Société Baxter, B. Braun Médical SA, Société Fresenius France and Laboratoires Bristol-Myers-Squibb SA v Premier Ministre, Ministère du Travail et des Affaires sociales, Ministère de l'Economie et des Finances and Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation.

JurisdictionEuropean Union
ECLIECLI:EU:C:1998:580
Date01 December 1998
Celex Number61997CC0254
CourtCourt of Justice (European Union)
Procedure TypeReference for a preliminary ruling
Docket NumberC-254/97
EUR-Lex - 61997C0254 - FR 61997C0254

Conclusions de l'avocat général Saggio présentées le 1er décembre 1998. - Société Baxter, B. Braun Médical SA, Société Fresenius France et Laboratoires Bristol-Myers-Squibb SA contre Premier Ministre, Ministère du Travail et des Affaires sociales, Ministère de l'Economie et des Finances et Ministère de l'Agriculture, de la Pêche et de l'Alimentation. - Demande de décision préjudicielle: Conseil d'État - France. - Impositions intérieures - Déduction fiscale - Réalisation de dépenses pour la recherche - Spécialités pharmaceutiques. - Affaire C-254/97.

Recueil de jurisprudence 1999 page I-04809


Conclusions de l'avocat général

1 L'ordonnance de renvoi préjudiciel rendue par le Conseil d'État (France) défère à la Cour trois questions d'interprétation demandant à la juridiction communautaire d'apprécier la compatibilité avec les articles 52 et 58 ainsi que 92 et 95 du traité CE d'une mesure fiscale nationale qui frappe, au titre de l'année 1996, d'une contribution exceptionnelle les entreprises assurant l'exploitation de spécialités pharmaceutiques et qui admet la déduction de l'assiette de la contribution des charges comptabilisées au cours de la même période au titre des dépenses afférentes aux seules opérations de recherche réalisées dans l'État d'imposition, soit la France.

Les faits et la législation nationale

2 L'ordonnance n_ 96/51, du 24 janvier 1996 (1), a instauré, en France, des mesures urgentes tendant au rétablissement de l'équilibre financier de la sécurité sociale. Plus spécialement, son article 12 a soumis à trois nouvelles contributions exceptionnelles les entreprises assurant l'exploitation d'une ou de plusieurs spécialités pharmaceutiques. La première de ces contributions est assise sur les frais de promotion et de publicité, la deuxième sur l'augmentation de chiffre d'affaires réalisée en 1995 par rapport à l'exercice précédent et la troisième sur le chiffre d'affaires réalisé au cours de l'exercice fiscal 1995 sur la vente des spécialités pharmaceutiques remboursables et des médicaments agréés à l'usage des collectivités.

3 Les demanderesses au principal ont attaqué l'ordonnance précitée devant le Conseil d'État, réclamant son annulation. C'est exclusivement la troisième de ces contributions qui fait l'objet de la question de compatibilité avec les dispositions du traité CE posée à la Cour par le Conseil d'État.

En effet, tandis qu'il indique comme assiette le chiffre d'affaires réalisé en France du 1er janvier au 31 décembre 1995 sur la vente des spécialités pharmaceutiques remboursables et des médicaments agréés pour les collectivités, l'article 12 de l'ordonnance attaquée prévoit la possibilité de retrancher, aux fins du calcul de l'assiette, les charges comptables comptabilisées au cours de la même période, au titre des dépenses affectées à la réalisation en France d'opérations de recherches scientifiques et techniques portant sur ces mêmes spécialités pharmaceutiques (2). Le débat qui nous occupe porte sur la compatibilité de cette déduction avec le droit communautaire attendu que, en substance, les abattements qu'elle consent aux fins de la détermination de l'assiette ne portent que sur des activités de recherche développées sur le territoire français.

4 Le Conseil d'État soumet à la Cour les questions suivantes:

«1) Les articles 52 et 58 du traité, du 25 mars 1957, instituant la Communauté européenne s'opposent-ils à une législation nationale qui, adoptée en 1996, frappe, au titre de cette année, d'une contribution exceptionnelle dont le taux doit être fixé entre 1,5 et 2 % le chiffre d'affaires hors taxes réalisé dans l'État d'imposition entre le 1er janvier 1995 et le 31 décembre 1995 par les entreprises assurant l'exploitation de spécialités pharmaceutiques, au titre des spécialités pharmaceutiques remboursables et des médicaments agréés à l'usage des collectivités, et qui admet la déduction de l'assiette de la contribution des charges comptabilisées au cours de la même période au titre des dépenses afférentes aux seules opérations de recherche réalisées dans l'État d'imposition?

2) L'article 95 du traité instituant la Communauté européenne s'oppose-t-il à une telle législation?

3) Dans le cas d'une réponse négative à l'une ou l'autre des deux questions qui précèdent, cette déduction de l'assiette de la contribution des dépenses afférentes aux opérations de recherche réalisées dans l'État d'imposition doit-elle être considérée comme une aide au sens de l'article 92 du traité instituant la Communauté européenne?»

La première question

5 Par la première question, la juridiction nationale souhaite s'entendre dire si la liberté d'établissement, garantie par le traité aux personnes physiques ressortissantes d'un État membre ainsi qu'aux sociétés au titre de l'article 58, fait obstacle à une législation nationale qui, dans la définition des caractéristiques d'un prélèvement fiscal exceptionnel, limité à un seul exercice d'imposition, permet de déduire de l'assiette formée par le chiffre d'affaires issu des ventes de certaines spécialités pharmaceutiques (les spécialités pharmaceutiques remboursables et celles agréées à l'usage des collectivités) les dépenses engagées au cours de l'exercice d'imposition en vue d'opérations de recherches scientifiques et techniques effectuées exclusivement sur le territoire français.

6 La Cour est donc à nouveau appelée à se prononcer sur la compatibilité avec le droit communautaire d'une mesure fiscale nationale, plus précisément en matière d'impôts directs. Si, contrairement à la fiscalité indirecte, la fiscalité directe ne relève pas, en tant que telle, de la compétence de la Communauté, il n'en reste pas moins que, conformément au principe de coopération, énoncé à l'article 5 du traité CE, les États membres doivent exercer leurs compétences dans le respect du droit communautaire (3). Ainsi, dans le domaine des impôts directs, ils ne peuvent pas prendre des mesures qui, sans justification, auraient pour effet de faire obstacle à la libre circulation des personnes, physiques ou morales (4).

7 Il convient en particulier de relever, selon les parties demanderesses au principal, que le prélèvement fiscal et la déduction y afférente s'appliquent, sans opérer de discrimination fondée sur la nationalité, tant aux entreprises et sociétés fondées en France par des ressortissants étrangers qu'aux sociétés établies en France par la voie de filiales, de succursales et d'agences (établissement secondaire). Or, en fait, pour les parties demanderesses au principal, lues conditions ne sont pas comparables. En effet, dans la majorité des cas, les filiales (ou les succursales, ou encore les agences) de sociétés pharmaceutiques d'autres États membres se livrent en France uniquement à des activités de distribution et l'activité de recherche ou la partie essentielle de celle-ci demeure concentrée dans le pays d'origine, celui du siège de la société mère. Comme l'activité de recherche d'une grande partie des sociétés pharmaceutiques françaises est localisée en France, celles-ci bénéficient, à parité de chiffre d'affaires, d'un avantage fiscal manifeste dès lors qu'elles peuvent déduire de l'assiette de la contribution un montant plus élevé de dépenses de recherche. Il s'agit donc, pour les demanderesses au principal, d'un cas de discrimination indirecte, elle aussi interdite par le principe d'égalité de traitement énoncé aux articles 52 et 58 du traité.

8 Selon le gouvernement français, le motif de discrimination résiderait dans la circonstance de fait suivante: dans l'industrie pharmaceutique, la localisation des dépenses de recherche serait liée au lieu du principal établissement et, en conséquence, les sociétés françaises auraient l'avantage de pouvoir déduire les dépenses de recherches effectuées en France de l'assiette de taxation déterminée par les ventes de produits pharmaceutiques, tandis que les sociétés étrangères ainsi que les agences, succursales et filiales des sociétés étrangères qui effectuent les recherches dans leurs pays respectifs seraient défavorisées, en ce qu'elles seraient mises dans l'impossibilité de déduire les frais de recherche afférents aux produits vendus en France puisqu'il s'agit, normalement, de recherches effectuées dans les pays où sont établies les maisons mères. Toutefois, pour le gouvernement français, cette représentation des faits ne correspond pas à la réalité. En effet, après avoir admis qu'il s'agit d'une appréciation relevant de la juridiction nationale, le gouvernement français observe qu'en peu de temps, des centres de recherche pharmaceutique français sont devenus des établissements dépendant de sociétés ayant leur siège à l'étranger, et en outre que, normalement, la recherche relative à un même produit s'effectue en fait dans des laboratoires disséminés dans différents États si bien que l'idée d'entreprises pharmaceutiques françaises...

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