du 12 juin 1993, modifiée le 29 septembre 1994, telle qu’approuvée par décret ministériel n° 585, du 5 octobre 1994 (ci-après le «décret ministériel de 1994») (6). Le tarif des honoraires d’avocat recouvre trois catégories de prestations: les honoraires pour prestations judiciaires en matière civile et administrative, les honoraires pour prestations judiciaires en matière pénale et les honoraires pour prestations extrajudiciaires. Selon la juridiction de renvoi, l’arrêt Arduino, précité, ne traitait que des prestations judiciaires et la Cour n’a pas statué sur la possibilité pour le législateur italien de fixer des honoraires pour les prestations extrajudiciaires.

9. C’est par conséquent en ces termes que le Tribunale di Roma a interrogé la Cour:

«Les articles 5 et 85 du traité CE (devenus articles 10 CE et 81 CE) s’opposent-ils à ce qu’un État membre adopte une mesure législative ou réglementaire qui approuve, sur la base d’un projet établi par un ordre professionnel d’avocats, un tarif fixant des minimums et des maximums pour les honoraires des membres de la profession, s’agissant de prestations ayant pour objet des activités (dites ‘extrajudiciaires’) qui ne sont pas réservées aux membres de l’ordre professionnel d’avocats, mais qui peuvent être effectuées par quiconque?»

10. Une audience a eu lieu le 25 octobre 2005, à laquelle étaient représentés Me Meloni, les gouvernements italien et allemand ainsi que la Commission des Communautés européennes.

11. Avant de procéder à l’analyse au fond des questions formulées par les juridictions de renvoi, il convient d’examiner leur recevabilité, qui a été contestée par Me Cipolla et par le gouvernement allemand dans l’affaire C‑94/04, et par Me Meloni et par le gouvernement italien dans l’affaire C‑202/04.

II – Recevabilité des questions préjudicielles

12. Selon Me Cipolla, les questions adressées par la Corte d’appello di Torino sont irrecevables au motif, d’une part, qu’elles ne sont pas pertinentes pour résoudre le litige au principal et, d’autre part, en raison de leur caractère hypothétique.

13. Par sa première objection, Me Cipolla soutient que le droit national applicable ne requiert pas du juge national qu’il apprécie l’existence et la licéité d’un accord entre l’avocat et sa cliente, contrairement à ce qui est exposé dans la décision de renvoi. Selon le requérant au principal, l’absence d’accord entre le professionnel et la cliente ainsi que la qualification d’acompte sur des prestations à rémunérer de la somme versée revêtent l’autorité de la chose jugée puisqu’elles n’ont pas été contestées devant le juge d’appel.

14. Il ressort d’une jurisprudence constante que la pertinence de la question préjudicielle doit en premier lieu être établie par le juge de renvoi (7). La Cour ne peut déclarer une question irrecevable pour ce motif que si l’absence de pertinence est manifeste ou s’il n’existe aucun lien entre la question posée et l’objet du litige.

15. Dans l’affaire au principal, au contraire, la question de savoir si la première somme versée par la cliente à son avocat constitue le paiement intégral des services qui ont été fournis à cette dernière a une incidence sur l’issue du litige, puisque la réponse à cette question détermine si l’accord passé entre l’avocat et son client concernant les honoraires dus peut primer le tarif des honoraires d’avocat.

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