Land Baden-Württemberg v Panagiotis Tsakouridis.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:2010:322
Date08 June 2010
Celex Number62009CC0145
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-145/09

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. YVES Bot

présentées le 8 juin 2010 (1)

Affaire C‑145/09

Land Baden-Württemberg

contre

Panagiotis Tsakouridis

[demande de décision préjudicielle introduite par le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg (Allemagne)]

«Directive 2004/38/CE – Libre circulation des personnes – Citoyen de l’Union – Condamnations pénales – Décision d’éloignement – Raisons impérieuses de sécurité publique»





1. Par le présent renvoi préjudiciel, le Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg (Allemagne) demande à la Cour de préciser les conditions d’octroi de la protection contre l’éloignement figurant à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38/CE (2). Cette disposition prévoit qu’une décision d’éloignement peut être prise, à l’encontre d’un citoyen de l’Union qui a séjourné les dix années précédentes sur le territoire de l’État membre d’accueil, uniquement pour des raisons impérieuses de sécurité publique.

2. En particulier, la Cour est interrogée sur le point de savoir, d’une part, si la notion de raisons impérieuses de sécurité publique doit être entendue comme n’intégrant que les considérations liées à la protection de l’État membre et de ses institutions et, d’autre part, si des absences répétées et prolongées du territoire de l’État membre d’accueil ont une incidence sur le calcul du délai de dix ans requis aux fins de l’obtention de la protection contre l’éloignement.

3. Dans les présentes conclusions, nous proposerons à la Cour de dire pour droit que l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38 doit être interprété en ce sens que la notion de sécurité publique ne s’entend pas seulement dans un sens étroit de mise en danger de la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre d’accueil ou de la sauvegarde de ses institutions, mais recouvre également les atteintes graves portées à un intérêt fondamental de la société tel que les valeurs essentielles de protection de ses citoyens, individualisées par cet État à travers les infractions érigées par lui pour leur protection.

4. Nous indiquerons également à la Cour quelles sont, à notre sens, les conditions particulières qui doivent être remplies pour que l’autorité nationale compétente puisse prendre légitimement une décision d’éloignement, notamment dans la situation telle que celle décrite au principal dans laquelle une telle décision viendrait à l’expiration de l’exécution d’une sanction pénale.

5. En outre, nous exposerons à la Cour les raisons pour lesquelles nous pensons que, d’une manière générale, des absences temporaires ne remettant pas en cause le lien fort qui unit le citoyen de l’Union à l’État membre d’accueil, circonstance qu’il appartient au juge national de vérifier, n’ont pas d’incidence sur le calcul du délai de dix ans requis à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la directive 2004/38.

6. Mais que, en revanche, une absence de plus de seize mois du territoire de l’État membre d’accueil qui, comme dans la présente affaire, n’a pris fin que par le retour forcé du citoyen de l’Union à la suite d’une décision judiciaire prise par les autorités compétentes de cet État est susceptible, selon nous, de faire perdre à ce citoyen le bénéfice de la protection renforcée prévue à cet article dans la mesure où elle traduirait la rupture du lien fort unissant ledit citoyen audit État, ce qu’il appartient au juge national de caractériser.

I – Le cadre juridique

A – Le droit primaire

7. L’article 3, paragraphe 2, du traité UE est rédigé comme suit:

«L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène.»

B – La directive 2004/38

8. Avant l’entrée en vigueur de la directive 2004/38, il existait plusieurs directives et règlements en matière de libre circulation des personnes et de droit de séjour des ressortissants européens. Cette directive a rassemblé et simplifié la législation de l’Union dans cette matière.

9. En effet, ladite directive supprime l’obligation pour les citoyens de l’Union d’obtenir une carte de résidence, introduit un droit de séjour permanent en faveur de ces citoyens et circonscrit la possibilité pour les États membres de limiter le séjour sur leur territoire des ressortissants des autres États membres.

10. Ainsi, l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2004/38 prévoit que les citoyens de l’Union qui ont séjourné sur le territoire de l’État membre d’accueil pendant une période ininterrompue de cinq ans acquièrent un droit de séjour permanent sur ce territoire. L’article 16, paragraphe 3, de cette directive précise que la continuité de ce séjour n’est pas affectée, notamment, par des absences temporaires ne dépassant pas au total six mois par an.

11. Selon l’article 16, paragraphe 4, de ladite directive, le droit de séjour permanent, une fois acquis, ne se perd que par des absences du territoire de l’État membre d’accueil d’une durée supérieure à deux ans consécutifs.

12. Les citoyens de l’Union bénéficient, en outre, d’une protection contre l’éloignement. En effet, la directive 2004/38 encadre strictement la possibilité pour les États membres de limiter le droit de circuler et de séjourner des citoyens de l’Union en s’inspirant directement de la jurisprudence de la Cour dans cette matière.

13. Ainsi, en vertu de l’article 27, paragraphe 1, de cette directive, les États membres peuvent restreindre ce droit pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, à l’exclusion des raisons invoquées à des fins économiques.

14. Reprenant les critères dégagés par la Cour, l’article 27, paragraphe 2, de ladite directive prévoit que les mesures d’ordre public ou de sécurité publique doivent respecter le principe de proportionnalité (3) et être fondées exclusivement sur le comportement personnel de l’individu concerné par la décision d’éloignement (4). Il est précisé que l’existence de condamnations pénales antérieures ne peut pas, à elle seule, motiver de telles mesures. Par ailleurs, le comportement de la personne faisant l’objet d’une décision d’éloignement doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société (5).

15. L’article 28 de la directive 2004/38, concernant la protection contre l’éloignement, est rédigé comme suit:

«1. Avant de prendre une décision d’éloignement du territoire pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, l’État membre d’accueil tient compte notamment de la durée du séjour de l’intéressé sur son territoire, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle dans l’État membre d’accueil et de l’intensité de ses liens avec son pays d’origine.

2. L’État membre d’accueil ne peut pas prendre une décision d’éloignement du territoire à l’encontre d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille, quelle que soit leur nationalité, qui ont acquis un droit de séjour permanent sur son territoire sauf pour des motifs graves d’ordre public ou de sécurité publique.

3. Une décision d’éloignement ne peut être prise à l’encontre des citoyens de l’Union, quelle que soit leur nationalité, à moins que la décision ne se fonde sur des raisons impérieuses de sécurité publique définies par les États membres, si ceux-ci:

a) ont séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes, ou

b) sont mineurs, sauf si l’éloignement est nécessaire dans l’intérêt de l’enfant, comme prévu dans la convention des Nations unies sur les droits de l’enfant du 20 novembre 1989.»

C – Le droit allemand

16. La loi relative à la libre circulation des citoyens de l’Union (Freizügigkeitsgesetz/EU) du 30 juillet 2004 (6) transpose, dans l’ordre juridique allemand, les dispositions de la directive 2004/38. Notamment, l’article 6, paragraphe 1, du FreizügG/EU prévoit que la perte, pour un citoyen de l’Union, du droit de circuler et de séjourner sur le territoire allemand ne peut être constatée que pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Selon l’article 6, paragraphe 2, du FreizügG/EU, les condamnations pénales non encore effacées du registre central peuvent être prises en considération pour justifier la décision d’éloignement, à condition que les circonstances qui sous-tendent ces condamnations fassent apparaître un comportement personnel qui représente une menace réelle pour l’ordre public, étant entendu qu’il doit s’agir d’une menace effective et suffisamment grave visant un intérêt fondamental de la société.

17. L’article 6, paragraphe 3, du FreizügG/EU précise que, aux fins d’une décision d’éloignement, il doit être particulièrement tenu compte de la durée du séjour de l’intéressé sur le territoire allemand, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle sur ce territoire, ainsi que de l’intensité de ses liens avec son État d’origine.

18. En vertu de l’article 6, paragraphe 4, du FreizügG/EU, la perte du droit de séjourner et de circuler sur le territoire allemand ne peut être constatée, après acquisition d’un droit de séjour permanent, que pour des motifs graves.

19. Selon l’article 6, paragraphe 5, du FreizügG/EU, en ce qui concerne les citoyens de l’Union et les membres de leur famille qui ont séjourné sur le territoire fédéral pendant les dix dernières années et en ce qui concerne les mineurs, la constatation visée à l’article 6, paragraphe 1, du FreizügG/EU ne peut être faite que pour des raisons impérieuses de sécurité publique. Cette règle ne s’applique pas aux mineurs lorsque la perte du droit de séjour est nécessaire dans l’intérêt de l’enfant. Il n’existe de...

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