Brahim Samba Diouf v Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2011:102
Date01 March 2011
Celex Number62010CC0069
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-69/10

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PEDRO Cruz Villalón

présentées le 1er mars 2011 (1)

Affaire C‑69/10

Brahim Samba Diouf

contre

Ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal administratif (Luxembourg)]

«Demande d’un ressortissant d’un pays tiers visant à obtenir le statut de réfugié – Rejet de cette demande, dans le cadre d’une procédure nationale accélérée, en l’absence de motifs justifiant l’octroi d’une protection internationale – Absence de recours contre la décision de soumettre la demande à une procédure accélérée – Droit à un contrôle juridictionnel effectif»





Table des matières

I – Le cadre juridique

A – La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH»)

B – Le droit de l’Union

C – Le droit national

II – Les faits

III – Les questions posées

IV – La procédure devant la Cour

V – Les arguments

VI – Appréciation

A – Remarque préalable

B – La validité de la directive 2005/85: la confrontation de l’article 39 de la directive avec l’article 47 de la CDFUE

C – L’interprétation de la portée de l’article 39 de la directive par rapport à l’article 20, paragraphe 5, de la loi de 2006

VII – Conclusion

1. L’entrée en vigueur de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne au rang de droit originaire a renforcé la nécessité d’avancer dans le processus d’adaptation des catégories et des principes du droit de l’Union aux exigences découlant de l’intégration des droits fondamentaux en tant qu’élément déterminant de la validité du droit communautaire.

2. La présente affaire offre une bonne occasion pour tenter d’articuler de manière complète les différentes expressions de droit positif qui, dans le cadre de l’Union et des États membres (mais aussi dans celui de certains instruments du droit international), concourent à la définition d’un droit fondamental – dans le cas présent, le droit à un recours effectif. Expressions que, par-delà la diversité formelle de leurs libellés, on ne peut concevoir que comme le résultat final d’un processus au cours duquel elles se concrétisent en plusieurs étapes confiées, à leurs différents niveaux, à des instances normatives relativement autonomes. Il nous faudra donc évoluer sur un terrain où le caractère intégrateur du droit de l’Union est particulièrement sensible et, avec lui, la nécessité d’aborder avec un véritable esprit d’ordre et de système le souci de mieux articuler la diversité des normes qui contribuent légitimement à régir un même domaine de la réalité (2).

I – Le cadre juridique

A – La convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la «CEDH»)

3. L’article 6, paragraphe 1, de la CEDH prévoit que:

«Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. […]»

4. Selon l’article 13 de la même convention:

«Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles.»

B – Le droit de l’Union

5. En vertu de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne:

«Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.

Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi. Toute personne a la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter. […]»

6. Les onzième et vingt-septième considérants de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005 (3), sont rédigés comme suit:

«(11) Il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’asile que les demandes d’asile fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible. L’organisation du traitement des demandes d’asile devrait être laissée à l’appréciation des États membres, de sorte qu’ils peuvent, en fonction de leurs besoins nationaux, donner la priorité à des demandes déterminées ou en accélérer le traitement, dans le respect des normes prévues par la présente directive.

[…]

(27) Conformément à un principe fondamental du droit communautaire, les décisions prises en ce qui concerne une demande d’asile et le retrait du statut de réfugié doivent faire l’objet d’un recours effectif devant une juridiction au sens de l’article 234 du traité. L’effectivité du recours, en ce qui concerne également l’examen des faits pertinents, dépend du système administratif et judiciaire de chaque État membre considéré dans son ensemble.»

7. L’article 23 de ladite directive prévoit que:

«1. Les États membres traitent les demandes d’asile dans le cadre d’une procédure d’examen conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II.

2. Les États membres veillent à ce qu’une telle procédure soit menée à terme dans les meilleurs délais, sans préjudice d’un examen approprié et exhaustif.

Lorsqu’une décision ne peut pas être prise dans un délai de six mois, les États membres veillent à ce que le demandeur concerné:

a) soit informé du retard, ou

b) reçoive, lorsqu’il en fait la demande, des informations concernant le délai dans lequel sa demande est susceptible de faire l’objet d’une décision. Ces informations n’entraînent pour l’État membre aucune obligation, envers le demandeur, de statuer dans le délai indiqué.

3. Les États membres peuvent donner la priorité à une demande ou en accélérer l’examen dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, y compris lorsque la demande est susceptible d’être fondée ou dans les cas où le demandeur a des besoins particuliers.

4. Les États membres peuvent également décider, dans le respect des principes de base et des garanties fondamentales visés au chapitre II, qu’une procédure d’examen est prioritaire ou est accélérée lorsque:

[…]

b) le demandeur [qui] manifestement ne peut être considéré comme un réfugié ou ne remplit pas les conditions requises pour obtenir le statut de réfugié dans un État membre en vertu de la directive 2004/83/CE; ou

c) la demande d’asile est considérée comme infondée:

i) parce que le demandeur provient d’un pays d’origine sûr au sens des articles 29, 30 et 31, ou

ii) parce que le pays qui n’est pas un État membre est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur sans préjudice de l’article 28, paragraphe 1, ou

d) le demandeur a induit les autorités en erreur en ce qui concerne son identité et/ou sa nationalité et/ou l’authenticité de ses documents, en présentant de fausses indications ou de faux documents ou en dissimulant des informations ou des documents pertinents qui auraient pu influencer la décision dans un sens défavorable, ou

[…]»

8. En vertu de l’article 39 de la directive 2005/85:

«1. Les États membres font en sorte que les demandeurs d’asile disposent d’un droit à un recours effectif devant une juridiction contre les actes suivants:

a) une décision concernant leur demande d’asile, y compris:

i) les décisions d’irrecevabilité de la demande en application de l’article 25, paragraphe 2,

ii) les décisions prises à la frontière ou dans les zones de transit d’un État membre en application de l’article 35, paragraphe 1;

iii) les décisions de ne pas procéder à un examen en application de l’article 36;

b) le refus de rouvrir l’examen d’une demande après que cet examen a été clos en vertu des articles 19 et 20;

c) une décision de ne pas poursuivre l’examen de la demande ultérieure en vertu des articles 32 et 34;

d) une décision de refuser l’entrée dans le cadre des procédures prévues à l’article 35, paragraphe 2;

e) une décision de retirer le statut de réfugié, en application de l’article 38.

[…]»

C – Le droit national

9. La loi luxembourgeoise du 5 mai 2006, relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection (4), dispose en son article 19 que:

«(1) Le ministre statue sur le bien-fondé de la demande de protection internationale par une décision motivée qui est communiquée par écrit au demandeur. En cas de décision négative, les informations relatives au droit de recours sont expressément mentionnées dans la décision. […] Une décision négative du ministre vaut ordre de quitter le territoire en conformité avec les dispositions de la loi modifiée du 28 mars 1972 […].

[…]

(3) Contre les décisions de refus de la demande de protection internationale, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif. Contre l’ordre de quitter le territoire, un recours en annulation est ouvert devant le tribunal administratif. Les deux recours doivent faire l’objet d’une seule requête introductive, sous peine d’irrecevabilité du recours séparé. Le recours doit être introduit dans le délai d’un mois à partir de la notification. Le délai de recours et le recours introduit dans le délai ont un effet suspensif. […]

(4) Contre les décisions du tribunal administratif, appel peut être interjeté devant la Cour administrative statuant comme juge de l’annulation. L’appel doit être interjeté dans le délai d’un mois à partir de la notification […]. Le délai d’appel et l’appel introduit dans le délai ont un effet suspensif […].»

10. Pour sa part, l’article 20 de la loi prescrit que:

«(1) Le ministre peut statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale dans le cadre...

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