Sony Music Entertainment (Germany) GmbH v Falcon Neue Medien Vertrieb GmbH.

JurisdictionEuropean Union
Celex Number62007CC0240
ECLIECLI:EU:C:2008:303
Docket NumberC-240/07
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Date22 May 2008

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. DÁMASO RUIZ-JARABO COLOMER

présentées le 22 mai 2008 (1)

Affaire C‑240/07

Sony Music Entertainment (Germany) GmbH

contre

Falcon Neue Medien Vertrieb GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Allemagne)]

«Non-discrimination – Droit d’auteur et droits voisins – Droits des ressortissants de pays extracommunautaires – Règles de l’accord ADPIC»





I – Introduction

1. Les artistes ont l’habitude d’utiliser des pseudonymes, de sorte que le public sait difficilement à quel moment ses vedettes favorites au cinéma, au théâtre, ou dans le domaine de la peinture ou de la musique, utilisent leur nom réel ou quand elles s’abritent derrière un nom d’emprunt. Fort peu de vedettes parviennent à obtenir que leur identité factice et leur identité réelle atteignent un même degré de diffusion (il ne me vient spontanément à l’esprit que le nom de Marilyn Monroe/Norma Jeane Backer).

2. Ainsi, il est probable que le chanteur auteur à l’origine de cette affaire aurait obtenu une renommée dans un cercle plus étroit avec son vrai nom, à savoir Shabtai Zisel ben Abraham, étant donné qu’il était issu d’une famille originaire d’Odessa (2). J’ose avancer que même la traduction de son nom dans une langue européenne (Robert Allen Zimmerman) ne lui aurait pas octroyé un plus grand succès. En revanche, son pseudonyme est bien connu par plusieurs générations d’amateurs de musique, c’est celui de Bob Dylan (3).

3. À l’instar de celles de Phil Collins (4) et de Cliff Richard (5), l’œuvre de ce chanteur, fervent admirateur du poète gallois Dylan Thomas (1914-1953) (6), dont il a emprunté le prénom pour l’utiliser comme nom de famille, est une cible privilégiée d’enregistrements qui génèrent de gros bénéfices, d’où une reproduction non contrôlée de cette dernière.

4. Le Bundesgerichtshof (Allemagne) a adressé à la Cour trois questions préjudicielles relatives à des phonogrammes comprenant des thèmes de cette véritable idole du rock, réalisés au début des années soixante, et sur lesquels il lui a été demandé de se prononcer quant à la protection dont ils bénéficient en Allemagne. En substance, le Bundesgerichtshof doute de ce que ces phonogrammes puissent bénéficier d’une protection en vertu du droit communautaire, étant donné que, au regard du droit national, le bénéfice d’une telle protection est exclu.

5. L’importance économique de cette question n’est pas négligeable, étant donné qu’il dépend de sa solution que de nombreuses œuvres antérieures à l’entrée en vigueur de la loi sur les droits d’auteur et les droits voisins en 1966 soient maintenues dans le domaine public et puissent être librement exploitées, ou qu’elle soient réputées protégées par ces droits, ce qui soumettrait leur exploitation à la volonté des titulaires de ces droits.

II – Le cadre juridique

A – Le droit communautaire

6. Le rapprochement des ordres juridiques des États membres en matière de propriété intellectuelle a été effectué principalement par l’intermédiaire de la directive 93/98/CEE (7), modifiée par la suite (8) puis abrogée par la directive 2006/116/CE (9) codifiant les directives antérieures.

7. L’article 3, paragraphe 2, de la directive 2006/116, sous la rubrique «Durée des droits voisins» prévoit:

«Les droits des producteurs de phonogrammes expirent cinquante ans après la fixation. […]

Cependant, le présent paragraphe ne peut pas avoir pour effet de protéger à nouveau les droits des producteurs de phonogrammes qui, par expiration de la durée de la protection qui leur était reconnue en vertu de l’article 3, paragraphe 2, de la directive 93/98/CEE dans sa version antérieure à la modification par la directive 2001/29/CE n’étaient plus protégés le 22 décembre 2002.»

8. L’article 7 de la directive 2006/116, intitulé «Protection vis-à-vis des pays tiers», ajoute à ses paragraphes 1 et 2:

«1. Lorsque le pays d’origine d’une œuvre, au sens de la convention de Berne [(10)], est un pays tiers et que l’auteur n’est pas un ressortissant de la Communauté, la durée de protection accordée dans les États membres prend fin à la date d’expiration de la protection accordée dans le pays d’origine de l’œuvre, sans pouvoir dépasser la durée indiquée à l’article 1er.

2. Les durées de protection indiquées à l’article 3 s’appliquent également lorsque les titulaires ne sont pas des ressortissants de la Communauté, pour autant que les États membres leur accordent la protection. Toutefois, sans préjudice des obligations internationales des États membres, la durée de protection accordée par les États membres prend fin au plus tard à la date d’expiration de la protection accordée dans le pays tiers dont le titulaire est ressortissant, sans pouvoir dépasser la durée indiquée à l’article 3.»

9. L’article 10, paragraphes 1 à 3, de la directive 2006/116, sous le titre «Applicabilité dans le temps» est rédigé comme suit:

«1. Lorsqu’une durée de protection plus longue que la durée de protection correspondante prévue à la présente directive avait déjà commencé à courir dans un État membre au 1er juillet 1995, la présente directive n’a pas pour effet de la raccourcir dans cet État membre.

2. Les durées de protection prévues à la présente directive s’appliquent à toutes les œuvres et à tous les objets qui, à la date visée au paragraphe 1, étaient protégés dans au moins un État membre dans le cadre de l’application des dispositions nationales relatives au droit d’auteur ou aux droits voisins ou qui répondent aux critères de protection énoncés dans la directive [92/100/CEE du Conseil, du 19 novembre 1992, relative au droit de location et de prêt et à certains droits voisins du droit d’auteur dans le domaine de la propriété intellectuelle] [JO L 346, p. 61].

3. La présente directive s’entend sans préjudice des actes d’exploitation accomplis avant la date visée au paragraphe 1. Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour protéger notamment les droits acquis des tiers.»

B – Le droit international

10. L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a parrainé trois conventions internationales spécialement consacrées à la garantie des droits des producteurs de phonogrammes, appelées «convention de Rome» (11), «convention phonogrammes» (12) et «WPPT» (13). Ce dernier accord a été approuvé par la Communauté par la décision 2000/278/CE (14), en ce qui concerne les matières qui relèvent de sa compétence.

11. En ce qui concerne la durée des droits des producteurs de phonogrammes, alors que la convention de Rome (15) et la convention phonogrammes (16) prévoyaient une durée d’au moins 20 ans, le WPPT a porté cette dernière à un minimum de 50 ans (17), ce qui permet de déduire une tendance à l’allongement de la durée de la protection.

12. En outre, dans le but d’harmoniser partiellement les droits de propriété intellectuelle en raison de leur impact éventuel sur le commerce international, l’accord ADPIC (18) consacre une série de dispositions aux différentes sortes de propriété intellectuelle. J’énumérerai ci-dessous celles qui ont une incidence sur les phonogrammes et servent à trancher la problématique dont la Cour est saisie.

13. Ainsi, parmi les règles fondamentales, l’article 3 de l’accord ADPIC, qui proclame le principe du traitement national, mérite d’être mis en exergue:

«1. Chaque [m]embre accordera aux ressortissants des autres [m]embres un traitement non moins favorable que celui qu’il accorde à ses propres ressortissants en ce qui concerne la protection de la propriété intellectuelle, sous réserve des exceptions déjà prévues dans, respectivement, la [c]onvention de Paris (1967), la [c]onvention de Berne (1971), la [c]onvention de Rome ou le [t]raité sur la propriété intellectuelle en matière de circuits intégrés. En ce qui concerne les artistes interprètes ou exécutants, les producteurs de phonogrammes et les organismes de radiodiffusion, cette obligation ne s’applique que pour ce qui est des droits visés par le présent accord. […]

[…]»

14. En revanche, l’article 4 de l’accord ADPIC corrobore la clause du traitement de la nation la plus favorisée, dans le sens où tout avantage, faveur, privilège ou immunité accordé par un membre aux ressortissants de tout autre pays sera, immédiatement et sans condition, étendu aux ressortissants de tous les autres membres. Ledit article cite, par ailleurs, quelques exceptions à cette obligation, qui peuvent être écartées dans le cadre du présent litige.

15. L’article 9, paragraphe 1, de l’accord ADPIC renvoie pour sa part à la convention de Berne en enjoignant aux États contractants d’en respecter les articles 1er à 21 de cette dernière.

16. En ce qui concerne les droits des producteurs d’enregistrements sonores, l’article 14 de l’accord ADPIC dispose:

«1. Pour ce qui est d’une fixation de leur exécution sur un phonogramme, les artistes interprètes ou exécutants auront la possibilité d’empêcher les actes ci‑après lorsqu’ils seront entrepris sans leur autorisation: la fixation de leur exécution non fixée et la reproduction de cette fixation. […]

2. Les producteurs de phonogrammes jouiront du droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction directe ou indirecte de leurs phonogrammes.

[…]

5. La durée de la protection offerte en vertu du présent accord aux artistes interprètes ou exécutants et aux producteurs de phonogrammes ne sera pas inférieure à une période de 50 ans calculée à compter de la fin de l’année civile de fixation ou d’exécution. […]

[…]»

C – La législation nationale

17. En Allemagne, la propriété intellectuelle est régie par la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins (Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte), du 9 septembre 1965 (BGBl. 1965, p. 1273, ci-après l’«UrhG») (19). L’article 137f de cette loi remplit le rôle de disposition transitoire pour l’adaptation du droit interne à la directive 93/98. Les paragraphes 2 et 3 de cet article prescrivent:

«(2)...

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