Republic of Austria v Scheucher-Fleisch GmbH and Others.

JurisdictionEuropean Union
CourtCourt of Justice (European Union)
Date09 June 2011

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. Yves Bot

présentées le 9 juin 2011 (1)

Affaire C‑47/10 P

République d’Autriche

contre

Scheucher-Fleisch GmbH e.a.

«Pourvoi – Aides d’État accordées par la République d’Autriche dans le domaine de l’agriculture biologique – Décision de la Commission de ne pas soulever d’objections – Recours en annulation – Recevabilité – Droit des ‘parties intéressées’ – Conditions d’ouverture d’une procédure formelle d’examen – Notion de ‘difficultés sérieuses’ – Étendue du contrôle juridictionnel du Tribunal»





1. La présente affaire illustre une nouvelle fois les difficultés liées à l’application de la jurisprudence de la Cour relative aux droits des plaignants dans le cadre de la procédure de contrôle des aides d’État. Elle pose, en particulier, la question de l’étendue des prérogatives du Tribunal de l’Union européenne dans l’interprétation des moyens soulevés par une partie intéressée lorsque celle-ci invoque, au soutien de son recours, tant des moyens visant à la sauvegarde de ses droits procéduraux que des moyens visant à mettre en cause le bien-fondé de la décision de la Commission européenne (2).

2. Cette affaire donne également l’occasion à la Cour de rappeler la marge d’appréciation dont dispose la Commission lorsque celle-ci est confrontée à des difficultés sérieuses dans le cadre de l’examen de compatibilité de l’aide, ainsi que la portée du contrôle juridictionnel y afférent.

3. Dans l’arrêt du 18 novembre 2009, Scheucher-Fleisch e.a./Commission (3), le Tribunal a accueilli le recours introduit par Scheucher-Fleisch GmbH ainsi que d’autres entreprises (4) comme étant partiellement recevable et a annulé la décision C(2004) 2037 fin de la Commission, du 30 juin 2004, relative aux aides d’État NN 34A/2000 concernant les programmes de qualité et labels «AMA-Biozeichen» et «AMA-Gütesiegel» en Autriche (5). Le Tribunal a jugé que l’examen de la compatibilité des aides en cause avec le marché commun soulevait, en réalité, des difficultés sérieuses d’appréciation qui auraient dû conduire la Commission à ouvrir la procédure formelle d’examen visée à l’article 88, paragraphe 2, CE. Cette analyse est contestée par la République d’Autriche ainsi que par la Commission, cette dernière ayant introduit un pourvoi incident.

4. Dans les présentes conclusions, nous proposerons à la Cour de rejeter ces pourvois.

I – Le cadre juridique de l’Union

5. Nous présenterons, tout d’abord, les articles pertinents du traité CE, avant de préciser les dispositions applicables du règlement (CE) n° 659/1999 (6) qui est le règlement d’application des articles 87 CE et 88 CE. Nous préciserons, également, les points pertinents des lignes directrices applicables aux aides d’État à la publicité.

A – Le traité CE

6. Aux termes de l’article 87 CE, les aides accordées par les États membres ou au moyen de ressources d’État, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence intracommunautaire, font l’objet d’une interdiction de principe qui est assortie des dérogations énumérées à l’article 87, paragraphes 2 et 3, CE.

7. L’article 87, paragraphe 3, CE énumère les aides qui peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun. Parmi celles‑ci figurent les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques.

8. Afin d’assurer la mise en œuvre de ces dispositions, le traité, et en particulier son article 88 CE, établit une procédure de contrôle ainsi que d’autorisation préalable des aides d’État dont le rôle central est dévolu à la Commission. Cette procédure de contrôle se compose de deux phases.

9. La phase préliminaire d’examen des aides est instituée à l’article 88, paragraphe 3, CE (7). En vertu de cette disposition, les États membres sont tenus de notifier à la Commission leurs projets tendant à instituer ou à modifier des aides et ne peuvent mettre à exécution de tels projets avant que la Commission ne soit parvenue à une décision. Ladite phase a seulement pour objet de permettre à la Commission de se former une première opinion sur la compatibilité partielle ou totale de l’aide en cause (8).

10. Si la Commission doute de la compatibilité de l’aide avec le marché commun, elle doit alors ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE (9). Dans ce cadre, la Commission doit inviter les parties intéressées à présenter leurs observations de façon à ce qu’elle puisse avoir une information complète sur l’ensemble des données de l’affaire (10). À l’issue de cet examen, si la Commission constate que l’aide en cause n’est pas compatible avec les termes de l’article 87 CE ou que cette aide est appliquée de façon abusive, elle décide que l’État membre concerné doit la supprimer ou la modifier dans le délai qu’elle détermine.

B – Le règlement n° 659/1999

11. Le règlement n° 659/1999 a codifié la pratique des pouvoirs conférés à la Commission par le traité. Il édicte des règles qui ont été rédigées en conformité avec la jurisprudence de la Cour (11).

12. Ainsi, l’article 1er, sous h), dudit règlement reprend, en des termes quasi identiques, la définition que la Cour a donnée de la notion de parties intéressées, dans l’arrêt du 14 novembre 1984, Intermills/Commission (12), confirmée depuis de manière constante (13). En vertu de cette disposition, une partie intéressée est «tout État membre et toute personne, entreprise ou association d’entreprises dont les intérêts pourraient être affectés par l’octroi d’une aide, en particulier le bénéficiaire de celle‑ci, les entreprises concurrentes et les associations professionnelles».

13. L’article 4 du règlement n° 659/1999 est relatif à l’examen préliminaire auquel la Commission doit procéder lorsqu’un État membre lui notifie un projet tendant à instituer ou à modifier une aide.

14. Aux termes de cette disposition, la Commission peut adopter trois types de décisions. Elle peut décider que la mesure notifiée ne constitue pas une aide. Elle peut également constater qu’il n’y a aucun doute concernant la compatibilité de la mesure notifiée avec le marché commun et décider de ne pas soulever d’objections à l’octroi de l’aide en cause. Enfin, elle peut décider d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE si la mesure notifiée suscite des doutes quant à sa compatibilité avec le marché commun.

15. Dans cette dernière hypothèse, la Commission doit, conformément à l’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, inviter l’État membre concerné ainsi que les autres parties intéressées à présenter leurs observations dans le délai qu’elle détermine.

16. L’article 20 de ce règlement porte spécialement sur les droits des parties intéressées. Il rappelle, à son paragraphe 1, que toute partie intéressée peut présenter des observations à la suite d’une décision de la Commission d’ouvrir une procédure formelle d’examen. Il ajoute, à son paragraphe 2, que toute partie intéressée peut informer la Commission de toute aide illégale prétendue et de toute application prétendue abusive de l’aide.

C – Les lignes directrices applicables aux aides d’État à la publicité

17. Les lignes directrices communautaires applicables aux aides d’État à la publicité des produits relevant de l’annexe I du traité CE et de certains produits ne relevant pas de l’annexe I (14) encadrent les mesures d’intervention publique par lesquelles les autorités nationales aident à financer la promotion et la publicité des produits agricoles, soit par des contributions financières directes de leur budget, soit sur des fonds publics, y compris des taxes parafiscales ou des contributions obligatoires. Pour autant que certaines conditions sont satisfaites, la Commission est favorable à ce type d’activités, dans la mesure où elles facilitent le développement des activités économiques dans le secteur de l’agriculture ainsi que la réalisation des objectifs de la politique agricole commune (15).

18. Conformément au point 10 des lignes directrices applicables aux aides d’État à la publicité, «[l’]interdiction générale des aides d’État figurant à l’article 87, paragraphe 1, [CE] n’est applicable que si la publicité financée par des fonds publics fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Lorsque ces activités publicitaires financées par des fonds publics font référence à l’origine nationale ou régionale des produits concernés, elles favorisent manifestement certains produits, de sorte que l’article 87, paragraphe 1, est applicable».

19. Les points 49 et 50 de ces lignes directrices sont rédigés comme suit:

«49. Des régimes nationaux de contrôle de la qualité doivent reposer uniquement sur l’existence de caractéristiques objectives intrinsèques […] et ne pas reposer sur l’origine des produits ou sur le lieu de production. Que ces régimes de contrôle de la qualité soient obligatoires ou facultatifs, tous les produits fabriqués dans la Communauté doivent donc y avoir accès, indépendamment de leur origine, pour autant qu’ils remplissent les conditions requises […]

50. Lorsque le régime est limité aux produits d’une origine donnée […], ce régime est contraire au traité et il est alors évident que la Commission ne peut pas considérer que les aides à la publicité en faveur dudit régime sont compatibles avec le marché commun […]»

20. Il résulte du point 46 desdites lignes directrices que l’origine des produits doit être comprise comme étant une «origine nationale, régionale ou locale».

II – Les faits à l’origine de la présente affaire

21. Les faits, tels qu’ils ressortent de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés de la manière suivante.

22. En 1992, la République d’Autriche a adopté la loi fédérale sur l’établissement de l’organisme régulateur du marché «Agrarmarkt Austria» (Bundesgesetz über die Errichtung der Marktordnungsstelle «Agrarmarkt Austria») (16), dont...

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